Puisque nous commençons, aujourd’hui, une lecture quasi-continue de l’épître aux Colossiens qui nous occupera une bonne semaine, je me permets de dire quelques mots de présentation générale pour mieux goûter les lectures qui nous seront proposées.
Cette Eglise de Colosse, Paul ne l’a pas fondée, il ne l’a même jamais visitée. La fin de la lecture nous apprenait que c’est Epaphras qui avait fondé cette communauté. Cet Epaphras avait sûrement fait partie de ceux qui venaient écouter Paul lors de son long séjour à Ephèse autour des années 55. Embrasé par le feu de la bonne nouvelle de la grâce, Epaphras retournera chez lui, à Colosse, et prêchera cette bonne nouvelle à son tour, prédication qui donnera naissance à une communauté chrétienne. C’est très beau de constater et important de souligner cette ardeur évangélisatrice de tant de laïcs dans l’Eglise primitive. Mais les gens de Colosse étaient, semble-t-il, des gens simples, ils seront donc facilement influençables. Et c’est parce qu’Epaphras ne contrôle plus bien la situation qu’il va trouver Paul qui est en prison, on est au début des années 60. La prison, à cette époque, au moins pour des personnalités comme Paul, ressemblait plus à une résidence surveillée qu’à un enfermement stricte. Paul pouvait donc recevoir et continuer d’exercer son ministère en conseillant ceux qui venaient le visiter et en écrivant des lettres. La lettre aux Colossiens fait justement partie des lettres qu’on appelle épitres de la captivité.
Epaphras n’avait pas eu besoin du ministère apostolique pour fonder une communauté, mais il en a besoin pour affermir ses frères dans la foi. Il va donc trouver Paul pour lui expliquer que cette communauté qu’il a fondée est à la fois très généreuse mais en train de partir à la dérive. Elle est généreuse, Paul le soulignera : « Nous avons entendu parler de votre foi dans le Christ Jésus et de l’amour que vous avez pour tous les fidèles. » Mais cette communauté ou au moins certains de ses membres partent un peu à la dérive, la suite de la lettre nous partagera la catéchèse que Paul leur donnera pour recentrer leur foi sur le Christ. C’est ce qui nous vaudra l’hymne magnifique que nous prions au bréviaire, et que nous lirons vendredi, sur le Christ, parfaite image du Dieu invisible en qui tout a été créé. Si Paul est obligé de faire cette catéchèse centrée sur le Christ, c’est qu’il y en avait besoin. En effet, les chrétiens de Colosse s’étaient laissé séduire par des théories issues d’un courant du judaïsme donnant aux anges et aux esprits invisibles une très grande place et un très grand pouvoir. Ils vont aussi être séduits par ces idées qui, plus tard, donneront naissance à la gnose, qui prétendaient qu’on accédait à Dieu par la connaissance de mystères cachés auxquels on pouvait être initiés. Pour eux, le Salut apporté par Christ ne suffisait plus, il fallait le compléter par d’autres pratiques. Evidemment, Paul ne peut supporter pareilles insinuations, il va donc ramener les chrétiens de Colosse qui partent à la dérive à l’unique nécessaire : le Christ et le Salut qu’il nous a offert gratuitement, et ce Salut, il suffit de la foi pour l’accueillir. Ces lectures que nous entendrons nous permettront donc, à nous aussi, de resserrer nos liens avec le Christ, à purifier notre foi de tout ce qui pourrait l’encombrer et nous détourner de l’unique nécessaire.
Un dernier mot pour préciser que les lettres de Paul sont toujours l’expression de sa charité pastorale. Même quand il doit redresser des erreurs, plus ou moins ouvertement, plus ou moins frontalement, il le fait toujours animé par la charité pastorale qui, hier comme aujourd’hui, est l’une des caractéristiques majeures du ministère apostolique. Paul ne veut pas que des chrétiens se perdent, il ne veut pas que le Christ ait donné sa vie pour rien. En effet, en donnant sa vie par amour pour nous, Jésus nous a tout donné, il ne manquait rien aux souffrances du Christ pour que nous pensions devoir chercher ailleurs qu’en lui, un complément au Salut. Puissions-nous avoir la même charité pour aider ceux qui, aujourd’hui encore, se laissent détourner de l’unique essentiel. Que cette charité jaillisse de notre relation au Christ, relation alimentée par l’Eucharistie reçue et adorée.
Venons-en à l’Evangile. On pourrait parler des difficultés rédactionnelles que le père Emmanuel a déjà évoquées lundi. Comment se fait-il que Jésus entre comme ça dans la maison de Simon alors que Luc n’a encore pas présenté de rencontre entre Jésus et Simon, ça sera pour demain. Mais laissons aux exégètes ces questions et nous, intéressons-nous à la catéchèse que nous délivre ce passage d’Evangile !
D’abord, dans ce texte, il y a d’abord une énigme : où est la femme de Simon ? Les partisans du mariage des prêtres invoquent souvent la présence de la belle-mère de Simon-Pierre pour affirmer que Pierre était marié. C’est sans doute vrai, le célibat, à l’époque, n’était pas bien concevable. Mais la femme de Simon était-elle encore vivante quand Jésus l’a appelé ? On peut légitimement se poser la question en lisant ce texte puisque la seule présence féminine mentionnée est celle de sa belle-mère. Il ne faut sans doute pas en tirer des conclusions définitives mais ce silence nous permet quand même d’interroger ceux qui utilisent ce texte pour demander de grands changements.
Allons maintenant plus en profondeur. Vous le savez, on observe toujours attentivement les premiers jours d’un homme politique qui arrive au pouvoir et même ceux d’un pape ! On sait que, dans les premiers jours, il va accomplir un certain nombre de gestes forts qui imprimeront une marque à son gouvernement. Dans les premiers jours, il y a souvent, comme en résumé tout ce qu’il va essayer de déployer dans les années qui suivent. Eh bien, l’observation attentive des premiers jours du ministère public de Jésus nous apporte beaucoup de lumière. Lundi, nous avons entendu le discours programmatique tiré du livre d’Isaïe que Jésus a lu dans la synagogue de Nazareth. Il est venu accomplir ce qu’annonçait Isaïe : « Porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. » Confronté à un échec dans sa patrie, Jésus ne change pas de programme en se disant : je n’ai pas fait le bon choix, je change vite pendant qu’il est encore temps ! Non, il ne change pas de programme, il change seulement de lieu pour accomplir sa mission, c’est ainsi qu’il se rend à Capharnaum, mais avec le même programme !
Hier, nous avons vu Jésus libérer un homme possédé par un esprit impur et, aujourd’hui, nous le voyons libérer une femme aux prises avec une fièvre un peu spéciale. Une lecture superficielle du texte pourrait nous faire croire qu’en demandant un miracle pour la belle-mère de Simon qui était grippée, c’était un peu comme si on allait consulter le plus grand spécialiste de chirurgie réparatrice pour un ongle incarné ! Mais au fil du texte, avec les mots employés, on va découvrir que cette fièvre n’était sans doute pas aussi anodine que ça. Il est dit que la malade était « oppressée » à tel point que Jésus est obligé de « menacer » la fièvre pour que la femme en soit libérée et qu’elle puisse se lever, signe que cette fièvre l’obligeait à rester couchée, la rendait incapable de se tenir debout. Quand on met tous ces mots très forts les uns à la suite des autres, on comprend que ce n’est pas un petit miracle que Jésus est en train de réaliser. Couché/debout, c’est un vocabulaire et des images qui seront utilisées pour évoquer la mort et la résurrection. La fièvre qui oppresse, c’est un symbole du péché, c’est pourquoi Jésus, en menaçant la fièvre, prend autorité sur celui qui, par le jeu de la séduction, en est la cause. Nous le voyons, Jésus est venu annoncer aux captifs leur libération et remettre en liberté les opprimés
La libération que Jésus opère en faveur de cette femme est sans doute moins spectaculaire que celle qu’il opérait hier, mais elle est tout aussi décisive. Elle lui permet de continuer à mettre en œuvre le programme annoncé dans la synagogue de Nazareth. Et la preuve que c’est plus qu’une guérison que Jésus opère, que c’est une véritable libération, elle nous est donnée par la suite du texte. En libérant cette femme, Jésus lui permet de retrouver son identité profonde, d’accomplir sa vocation : « À l’instant même, la femme se leva et elle les servait. » Il n’y a aucun machisme dans cette notation, Jésus n’a pas guéri cette femme parce que lui et sa bande d’hommes auraient eu besoin d’une boniche ! Non, servir, c’est l’identité profonde de cette femme, comme c’est notre identité profonde à tous, comme c’était d’ailleurs l’identité profonde de Jésus qui dira qu’il est venu pour servir et non pour être servi. Hier, à l’office des Lectures, nous avions cette hymne qui dit : servir Dieu rend l’homme libre comme lui. Comme c’est beau et comme c’est vrai ! Tout autre service devient asservissement mais servir Dieu rend l’homme libre comme Dieu est libre. Libéré pour servir ! Quand Moïse doit aller trouver Pharaon pour demander la libération du peuple, il indique de manière étonnante la seule raison profonde qui justifie cette libération : il nous faut servir Dieu. Libéré pour servir !
Dans ces jours que nous vivons sans retraitants, nous voyons bien qu’il nous manque l’essentiel même s’il peut être bienfaisant de souffler quelques jours. C’est bien le service qui donne du sens à nos vies données. Et à travers le service des retraitants, c’est bien le service de Dieu que nous vivons. Seulement voilà, est-ce que nous ne sommes pas parfois, nous aussi, oppressés par certaines fièvres qui nous empêchent de déployer notre vocation en servant de manière authentique et gratuite ? Demandons au Saint-Esprit qu’il nous éclaire pour nous permettre d’identifier ces fièvres et d’en demander la libération à Jésus qui est justement venu pour annoncer aux captifs leur libération et remettre en liberté les opprimés.