10 novembre : jeudi 32° semaine ordinaire. Un petit traité de la liberté chrétienne et de bons conseils pour faire advenir le Royaume !

La 1° lecture était extraite du texte le plus court de toutes les Ecritures, la lettre à Philémon, plus souvent appelé « le billet à Philémon », justement à cause de sa brièveté. Inutile de chercher des chapitres dans cet écrit, il n’y en a pas, il n’y a que des versets, 25 au total. Quand on lit la totalité de ce billet à Philémon, on est frappé par la caractère anecdotique de l’écrit et, du coup, on peut se demander pourquoi il a été retenu dans le canon des Ecritures, autrement dit ce qu’il a à nous dire aujourd’hui. En effet, Paul écrit cette petite missive à Philémon, un homme dont on ne sait absolument rien puisqu’il n’apparait que dans l’adresse de cette petite lettre. Et le sujet de la lettre est très circonstancié : Philémon avait un esclave, Onésime, qui s’est échappé parce que la condition des esclaves n’était vraiment pas réjouissante même chez un maître chrétien, ce qui était le cas de Philémon. Paul a fait connaissance de cet Onésime qui s’est attaché à ses enseignements, et qui demandera le Baptême. Paul le prendra à son service et Onésime va lui rendre de grands services puisque, lui, Paul est prisonnier, en fait on devrait plutôt dire, assigné à résidence. En effet, il peut recevoir, mais il ne peut pas se déplacer, on comprend que, dans ces conditions, Onésime lui apporte un concours appréciable, il peut faire les courses, contacter les personnes que Paul veut rencontrer, bref, Paul ne peut plus se passer de lui.

Oui, mais voilà, il y a un double problème qui sera à l’origine de l’écriture de ce billet.

  • 1° problème, Paul a quand même mauvaise conscience d’utiliser Onésime à son service, alors qu’il s’est échappé de chez Philémon qui est une connaissance de Paul. On ne sait rien de lui, c’est vrai, mais Paul, au début de ce billet, le nomme « son bien-aimé collaborateur. » Paul a donc conscience qu’en utilisant Onésime à son service sans rien en dire à Philémon, il a une attitude pas très fair-play.
  • 2° problème, Onésime s’est échappé de chez son maître, il est donc hors-la-loi. S’il se fait prendre, il va le payer très cher ; quand on arrêtait un esclave en fuite, la punition qui lui était infligée devait servir de leçon à tous ceux qui avaient envie de s’enfuir pour leur faire passer ce projet ! La situation des esclaves en fuite n’était donc pas très enviable, ils devaient être, en permanence, sur leurs gardes comme un truand en cavale. Il est donc propable que, Onésime, fatigué par ce stress permanent ait demandé à rentrer chez son maître.

Pour ces deux raisons, Paul juge qu’il est temps de renvoyer Onésime chez Philémon. Oui, mais, là encore, il y a deux problèmes qui se posent.

  • 1° problème : s’il est arrêté en route, que va-t-il devenir ? C’est pour cela aussi que Paul écrit ce billet qu’Onésime pourra présenter s’il est arrêté, billet qui prouvera qu’il est décidé à rentrer chez son maître et qui devrait encourager la police de l’époque à la clémence.
  • 2° problème : comment va-t-il être accueilli à son arrivée chez Philémon ? Certes, Philémon est chrétien, mais s’il ne donne pas une leçon à Onésime, est-ce que ça ne risque pas de donner des idées aux autres esclaves ? C’est aussi pour que l’accueil d’Onésime se passe au mieux que Paul écrit ce billet à Philémon.

Avec tout ce que je viens de dire, on comprend déjà que ce petit écrit va être une belle manifestation de la charité pastorale de Paul qui n’utilise pas les personnes en les jetant comme des kleenex usagés quand il n’a plus besoin d’eux ou quand il ne peut plus les garder. Rien que pour cela, ce billet à Philémon est déjà important pour nous aider à traiter toute personne avec qui nous collaborons, à quelque niveau que ce soit, comme une personne, une vraie personne. Et c’est d’autant plus vrai quand il y a un rapport hiérarchique, ce qui était le cas entre Paul et Onésime. 

Mais il y a encore une autre raison qui donne une grande portée à ce petit billet, apparemment très circonstancié et cela, comme je l’ai déjà évoqué, il y a quelques jours, je l’ai découvert en lisant le petit livre du frère Adrien Candiard sur le billet à Philémon. En fait, ce petit écrit est un véritable traité, écrit de manière très condensée, sur le thème de la liberté chrétienne et de l’accompagnement spirituel : comment laisser libre ceux que l’on accompagne tout en les aidant à prendre des décisions éclairées, c’est un véritable défi !

En effet, à aucun moment, Paul ne va dicter à Philémon les décisions qu’il doit prendre. Paul veut respecter la liberté de Philémon et, en plus, comme j’ai essayé de le montrer, la situation est très compliquée, donc Paul n’a pas forcément la solution. Philémon est chrétien, il doit donc accueillir Onésime d’autant plus que ce dernier est devenu chrétien, il est donc devenu son frère en Christ. Oui, mais en même temps, Philémon est responsable de la marche de sa maison dans laquelle, il y a d’autres esclaves, ce qui signifie que l’attitude qu’il aura vis-à-vis d’Onésime aura beaucoup de répercussions sur la marche de sa maison. Paul ne peut donc pas décider pour Philémon car il n’est pas à sa place, ce n’est pas lui qui assumera les conséquences du choix qu’il dicterait à Philémon. Et il en va toujours ainsi pour les personnes que nous accompagnons : nous ne sommes pas à leur place, nous ne savons pas ce qu’elles sont en mesure de porter et ce qui les écraserait, nous n’avons donc jamais à dicter une décision.

Dans le groupe de travail sur Confession et accompagnement spirituel auquel je participe, nous aimerions parvenir à rédiger des guides des bonnes pratiques. Ces guides seraient destinés aux confesseurs et aux pénitents, aux accompagnateurs et aux accompagnés, adaptés aux situations de chacun. Tout cela dans le but de former non seulement les confesseurs et les accompagnateurs mais aussi les pénitents et les accompagnés afin qu’ils puissent dire, s’ils voient le confesseur ou l’accompagnateur qui outrepasse sa mission : ça ne vous regarde pas, ce n’est pas de votre ressort. Prévenir les abus, c’est aussi permettre à chaque membre du Peuple de Dieu d’exercer au mieux sa liberté en lui permettant de se déployer sans se faire écraser, ni broyer par des personnes exerçant en toute impunité une autorité déviante. Eh bien, il y a tout cela dans le billet à Philémon et merci au frère Adrien Candiard de l’avoir si bien mis en valeur.

Quant à l’Evangile, nous avons entendu cet avertissement de Jésus qui nous demande de ne pas courir sans arrêt pour aller voir ou écouter le dernier truc étonnant qui nous semble tellement porteur d’avenir qu’on aurait presque envie de dire : avec telle initiative pastorale, avec telle prédication, c’est vraiment le Royaume de Dieu qui est là. N’y allez pas, n’y courez pas ! dit Jésus. Ça ne veut pas dire qu’il ne faudra pas chercher à s’inspirer de ce qui est bon, mais le défi, c’est de faire jaillir le Royaume ici et maintenant. Et ça, ce n’est pas, mais alors pas du tout, une affaire de truc qui marche ! Le jaillissement du Royaume, ce n’est pas de la magie qui consisterait à trouver la bonne alchimie pour que des recettes pastorales extraordinaires puissent être mises en œuvre par des personnes initiées. Le jaillissement du Royaume, il dépend de nos choix personnels et communautaires de décider de nous rapprocher de Jésus, de le mettre à la 1° place dans nos vies.

Pourquoi les monastères ont tant de succès et attirent tant de personnes en recherche de sens ? Ce n’est pas leur architecture qui attire, surtout en hiver où, dans ces grands bâtiments, on se gèle. Ce n’est pas en raison de la réputation des repas pas toujours très raffinés, ni équilibrés, surtout dans les monastères d’hommes ! Ce n’est même pas toujours en raison de la beauté de la liturgie car il y a des communautés qui deviennent pauvres à ce niveau-là. Alors, qu’est-ce qui attire ? Eh bien, les gens ont perçu, que là, il se vivait quelque chose du Royaume, là, en raison des choix de ceux qui y vivaient en permanence, ils touchaient du doigt la proximité de Dieu.

C’est ce que le pape Paul VI avait si bien exprimé au n°76 d’Evangelii nuntiandi, je le cite : Le monde qui, paradoxalement, malgré d’innombrables signes de refus de Dieu, le cherche cependant par des chemins inattendus et en ressent douloureusement le besoin, le monde réclame des évangélisateurs qui lui parlent d’un Dieu qu’ils connaissent et fréquentent comme s’ils voyaient l’invisible. Le monde réclame et attend de nous simplicité de vie, esprit de prière, charité envers tous, spécialement envers les petits et les pauvres, obéissance et humilité, détachement de nous-mêmes et renoncement. Sans cette marque de sainteté, notre parole fera difficilement son chemin dans le coeur de l’homme de ce temps. Elle risque d’être vaine et inféconde.

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