L’Evangile de Marc aime souligner ce qu’on appelle l’inintelligence des disciples. Ça ne signifie pas que les apôtres n’étaient pas intelligents, mais que, souvent, ils ne comprenaient pas ce que Jésus voulait leur dire. De fait, très régulièrement, certaines scènes de l’Evangile de Marc se terminèrent par cette mention : mais, eux (les disciples) ne comprirent pas ce qu’il voulait leur dire ! Si l’Evangile d’aujourd’hui avait été écrit par St Marc, il aurait pu se terminer par cette même mention. Et surtout, n’allons pas accabler les apôtres ! Qu’auriez-vous compris, vous, si vous aviez entendu ces paroles de Jésus et moi, qu’est-ce que j’aurais pu comprendre ? Ecoutez : Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez pas son sang,
vous n’avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson. Quand Jésus a prononcé ces paroles, l’Eucharistie n’avait pas été instituée, il venait juste de faire le miracle de la multiplication des pains, alors quel sens pouvaient avoir ces paroles pour ceux qui les entendaient ?
D’ailleurs le discours se termine par cette mention de St Jean qui affirme que beaucoup de ceux qui étaient avec lui jusqu’à maintenant décidèrent de le quitter en disant que ces paroles étaient trop dures à entendre et à comprendre. Du coup, Jésus posera la question de confiance aux 12 : et vous est-ce que vous allez aussi me quitter ? Et c’est là que nous avons la si belle parole de Pierre : à qui irions-nous, Seigneur, toi seul a les paroles de la vie ! Jn 6,68. Belle profession de foi de Pierre qui n’a rien compris à ce qui a été dit, mais qui veut continuer à marcher dans la confiance parce qu’il a perçu que Jésus avait les Paroles de la vie, des Paroles qui faisaient vivre. Finalement, en disant cela, il reprend l’essentiel de ce que Jésus a voulu leur expliquer dans ce discours assez compliqué qu’on appelle d’ailleurs le discours sur le pain de vie, précisément parce que Jésus annonce que l’Eucharistie sera nourriture de vie. Le mot vie, le verbe vivre revient 8 fois dans ces 8 versets, c’est dire si le message est clair !
Peu importe que nous comprenions ou pas toutes les paroles de Jésus, d’ailleurs prétendre les comprendre serai vraiment prétentieux, ce qui est essentiel, c’est de retenir que Jésus est venu pour nous donner la Vie et la Vie en abondance (Jn10,10) et que l’Eucharistie est la nourriture qui nous permet d’accueillir cette vie. Tout le monde cherche comment mieux vivre, vivre à fond, c’est ce que vous proposent toutes les méthodes de développement personnel, il n’est pas sûr que ça marche à chaque fois et ce n’est pas gratuit. Pour nous chrétiens, la voie la plus sûre pour accueillir la vie en abondance, c’est l’Eucharistie.
Mais attention, il faut nous méfier, parce que de plus en plus, dans ce que nous entreprenons, nous cherchons à obtenir des résultats rapides. Le régime à peine commencé, on aimerait déjà avoir perdu 5 kg ! La salle de sport à peine fréquentée, on aimerait pouvoir exhiber des abdominaux et des biceps à faire pâlir de jalousie ! La nouvelle méthode d’oraison à peine pratiquée, on aimerait pouvoir vivre de grands élans mystiques. Les générations d’aujourd’hui sont de plus en plus dans le Tout et tout de suite et nous respirons le même air que les autres, il est donc bien possible que nous soyons, en partie, contaminés ! Eh bien, l’Eucharistie n’agit pas ainsi, ce n’est pas la boite d’épinards de Popeye à effets immédiats et bluffants !
La nourriture que constitue l’Eucharistie donne bien la vie, mais en agissant patiemment dans le temps. Souvent, nous ne nous rendons pas compte des effets de l’Eucharistie dans notre existence et, à certains moments, nous pourrions même nous interroger : à quoi bon rester fidèle puisque je ne vois aucun effet notoire, ma vie ne semble pas transformée, je retombe régulièrement dans les mêmes médiocrités et ma vie spirituelle est loin d’être en permanence un cœur à cœur enflammé avec le Christ. La participation à l’Eucharistie est une histoire de fidélité, de fidélité payante, mais dont les effets ne se mesurent jamais de manière instantanée. Le gros problème, c’est que nous risquons de nous lasser devant le peu d’effets immédiats. Participer à une Eucharistie n’apporte aucun changement positif immédiatement visible, de même que ne pas participer à une Eucharistie n’apporte aucune régression immédiatement visible à l’œil nu.
C’est vrai, mais dans le temps, ce n’est plus du tout pareil ! Si on se retourne sur notre chemin de foi, notre chemin de vie au bout d’un certain nombre d’années, nous pouvons constater que tel défaut, s’il reste présent est sans doute moins envahissant et qu’on accepte un peu mieux cette pauvreté comme une possibilité de nous ouvrir davantage à la grâce. Nos heures d’adoration ne sont pas toujours enflammées, mais nous y restons fidèles et la fidélité, en matière d’amour est l’expression la plus belle qualité que l’on peut offrir. A l’inverse si nous cessions d’aller à la messe, de recevoir la force de l’Eucharistie, nous verrions forcément une tiédeur s’installer en nous, la foi deviendrait plus une affaire de convictions intellectuelles, de valeurs à défendre qu’une histoire de relation dynamisante entre les pauvres que nous sommes et le Seigneur.
Il me semble que c’est ce que nous suggère le parallèle avec la manne. Jésus lui-même fait ce parallèle dans l’Evangile et toute la 1° lecture nous parlait de la manne. La principale caractéristique de la manne, c’est qu’elle a permis au peuple des hébreux de vivre dans un contexte particulièrement hostile qui est rappelé dans la lecture qui parle du désert comme un lieu vaste et terrifiant, pays des serpents brûlants et des scorpions, pays de la sécheresse et de la soif. Sans la manne, ils seraient morts. Oh, c’est sûr que le matin, ils ne se levaient pas forcément avec un enthousiasme délirant pour aller récolter la manne, c’était tous les jours la même nourriture. Il peut se faire que, certains jours pour ceux qui vont à la messe tous les jours, certains dimanches pour ceux qui vont à la messe le dimanche, on ne parte pas avec un enthousiasme délirant à la messe ! Oui, c’est possible et il faut accepter de le reconnaître. Mais imaginez un seul instant ce que seraient devenus les hébreux si, lassés par cette nourriture, ils avaient arrêté d’aller la chercher, c’était chronique d’une mort annoncée ! Il en va de même avec nous.
Heureusement, toutes les messes ne sont pas à vivre de manière totalement aride en n’ayant que la foi pour soutenir notre fidélité. De temps en temps, le Seigneur va nous faire de beaux cadeaux à la messe. Et vous savez que le concile Vatican II a souligné qu’il y avait 4 formes principales par lesquelles le Christ se rendait présent à la messe. Soyons donc attentifs car ces cadeaux pourront nous être faits dans l’une de ces 4 formes de présence surtout pour ceux qui ne peuvent communier.
– La 1° forme de présence, c’est l’assemblée. Nous croyons que le Seigneur se donne à rencontrer par les frères : quand 2 ou 3 sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux. A certaines messes, on va le sentir par la qualité de l’accueil fraternel, l’harmonie des chants, les sourires échangés, la bienveillance déployée …
– La 2° forme de présence, c’est la Parole, nous croyons que la Parole est aussi une vraie nourriture. Le curé d’Ars qui avait un respect et une foi hors-norme en la présence réelle du Christ dans le pain et le vin disait : « Notre-Seigneur qui est la vérité même, ne fait pas moins de cas de sa Parole que de son Corps… Il est tout à fait impossible d’aimer Dieu et de lui plaire sans être nourri de cette Parole divine. » Alors, à certaines messes, c’est une Parole tirée des lectures qui vient toucher notre cœur, le consoler, le guérir, l’encourager et ça nous fait tellement de bien.
– La 3° forme de présence, c’est évidemment dans le Pain et le Vin consacrés. J’aime rappeler cette parole du diacre St Ephrem : lorsque vous venez communier avec Foi, vous mangez le pain et le feu car le Seigneur a rempli le pain de sa présence et de son Esprit. Il nous arrive, je l’espère, de l’expérimenter de temps en temps, de vivre après la communion un moment de belle intimité.
– Enfin la 4° forme par laquelle, le Seigneur se rend présent à la messe, c’est parfois la plus voilée puisqu’il s’agit du prêtre. A la messe, la théologie dit que le prêtre agit « in persona Christi », il prête ses lèvres au Seigneur puisqu’il dit les paroles de la consécration en disant non pas : ceci est le Corps du Seigneur, mais, ceci est mon corps. Je dis que cette présence peut être souvent voilée car, il n’est pas toujours évident de reconnaître la présence du Christ dans un homme grincheux, peu engagé, au moins en apparence, dans ce qu’il célèbre. Mais dans la foi, nous croyons que, malgré toutes ses limites, il donne le Seigneur.
Seigneur, dans l’une de ces 4 formes, donne un cadeau, à tous ceux dont la fidélité est chancelante, pour qu’ils puissent croire un peu plus en ta présence et son action bénéfique dans leur vie.
Amen!