Nous avons terminé la lecture suivie des lettres de Paul et nous n’y reviendrons pas avant l’année prochaine, du moins pour une lecture suivie car il pourra y avoir ici ou là, pour une fête, la lecture d’un extrait de lettre de Paul. Jusqu’à la fin de l’année liturgique, dans un peu plus de 15 jours, nous lirons des écrits johanniques, aujourd’hui et demain, des extraits de la 2° et de la 3° lettre et, à partir de lundi, la lecture de très larges extraits du livre de l’Apocalypse.
Dans la 1° lecture, nous entendions Jean se présenter comme un vieil homme, un ancien, aux deux sens du mot pour les Ecritures, c’est-à-dire responsable de communauté, mais aussi homme âgé. Il écrit pour une Dame élue, belle expression pour désigner une Eglise locale, et, comme toutes les personnes âgées qui sentent leur fin approcher, il écrit pour transmettre ce qui lui semble le plus important. Il n’a plus de temps à perdre pour rectifier des broutilles, il ne veut plus que les chrétiens perdent leur temps dans des querelles stériles, alors il transmet ce qui lui parait essentiel et, dans cet extrait, l’essentiel va tourner autour de 2 points, l’amour fraternel et la rectitude de la foi.
- L’amour fraternel, c’est le refrain qu’il reprend quasiment en boucle dans ses lettres. Il est d’ailleurs bien conscient que ça doit apparaître aux yeux de ses lecteurs comme du rabâchage, c’est pourquoi il prend bien soin de préciser : Et maintenant, Dame élue, je t’adresse une demande : aimons-nous les uns les autres.– Ce que je t’écris là n’est pas un commandement nouveau, nous l’avions depuis le commencement. Ce n’est pas nouveau, mais c’est toujours à reprendre et nous aurions tort de passer trop vite sur cet appel sous prétexte que nous le connaissons. Oui, nous le connaissons, mais ça ne veut pas dire pour autant que nous le vivons.
- La rectitude de la Foi. Beaucoup d’imposteurs se sont répandus dans le monde,
ils refusent de proclamer que Jésus Christ est venu dans la chair. Nous sommes à la fin du 1° siècle et une hérésie se répand, le gnosticisme, la gnose qui va mobiliser bien des Pères de l’Eglise qui lutteront de toutes leurs forces, on peut particulièrement penser à St Irénée, le grand évêque de Lyon qui était d’ailleurs en filiation directe avec St Jean via Polycarpe. La gnose, c’était ce grand courant plus philosophique que théologique, d’ailleurs, qui prétendait qu’on parvenait au Salut par la connaissance, une connaissance réservée à des initiés. De manière étonnante, le pape François, dans son exhortation sur la sainteté va reparler de la gnose qui resurgit actuellement et qui est un obstacle majeur pour parvenir à la sainteté. Il pointe un autre obstacle qui est le pélagianisme, cette doctrine qui prétend qu’on parvient au Salut par les efforts que l’on fait à la force de ses poignets. Ces deux courants sont terribles parce qu’ils laissent entendre que le Salut ne se reçoit pas, mais qu’on se le donne, soit par la connaissance en parvenant à appartenir au club restreint des initiés, soit par les efforts. Dans ses lettres, St Jean va lutter contre la gnose en invitant à revenir au plus fondamental de la foi, à savoir : Jésus s’est véritablement incarné pour nous révéler le Père. Tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître, je l’ai fait connaître à tous, pas à des initiés-privilégiés ! Et ce n’est pas seulement en écoutant Jésus qu’on apprend qui est Dieu, mais c’est aussi le regardant vivre concrètement que nous apprendrons qui est le Père : qui me voit, voit le Père, dit Jésus ! D’où l’importance mise sur l’incarnation.
Venons-en à l’Evangile. J’ai annoncé que lundi, nous entrerons dans la lecture suivie de l’Apocalypse, l’Evangile nous en donne comme un avant-goût en nous plongeant dans le style apocalyptique. Vous l’avez déjà entendu 1000 fois, mais il est bon de le redire, la difficulté pour nous, c’est que le mot Apocalypse, dans le langage habituel est synonyme de catastrophe. Si vous entendez des gens dire : c’était l’apocalypse, ils ne parlaient évidemment pas du livre biblique, ni-même du concept biblique, ils veulent juste dire : c’était la « cata » ! En grec, apocalypse signifie non pas catastrophe, mais dévoilement, c’est-à-dire que le voile est levé et qu’on voit enfin Dieu qui agit. Oui, mais de manière très paradoxale, j’en conviens. La plus grande apocalypse, elle se produit à la mort de Jésus, quand le rideau du temple se déchire, c’est étymologiquement un dévoilement, le voile-rideau du Temple est levé, on voit enfin clairement Dieu à l’œuvre.
Mais encore une fois, ce qu’on voit nous semble tellement contraire à ce qu’on s’attendait à voir qu’on a de la peine à croire que, dans ce qu’on voit, c’est Dieu à l’œuvre qu’on voit. Finalement, on pourrait donner cette définition et je pense qu’elle nous parlera avec ce qu’on a encore appris hier : l’apocalypse, c’est le dévoilement de l’action de Dieu qui manifeste sa présence et son amour salvateur au cœur des catastrophes que nous pouvons vivre. L’apocalypse, ce n’est pas la catastrophe, c’est le dévoilement de l’action de Dieu qui manifeste sa présence et son amour salvateur au cœur des catastrophes.
Ce courant apocalyptique, il est né au milieu du 2° siècle avant J.C. Rappelez-vous, c’était cette époque terrible où le peuple hébreu vivait sous la domination de ce fou sanguinaire qu’était le roi Antiochos. Avec lui, on allait de catastrophes en catastrophes ; en effet, plus le peuple voulait rester fidèle à sa foi, plus ça stimulait ce roi à inventer des supplices raffinés pour les punir et chercher à les exterminer. La révolte de Judas Maccabée et de ses frères date de cette époque. Eh bien, c’est dans ce contexte de catastrophe que va naître la littérature apocalyptique et c’est pour cela qu’on va l’assimiler à une littérature annonçant des catastrophes. Mais ce n’est pas du tout ça ! La littérature apocalyptique n’annonce pas des catastrophes, elle les constate, elles sont là et bien là ces catastrophes, il suffit d’ouvrir les yeux. Mais la littérature apocalyptique va inviter les croyants à ne pas en rester à ce qu’ils voient, oui encore une fois, ce qu’ils voient est juste, il y a des catastrophes, mais la littérature apocalyptique va tirer le voile pour qu’on n’en reste pas à ce qu’on voit mais qu’on puisse, avec les yeux de la foi, voir Dieu qui révèle sa présence et son amour salvateur au milieu des catastrophes.
Bon, je crois que j’en ai assez dit sur la littérature apocalyptique en général pour que nous puissions entrer dans une compréhension facilitée de cet Evangile qui appartient à cette littérature. Déjà au temps de Jésus, mais encore bien plus au moment où St Luc écrit son Evangile, on est convaincu qu’une catastrophe se prépare, et elle arrivera en 70 avec la chute de Jérusalem et la destruction du Temple. Jésus, et St Luc reprenant les paroles de Jésus, veulent aider le peuple des croyants à poser un regard de foi sur ces événements. Un regard superficiel ne verra que la catastrophe, l’effondrement, un regard de foi pourra discerner que cet effondrement n’est pas qu’un événement pour les médias mais qu’il prépare un avènement, l’avènement de quelque chose de nouveau, de plus beau, de plus vrai. Vous comprenez bien que toute ressemblance avec une situation que nous vivons actuellement n’est pas totalement fortuite !
Mais il faut quand même entendre la mise en garde parce que, tous ne seront pas capables de poser ce regard de foi, d’entrer dans la nouveauté promise par cet avènement. Jésus parle de ceux qui sont accrochés à ce qu’ils considèrent comme des bienfaits de l’ancien monde, bienfaits qu’ils ne sont pas prêts à lâcher. Ce n’est pas à des péchés qu’ils sont accrochés, mais à des réalités de confort : manger, boire, acheter, vendre, planter, bâtir … Si ces activités de confort sont les seules activités qui te mobilisent, alors, dans la catastrophe, tu ne verras qu’une catastrophe qui perturbe ce confort routinier dans lequel tu t’étais installé. Mais si tu es capable d’un sursaut en comprenant que tu t’étais laisser anesthésier par ces activités en y mettant ton cœur plus que de raison, alors, tu pourras te réjouir, non pas des catastrophes, mais de l’avènement qui va surgir sur la place libérée par ces effondrements multiples. C’est sans doute pour nous une invitation à vérifier avec le plus de lucidité possible ce à quoi nous nous sommes mis à tenir et qui pourrait nous anesthésier. Car nous le comprenons en lisant cet Evangile, rien ne sera automatique : deux personnes seront dans le même lit : l’une sera prise, l’autre laissée, deux femmes seront ensemble en train de moudre du grain : l’une sera prise, l’autre laissée. Et on pourrait continuer en disant : deux personnes seront ensemble à chanter l’office dans la même chapelle, l’une sera prise, l’autre laissée ! Il ne s’agira pas d’un choix arbitraire, mais seuls ceux qui tiendront à l’essentiel ne s’effondreront pas.
Et Jésus conclut en citant sans doute un proverbe de son époque : « Là où sera le corps, là aussi se rassembleront les vautours. » Ce n’est pas un dicton à la Nostradamus ! Jésus dit clairement : Quand vous voyez des vautours, c’est un signe qui ne trompe pas, il y a des cadavres ! Eh bien les signes qui annonceront cet avènement ne tromperont pas, ce seront les catastrophes. Mais aurons-nous fait le travail nécessaire pour poser un regard de foi sur les événements que nous vivrons et même que nous vivons déjà ? Allons-nous en rester à un regard superficiel qui ne peut que constater un effondrement et se plaindre de tout ce que nous perdons ou allons-nous pouvoir participer à l’avènement de ce que le Seigneur veut faire surgir et qui est déjà promesse de Salut, c’est-à-dire de vie et de vie où seul l’amour nous mobilise totalement.