12 août : jeudi 19° semaine ordinaire. Articuler harmonieusement grâce et liberté

Même si vous n’avez pas une grande culture biblique, vous aurez reconnu dans la 1° lecture un « remake » de la traversée de la Mer Rouge. C’est donc clair, l’entrée en Terre promise s’effectue de la même manière que la sortie d’Egypte. Pour la sortie d’Egypte, Moïse avait frappé les eaux de la mer qui avaient constitué une muraille d’eau à droite et une muraille d’eau à gauche au milieu desquelles le peuple était passé à pied sec. Ici, pour l’entrée en Terre Promise, c’est exactement le même scénario, mais, cette fois, c’est Josué et non plus Moïse qui sera à la manœuvre puisque, nous l’avons vu, hier, Moïse est mort juste après avoir vu la Terre Promise depuis le mont Nébo. 

Enfin quand je dis que c’est Josué qui est à la manœuvre, ce n’est pas tout à fait juste, je devrais plutôt dire que c’est Dieu. En effet, vous aurez remarqué que, dès que l’arche d’Alliance, tabernacle de la présence de Dieu, touche les eaux du Jourdain, celles-ci vont s’arrêter de couler permettant à nouveau au peuple des hébreux de traverser à pieds secs. Mais, quand je dis que c’est Dieu qui est à la manœuvre, je ne rends encore pas tout à fait compte de la réalité, il serait préférable de dire que c’est Dieu avec Josué. Parce que, de fait, Dieu sollicite bien la participation de Josué, on peut même être plus précis en disant que Dieu sollicite la foi de Josué comme il avait d’ailleurs sollicité la foi de Moïse pour la traversée de la mer. Dieu aurait pu réaliser un coup d’éclat en demandant à Josué d’être simple spectateur de ce coup d’éclat, mais il a voulu l’associer et la manière dont le texte explique cela est très beau, il nous est dit que « Dieu veut grandir Josué devant le peuple. » Dieu veut montrer à son peuple qu’il est tout autant avec Josué qu’il l’était avec Moïse et qu’il suffira à Josué de vivre dans la foi pour que Dieu puisse continuer à accomplir des merveilles en faveur de son peuple. Josué ne pourra rien faire sans compter sur la puissance de Dieu et la puissance de Dieu ne s’exercera que lorsque Josué aura assez de foi pour la solliciter. Merveilleux équilibre qui nous montre comment s’articule la grâce et la liberté.

Pour bien me faire comprendre, j’aime raconter cette histoire d’un jeune prêtre qui est nommé curé dans une paroisse qu’on pourrait qualifier de sinistrée ! Plus grand monde à la messe, plus grand monde au caté, plus grand monde dans les différentes équipes qui permettent à la paroisse de vivre. Et au bout d’une année de présence, grâce à son dynamisme ce jeune prêtre a réussi à inverser la vapeur, la paroisse est repartie. Le jeune prêtre est heureux d’inviter son évêque et il lui montre tout ce qu’il a fait et les beaux fruits que ça porte. Mais l’évêque est un peu soucieux, il a peur que son jeune prêtre prenne la grosse tête, alors, à chaque fois que le jeune prêtre dit : j’ai réussi à remettre en route ceci et cela, l’évêque dit : vous voulez dire que l’Esprit-Saint a réussi à redresser la situation. C’est alors que le jeune prêtre dit à son évêque : Oui, bien sûr Monseigneur, c’est l’Esprit-Saint qui est à l’œuvre mais si vous aviez vu l’état de la paroisse quand je suis arrivé et qu’il n’y avait que l’Esprit-Saint qui travaillait, ce n’était pas brillant !

Nous ne ferons jamais rein de grand sans le Seigneur, sans la force du Saint-Esprit, mais le Seigneur ne fera jamais rien sans nous, sans que, par notre liberté et donc notre engagement, nous ne collaborions au travail de la grâce. Et il faut bien mettre les choses dans le bon ordre : d’abord un acte de foi de notre part manifestant notre disponibilité à collaborer et ensuite le Seigneur répond en donnant sa grâce. Dieu ne dit pas à Josué, j’arrêterai l’eau et quand tu verras que l’eau est arrêtée, tu feras avancer l’Arche et le peuple à la suite. Non, tu fais avancer l’Arche et le peuple à la suite et l’eau s’arrêtera. C’est ce qui se passe dans l’Evangile, par exemple avec la guérison des lépreux. Jésus leur dit : allez et montrez-vous aux prêtres. Mais quand il leur donne cet ordre, ils ne sont pas encore guéris ! Ils auraient pu dire : on attend d’être guéri et on se mettra en route ensuite ! Non, ce n’est jamais ainsi : fais le 1° le pas de la foi et le Seigneur bénira ce pas en donnant sa grâce.  C’est exactement ce que raconte le père Cantalamessa dans une anecdote le concernant. Un jour où il connaissait « un coup de mou » au plan spirituel, il dit au Seigneur : donne-moi plus de ferveur et je te donnerai plus de temps dans la prière ; il raconte qu’il a entendu le Seigneur lui dire : donne-moi plus de temps et je te donnerai plus de ferveur !

Evidemment, il ne s’agit pas de faire n’importe quoi ! Au moment des Tentations, Jésus repoussera la suggestion du Tentateur qui lui suggère d’épater la galerie en se jetant du haut du Temple et en croyant que Dieu amortira la chute en envoyant des anges ! Non, quand on a discerné qu’il y a un pas à faire dans la foi, osons le faire, la bénédiction viendra ensuite. Ne demandons pas la bénédiction en 1° pour avoir le courage d’agir ! 

Oui, il peut y avoir des signes d’encouragement qui sont donnés pour montrer qu’on est dans le vrai, mais c’est toujours la foi, la confiance que le Seigneur bénira en accordant largement sa grâce.

Venons-en à l’Evangile et à notre cher ami Pierre qui nous ressemble tellement ou à qui nous ressemblons tellement ! Elle est belle la générosité de Pierre comme notre générosité peut être belle. A l’époque de Jésus les rabbis les plus généreux disaient qu’il fallait pardonner 3 fois par jour, Pierre propose 7 fois : belle générosité de Pierre, oui, mais générosité encore calculée, comme l’est si souvent notre générosité ! Or, méfions-nous bien, parce que si nous nous mettons à calculer avec les autres, il ne faudrait pas que Dieu se mette à calculer avec nous sur les mêmes bases que nous. C’est le sens de la parabole que raconte Jésus à la suite de la question de Pierre. Là encore, pour que nous la comprenions bien, j’aimerais raconter cette histoire. J’ai assisté un jour, dans une famille amie à cette belle scène. La maman demande à un de ses fils de l’aider à faire la vaisselle, ce n’était pas son tour, mais la maman était débordée. Le fils lui dit : d’accord, mais tu me donnes 1 euro. La maman lui dit : « c’est ok, mais demain matin quand tu viendras prendre le petit dej, tu me donneras 1 euro puisque je l’aurai préparé et tu me donneras 1 euro quand tu t’habilleras puisque tu mettras des habits propres et repassés que j’aurai préparé pour toi et à midi, avant de te mettre à table, tu me donneras 1 euro pour les courses que je suis allé faire et après manger, tu me donneras encore 1 euro pour le repas que j’aurai préparé … l’enfant lui dit : c’est bon, maman, j’ai compris, je vais faire la vaisselle ! » 

Si nous nous mettons à compter, à calculer notre générosité, les pardons donnés, nous risquons bien de nous retrouver perdant si Dieu nous dit : ok, on va tous tout compter, très vite, comme cet enfant, nous risquons de comprendre que nous allons vers la faillite. Alors vous me direz : oui, mais avec Dieu, on ne risque rien, puisque lui, il ne comptera jamais ! Oui, c’est vrai, mais la parabole nous alerte quand même sur un point et je crois que c’est exactement le sens de la demande du Notre Père que nous avons souvent du mal à comprendre : Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés. Ça ne veut pas dire que Dieu ne nous pardonnera que si nous avons pardonné, mais ça veut dire que le pardon de Dieu, toujours offert, coulera sur nous comme l’eau sur les plumes d’un canard si nous ne pardonnons pas. Pardonner, c’est ouvrir son cœur, or comment le pardon de Dieu pourrait-il pénétrer notre cœur et accomplir son œuvre en nous si notre cœur reste fermé ? Et je crois que c’est vraiment le sens de la Parabole. Dieu ne va pas nous faire rôtir en enfer si nous ne pardonnons pas, mais son amour miséricordieux ne pourra pas nous rejoindre et nous transformer tant que nous ne pardonnerons pas sans calcul.

Mais, pour y parvenir, encore faut-il bien comprendre ce que pardonner veut dire. Quand des personnes disent : je ne VEUX pas pardonner, en fait souvent, elles veulent dire : je ne PEUX pas pardonner. Et quand elles disent : je ne peux pas pardonner, en fait, elles disent : je ne peux pas oublier. Mais pardonner, ce n’est pas oublier. Si quelqu’un me tire dessus et que je perde l’usage d’un bras ou d’une jambe, je peux pardonner, mais je ne risque pas d’oublier ! Mon handicap me rappellera toujours le mal qui m’a été fait. Pardonner, c’est dire à l’autre : ce que tu m’as fait, m’a profondément blessé, m’a fait profondément souffrir, mais je ne veux pas te réduire au mal que tu m’as fait, je crois que tu vaux plus que ce que tu as fait. Voilà ce qu’est le pardon que nous sommes invités à donner sans compter. 

Et rappelons-nous bien ce que je disais à propos de la 1° lecture : si nous osons, dans la foi, faire le 1° pas, la grâce du Seigneur nous visitera et nous deviendrons capables d’aller jusqu’au bout de la démarche. Ne disons pas au Seigneur : mets dans mon cœur la force et je ferai la démarche car il nous répondra à coup sûr : fais la démarche et moi, je te donnerai la force !

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