Quelle joie ! On m’a dit que je pouvais faire une homélie un peu plus longue pour nourrir la méditation de ceux qui sont venus vivre cette halte spirituelle … Vous pensez bien que je ne vais pas m’en priver, même si, rassurez-vous, je resterai raisonnable !
Il y a des personnes, quand on les voit arriver, on est à peu près sûr qu’il va se passer quelque chose de pas très agréable ! Soit elles nous disent une vacherie dans les premiers mots, soit elles nous fatiguent en nous racontant toujours les mêmes histoires interminables. Du coup, on serait assez tenté de les fuir et d’offrir leur présence aux autres, à ceux qui n’ont pas eu le temps de fuir ! Peut-être que c’est ce qu’a ressenti Jésus à l’arrivée de ce scribe qui vient à lui … parce qu’habituellement, les scribes ne ratent pas une seule occasion de mettre Jésus en difficulté quand ils le rencontrent. Mais, Jésus n’a pas fui, il a accepté la rencontre. Et il a bien fait car, pour une fois, ce n’est pas une question piège que pose ce scribe.
« Quel est le premier de tous les commandements ? » Cette question se posait vraiment parce que vous savez qu’en plus des 10 paroles de vie, il y avait 613 prescriptions qui venaient les compléter et c’est tout cet ensemble qui formait les commandements. Il fallait donc parvenir à les hiérarchiser, alors c’était la grande activité à laquelle on se livrait avec délectation dans les écoles rabbiniques en engageant des discussions sans fin. Et ça se faisait quasiment sous forme de jeu, il fallait être capable de faire un résumé de toute la loi en se tenant sur un pied … et comme les êtres humains ne sont pas des flamands roses, ils ne peuvent pas rester des heures sur un pied, il fallait donc être capable de produire une synthèse qui n’oublierait pas l’essentiel. Mais cela générait des discussions sans fin pour contester ce qui avait été retenu, d’ailleurs certains écoles de puristes refusaient de se prêter à ce jeu en estimant qu’aucun précepte aurait pu être considéré de moindre importance.
Le scribe qui s’avance vers Jésus, il ne lui demande pas de se tenir sur un pied pour lui résumer la loi, mais il lui demande quand même cette grande synthèse. Il a perçu que Jésus était un rabbi pétri des Ecritures, il est donc intéressé, il veut entendre la synthèse que sa sagesse lui a permis de mettre au point. La réponse de Jésus a dû le surprendre, parce qu’il y a quand même quelque chose de vraiment étonnant dans cette réponse. Je ne sais pas si vous avez déjà remarqué que Jésus ne cite aucune des 10 paroles de vie, ni aucune des 613 prescriptions. Pour répondre au scribe, il va chercher ailleurs dans les Ecritures et il lui donne le double commandement de l’amour. Jésus n’est pas intéressé par les débats d’école, pour lui, c’est clair : l’accomplissement parfait de la loi, ce n’est pas la stricte observance de tel ou tel commandement, l’accomplissement parfait de la loi, c’est l’amour. Avant-hier, nous l’entendions dire : je ne suis pas venu abolir la loi mais l’accomplir. Eh bien, comme le dit Paul dans la lettre aux Romains : l’accomplissement parfait de la Loi, c’est l’amour et la réponse de Jésus nous le montre déjà.
Permettez-moi de m’arrêter quelques instants sur les 613 prescriptions, parce que très souvent on critique le judaïsme en l’accusant de légalisme, ce n’est pas toujours faux, mais, comme souvent, avant de critiquer, il faut chercher à comprendre ! Dans ces 613 prescriptions et dans les commentaires rabbiniques qui en sont faits, il y a quelque chose de très beau à découvrir. Pourquoi 613 prescriptions et pas 618 ou 589 ? La raison est toute simple, tout le monde sait que 613, c’est 365 + 248 ! Or, vous le savez aussi, les juifs aiment beaucoup jouer sur les nombres : 365 + 248, ça leur parle bien !
En effet, il y a 365 prescriptions négatives or 365 c’est le nombre de jour de l’année, c’est un peu comme si la loi disait : chaque jour, tu dois rester vigilant pour ne pas franchir la ligne rouge. Et il y a 248 obligations. Là, c’est un peu plus tiré par les cheveux, mais ce sont les commentaires rabbiniques qui l’affirment, selon les connaissances médicales de l’époque, 248, on considérait que c’était le nombre de parties qui composaient le corps humain. Si vous additionnez les deux oreilles, le nez, les dents et tout le reste, ça fait 248 !
C’est un peu comme si la loi disait : tout ton corps doit être engagé dans le respect de la loi, il n’y a pas un seul organe qui soit dispensé de bien se comporter ! Il me semble d’ailleurs que c’est ce que veut dire le passage de l’Ecriture que cite Jésus en faisant cette énumération : de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. Bien sûr, on pourrait se livrer à une étude anthropologique en analysant chacun de ces termes et leur interaction. Mais je ne suis pas sûr que ce soit ce que nous propose l’Ecriture. Avec cette énumération, l’Ecriture veut nous dire que c’est toi et toi tout entier qui est engagé dans cet immense défi qui consiste à aimer Dieu.
Vous vous rappelez peut-être ce passage de Don Camillo où il se prépare pour la énième fois à aller flanquer une volée à Pépone, il passe dans son église pour sortir et il cache soigneusement un bâton dans son dos, le bâton qu’il a préparé pour flanquer la volée à Pépone. Evidemment Jésus l’arrête et pour le dissuader d’utiliser ce bâton contre Pépone, il lui dit : « Don Camillo, rappelle-toi que tes mains servent à bénir ! » Don Camillo lâche son bâton, mais il ne semble pas très contrarié car il vient de trouver une autre solution pour flanquer la volée à Pépone ! Il dit au Seigneur : les mains, d’accord, Seigneur, mais pas les pieds et il fonce à toute vitesse pour administrer à Pépone un magistral coup de pied aux fesses ! Eh bien, il n’y a pas que les mains qui servent à bénir, à aimer, les pieds aussi et tout le reste du corps également, il me semble que c’est le sens de cette énumération : de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force.
En ce vendredi de carême, avec la proposition spirituelle qui est faite, nous pourrions donc nous interroger pour repérer de manière extrêmement concrète si tout mon corps est engagé dans le combat de l’amour et ça ouvrira sans doute des pistes pour une bonne confession. Je ne veux pas passer en revue les 248 parties de notre corps, d’autant plus que certaines n’ont pas grand intérêt, je ne suis pas sûr qu’examiner notre manière d’aimer à partir de notre usage d’un métatarse nous conduise bien loin ! Mais chacun pourrait s’employer à passer en revue les organes qui commandent les différents sens. Comment mes yeux sont ou ne sont pas au service de l’amour ? Et mes oreilles, ques-ce que je refuse d’entendre ou qui est-ce que je refuse d’écouter ou que j’écoute avec un filtre ? Je vous laisse faire le travail, et si, pour l’odorat vous manquez d’idées, demandez-vous qui vous ne pouvez pas sentir ! Pour que l’examen soit complet, allez encore un peu plus loin en regardant ce qu’on pourrait qualifier comme des excroissances du corps humain. Chez certains, le téléphone portable est vraiment devenu une excroissance de leur corps au point qu’il leur semble inconcevable de pouvoir s’en passer, leur retirer leur téléphone, c’est comme les amputer ! Alors comment mon usage du téléphone est-il un atout ou un handicap dans mon engagement pour le combat de l’amour ? Pour d’autres, c’est leur carte bancaire qui est devenue une excroissance, ils l’ont tellement souvent à la main ou leurs envies permanentes et débridées les font rêver de l’avoir plus souvent et regretter si souvent d’avoir un compte en banque pas suffisamment garni ! Prenons le temps de bien tout regarder : de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit, de toute ta force, de tout ton corps et de toutes ses excroissances !
Dans la réponse de Jésus, qui cite les Ecritures, reste à comprendre encore : ce « comme toi-même » « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Et on va faire de grands développements pour dire qu’il faut apprendre à s’aimer soi-même sinon on ne pourra pas aimer les autres. Il y a du vrai mais on ne peut pas se limiter à cette lecture qui disqualifierait ceux qui n’arrivent pas à s’aimer. J’avais lu une analyse exégétique de haut niveau sur ce « comme toi-même » et il semble bien que, lorsque la bible a été traduite en grec, le mot utilisé qui a donné « comme soi-même » n’ait pas été le meilleur. La tournure hébraïque devrait plutôt être traduite par « qui est comme toi » « Tu aimeras ton prochain qui est comme toi. » C’est-à-dire que c’est d’abord une insistance sur la dignité de tout être humain. Chaque être humain est un être humain comme toi, tu n’as donc pas à faire de différences en décidant d’aimer telle catégorie d’êtres humains et en délaissant telle autre. Et cette tournure hébraïque insiste aussi sur le besoin fondamental de chaque humain d’être aimé. « Tu aimeras ton prochain qui est comme toi » c’est-à-dire qui, comme toi, a besoin d’être aimé.
Le dernier élément que je voudrais souligner, c’est l’ultime remarque de Jésus : « Tu n’es pas loin du royaume de Dieu. » Cette remarque pourrait nous interroger parce que ce scribe répète pratiquement mot pour mot ce que Jésus vient de dire … alors pourquoi ne lui met-il pas un 20/20 ? Pourquoi lui dire : « Tu n’es pas loin du royaume de Dieu. » Eh bien, tout simplement parce qu’au niveau des paroles, il peut avoir 20/20 mais les paroles ne suffisent pas, encore faudra-t-il les vivre ! Et c’est là que ça se complique pour un scribe ou plus largement pour n’importe quel être humain. Aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit et de toute sa force, c’est-à-dire en nous engageant totalement, tout entier dans le défi et aimer l’autre qui est comme moi … c’est bien au-dessus de nos forces ! C’est pour cela que je vous proposais en début de carême de prendre le Saint Esprit comme coach de carême. Quand on le prend vraiment à nos côtés et qu’on se met à compter pour de bon sur sa puissance, on n’en finit pas de s’étonner de tous ces dépassements qu’il nous permet d’accomplir ! Oui, ce n’est qu’en prenant le Saint-Esprit comme coach que nous deviendrons capables de mettre en œuvre cette parole de Jésus qui a alimenté votre méditation de ce matin : va, et toi, aussi, fais de même !