12 septembre : 24° dimanche ordinaire. Ne pas confondre fatalité et fidélité

 « Au dire des gens, qui suis-je ? » C’est une bonne question que pose Jésus et c’est une question qui pourrait être encore posée aujourd’hui. Et il est probable que les réponses qu’on obtiendrait aujourd’hui ressembleraient aux réponses rapportées par les apôtres hier. La majorité des gens pensent que Jésus est quelqu’un de bien, comme pouvaient l’avoir été, en leur temps, Elie ou Jean-Baptiste. Encore aujourd’hui, Jésus reste une figure marquante dans l’histoire de l’humanité, quelqu’un de bien. Mais Jésus n’avait pas posé cette question pour mesurer sa cote de popularité ! Le fait de savoir qu’il est quelqu’un de bien ne le satisfait pas du tout pas plus hier qu’aujourd’hui, d’ailleurs ! Parce qu’il y a un problème dans la réponse que font les apôtres, dans les opinions qu’ils rapportent à Jésus : pour tous, Jésus est quelqu’un de bien, mais un homme du passé. Elie, c’était loin dans l’histoire, Jean-Baptiste, c’était moins loin, mais c’était quand même du passé. Et c’est bien le drame qui se rejoue aujourd’hui, la plupart de ceux qui pensent que Jésus est quelqu’un de bien, le considèrent comme un personnage du passé. Un personnage qui aura marqué l’histoire de son temps et qui l’aura tellement marquée qu’on en parle encore aujourd’hui, mais il est un personnage du passé.

Le grand défi de la foi, c’est de passer de cette conception de Jésus personnage du passé à Jésus personne vivante aujourd’hui. Un personnage du passé, on parle de lui, une personne, on lui parle et ça change tout ! Si tous les matins, au petit déjeuner, vous parlez pendant un quart d’heure de Napoléon ou Socrate, vous allez finir par lasser votre entourage, mais si tous les matins, en vous réveillant, vous parlez un quart d’heure à Socrate ou Napoléon, ne le dites pas trop autour de vous parce que ça risque de vous créer des problèmes ! Un personnage du passé, tout ce qu’on peut faire, c’est de parler de lui, avec quand même le risque de fatiguer notre entourage qui ne partagerait pas la même admiration ! Le défi de la foi, c’est de faire passer Jésus du statut de personnage admirable du passé à personne qui vit aujourd’hui et qui me fait vivre et à qui je parle. Alors nous pouvons toujours nous interroger en nous posant une question toute simple : est-ce que je passe plus de temps à parler de Jésus qu’à parler à Jésus ? Passer du respect, de l’admiration pour un éminent personnage du passé à la communion avec une personne, voilà l’itinéraire de la Foi.

Il y en a un qui avait pas mal réussi ce passage, c’est Pierre. Jésus ne s’était pas contenté des réponses qui avaient été apportées lui assurant qu’il était bien populaire. Il pose donc la question à ses apôtres : mais vous, vous qui êtes avec moi, vous dites quoi ? La réponse de Pierre est admirable, elle est très synthétique et, surtout, elle tranche avec les opinions rapportées : « Tu es le Christ. » Pour parler de Jésus, Pierre ne se réfère plus au passé, mais il répond par un présent : « tu es » et c’est un présent tourné vers l’avenir : « tu es le Christ. » Ce terme de Christ, il est l’équivalent de Messie et le Messie, c’est Celui qui vient accomplir la promesse, celui qui répond à notre espérance, à nos aspirations les plus profondes. Quelle belle réponse de foi ! On comprend que, dans l’Evangile de Matthieu, Jésus précise que cette réponse, Pierre ne peut pas l’avoir inventée, elle lui a été soufflée par le Saint-Esprit.

Alors, puisque Pierre, avec cette réponse inspirée, ouvre la porte de la foi, Jésus va s’y engouffrer et il va faire toute une catéchèse sur le sens de sa mission parce qu’il veut que tout soit bien clair. C’est comme s’il disait à Pierre et aux apôtres : puisque vous croyez que je suis le Messie, eh bien, il est temps que je vous explique comment je vais accomplir cette mission. Et c’est donc là que Jésus leur explique qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup et il donne pas mal de détails. Là, Pierre monte au créneau et il dit : non, ce n’est pas possible ! Quand on y réfléchit bien, ce n’est pas étonnant que Pierre réagisse comme ça parce que la formulation de Jésus était quand même un peu raide. « Il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup. » Il fallait, mais qui est-ce qui a décidé qu’il fallait ces souffrances ? Longtemps on a dit que c’était Dieu qui avait décidé cela. La théologie a dit des horreurs sur le sujet ! On a pensé que Dieu avait été offensé par le péché des hommes et qu’il exigeait réparation. Mais comme celui qui avait été offensé était parfait, il ne pouvait y avoir qu’un être parfait qui répare, ça ne pouvait donc être que le Fils et comme l’offense avait été très grande, il fallait de grandes souffrances pour racheter cette faute et cette offense.

Quelque part, Pierre a raison quand il se révolte, non ce n’est pas possible un truc comme ça, c’est trop monstrueux ! On comprend que Pierre ne comprenne pas, d’autant plus qu’il aime Jésus, donc une telle perspective est insoutenable. Mais, là où Pierre a tort, c’est qu’il ne demande pas à Jésus de lui expliquer pourquoi il va falloir tant de souffrances, il réagit et il réagit fortement. Le texte que nous avons lu dit : « Pierre, le prenant à part, se mit à lui faire de vifs reproches. » Le texte grec est encore plus fort, il dit que Pierre rabroua Jésus. Ce verbe rabrouer, dans l’Evangile, habituellement c’est Jésus qui en est le sujet et il est utilisé pour dire comment Jésus s’y prend avec les esprits mauvais : il les rabroue. Eh bien, c’est ce verbe qui est utilisé pour qualifier la réaction de Pierre quand Jésus annonce ce qui va lui arriver. Pierre, de bonne foi, cherche à expliquer à Jésus qu’il déraille … comme quoi la bonne foi n’est pas encore la foi bonne ! Il ne suffit pas de faire les choses de bonne foi ou de prononcer des paroles de bonne foi pour qu’elles soient l’expression d’une foi bonne ! 

La réaction de Jésus ne va pas se faire attendre, à son tour, Jésus rabroue Pierre, notre texte disait : « il interpella vivement Pierre », mais c’est toujours le même verbe grec. Evidemment, si Jésus réagit de cette manière, ce n’est pas pour se venger en rabrouant celui qui l’a rabroué ! Non, il va d’ailleurs être très explicite en traitant Pierre de Satan, mais là encore, comprenons bien, Jésus ne veut pas humilier Pierre, Jésus n’a jamais humilié personne, mais Jésus sent que c’est Pierre qui déraille et qu’il est en train de se laisser gagner par l’Adversaire. La bonne foi, Jésus ne s’en contente pas, il veut ouvrir les yeux de Pierre en utilisant des paroles fortes pour le réveiller. Et vous savez, c’est magnifique parce que ces paroles nous sont rapportées par l’évangéliste Marc. Marc n’était pas un des 12 apôtres, il n’a donc pas pu écrire son Evangile à partir de ses souvenirs personnels, il a fallu que quelqu’un lui raconte. Et qui lui a raconté ? Pierre lui-même ! En effet, Marc a été le secrétaire de Pierre, c’est dans ce moment que Pierre lui a raconté tous ces souvenirs et c’est pour cela que certains exégètes ont donné à l’Evangile de Marc ce nom suggestif : Evangile de Pierre. C’est donc Pierre lui-même qui a raconté à Marc que Jésus l’avait traité de Satan. J’imagine que lorsqu’il racontait ça, les larmes devaient couler encore abondamment et Pierre enchainait sûrement en racontant aussi son reniement pour montrer que Jésus avait eu bien raison de le mettre en garde.

Quand le Saint-Esprit sera venu illuminer l’intelligence de Pierre, le faisant passer de la bonne foi à la foi bonne, Pierre comprendra le sens de la parole de Jésus : « Il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup. » Il comprendra que cette parole n’exprime pas une fatalité voulue par Dieu mais une fidélité vécue dans l’amour. Dieu n’exigeait rien, il voulait juste sauver les hommes et c’est pour cela qu’il a envoyé son Fils, mais ce sont les hommes qui ont décidé de le faire mourir. Alors, lui, pour être fidèle jusqu’au bout, il a décidé de tout vivre dans l’amour. Oui, Pierre comprendra qu’il n’y avait aucune fatalité, mais une fidélité admirable. Du coup, il comprendra aussi le sens des paroles qui suivaient cette mise au point de Jésus, il comprendra que c’est ainsi que devront vivre les disciples, dans une fidélité d’amour vécue jusqu’au bout. Pour les disciples comme pour Jésus, Dieu n’exige rien, porter sa croix ce n’est sûrement pas accueillir joyeusement des souffrances que Dieu nous enverrait pour nous sanctifier. Rappelons-nous toujours ces paroles de Marthe Robin : « La douleur, la souffrance ne vient pas du ciel, mais le secours en vient, le bonheur en est. » Les souffrances, les croix, c’est la vie, c’est le mystère du mal qui se chargent de les mettre sur notre route, il ne nous est pas demandé de les accueillir comme une fatalité. Par contre, nous sommes invités à les vivre dans une grande fidélité d’amour en luttant contre le Satan qui aimerait que ces croix nous amènent à désespérer de Dieu et des hommes et nous replient sur nous-mêmes. Ne prêtons pas l’oreille aux suggestions du Tentateur dont la principale caractéristique est d’être le Père du mensonge, il ne cesse donc de nous suggérer des mensonges. Si nous voulons être des disciples, comme le disait Isaïe dans la 1° lecture, c’est le Seigneur qu’il faut écouter : « Le Seigneur mon Dieu m’a ouvert l’oreille. » Et quand j’écoute le Seigneur, c’est une parole de réconfort, d’encouragement que j’entends.

La lecture d’Isaïe continuait par ces mots : « Le Seigneur mon Dieu vient à mon secours ; c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages… Il est proche, Celui qui me justifie. Voilà que le Seigneur mon Dieu prend ma défense, alors qui me condamnera ? » Alors oublions les mensonges du Satan : dans les souffrances que nous vivons, dans les croix que nous portons, Dieu n’a rien exigé. Et, rappelons-nous que Jésus n’est pas un admirable personnage du passé mais Celui qui ne cesse de venir nous encourager, nous rejoindre quand la vie nous charge de croix trop lourdes pour mes pauvres épaules. Oui, Jésus se rappelle l’attitude bienfaisante de Simon de Cyrène qui avait soulagé son portement de croix alors, aujourd’hui, c’est lui qui devient notre Simon de Cyrène, mais un Simon de Cyrène revêtu de la douce puissance de l’amour divin. Du coup, comme le psalmiste nous invitait à le chanter aujourd’hui, dans la foi, nous voulons et nous pouvons proclamer : « Je marcherai en présence du Seigneur sur la terre des vivants. »

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