Je sais que j’ai une drôle de manière de visiter les monuments. Ça étonne souvent ceux qui sont avec moi, ça en choque même certains ! Je ne m’intéresse pas beaucoup aux détails ou en tout cas, je ne m’intéresse jamais en premier aux détails. Quand je visite une cathédrale, j’aime la regarder un moment de l’extérieur sans arrêter mon regard ni sur le tympan, ni sur d’autres détails. Et quand je rentre, je me plante au milieu pour admirer l’équilibre, la majesté et je rêve de voir ce qu’on ne voit pas : la charpente, les fondations. Et après seulement, j’irai voir l’un ou l’autre détail en déambulant, mais habituellement, sans jamais y passer beaucoup de temps. On me dit qu’en agissant ainsi je perds beaucoup, sûrement … mais, je n’y peux rien, ce qui m’impressionne le plus ce sont les grands équilibres. Cette manière de visiter s’explique sans doute par une particularité génétique, je suis d’une famille de maçon !
Si je vous raconte cela, c’est parce que la 1° lecture que nous avons entendue, l’hymne aux Ephésiens, c’est un véritable monument. Je n’ai donc pas envie de vous en décrire les détails en les commentant verset après verset, mot après mot. D’ailleurs ça serait impossible, dans le cadre d’une homélie, pour y parvenir, il faudrait se donner toute une semaine de retraite. Ce monument que constitue l’hymne aux Ephésiens avec cette hymne d’ouverture, tout particulièrement, pourrait alimenter une retraite entière. En la lisant, nous ne pouvons qu’être émerveillés par son équilibre, par l’architecture du mystère du Salut qui nous est dévoilée. Je vous suggère de prendre du temps, aujourd’hui, pour contempler cette architecture qui révèle les grands équilibres du mystère de la foi. Tout y est : La Trinité, l’élection, l’incarnation, la rédemption, l’eschatologie… Tout est évoqué, tout est intégré : quel équilibre ! Prenons le temps de contempler et de rendre grâce en nous exclamant comme nous le faisons régulièrement à la messe : Il est grand, vraiment grand le mystère de la Foi !
Et, comme dans ma manière de visiter, il y a quand même toujours l’un ou l’autre détail sur lequel je finis par m’arrêter, je voudrais juste attirer notre attention sur ce verset : « Il nous dévoile ainsi le mystère de sa volonté, selon que sa bonté l’avait prévu dans le Christ. » Nous nous interrogeons ou bien on nous interroge sur la volonté de Dieu : quelle est la volonté de Dieu sur moi ? Je fais remarquer qu’en associant le mot volonté à celui de bonté, Paul nous interdit d’interpréter la volonté de Dieu comme on l’entend trop souvent : Dieu aurait tout décidé pour nous, sans nous et sans forcément se préoccuper de nos aspirations profondes. C’est peut-être la conception des musulmans , mais ce n’est pas celle des chrétiens puisqu’il nous dévoile ainsi le mystère de sa volonté, selon que sa bonté l’avait prévu dans le Christ.
Alors, quelle est donc la volonté de Dieu ? Jésus l’avait exprimée de manière très claire : la volonté de mon Père, c’est que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés. Voilà la volonté de Dieu et cette volonté n’est pas négociable. Maintenant, dans le détail, les choses sont moins claires. On peut sans doute parler d’appel particulier mais parler de volonté de Dieu quand on réfléchit à son orientation de vie, ça me semble abusif. Pour illustrer cela, j’aime bien utiliser un exemple tiré de la vie de Marthe Robin.
Un jour, un prêtre vient la voir, il avait l’habitude de venir souvent la voir, ce prêtre arrivait à l’âge de la retraite et plusieurs propositions lui étaient faites. Il était assez désemparé car il ne savait pas laquelle choisir, il voulait jusqu’au bout faire la volonté de Dieu, mais il ne la voyait pas clairement. Il va donc voir Marthe, connue pour ses conseils judicieux et lui dit à peu près cela : « dans ce moment de ma vie, je n’arrive pas à reconnaître la volonté de Dieu » et Marthe lui répond : « mais enfin, mon père, la volonté de Dieu, elle est claire, il veut que vous soyez près du cœur de Jésus ! » Marthe refusait qu’on vienne la consulter comme si elle était une voyante. Elle dira avec humour qu’elle n’appartenait pas au syndicat des cartomanciennes ! Par contre, elle était très à l’aise pour réaffirmer ce qu’était la volonté de Dieu pour ce prêtre, à ce moment de sa vie : sa volonté, c’est que vous restiez près du cœur de Jésus … sous-entendu, peu importe la forme concrète que ça prendra.
Le Seigneur vous laisse choisir, parce qu’aucune des propositions qui vous sont faites n’est mauvaise, choisissez celle que vous voulez, mais plus profondément, choisissez de rester près du cœur de Jésus, c’est ce choix fondamental qui importe le plus ! Je trouve cet exemple assez lumineux parce que, pour nous engager dans des situations particulières, nous n’aurons pas, de manière habituelle, des indications divines qui nous montreront qu’il faut prendre tel chemin plutôt que tel autre. Mais le grand défi, quelles que soient les situations particulières, c’est que nous demeurions fidèles à la volonté de Dieu qui est que nous restions près du cœur de Jésus.
Il me semble que c’est ce que nous révèle l’hymne aux Ephésiens, avec, évidemment, des mots et une théologie plus élaborée que celle de Marthe. La volonté de Dieu, c’est une volonté de Salut que sa bonté a prévu dès avant la fondation du monde, c’est-à-dire avant-même le péché ! Oui, avant même le péché car dans le Salut, il y a deux versants : la Divinisation et la Rédemption. A cause du péché la Rédemption a été rendue nécessaire, mais la divinisation, le fait que, dans le Fils unique, nous devenions tous ses enfants bien-aimés, c’était dans ses projets dès avant la création du monde. Quelle merveille ! Le ministère qui nous a été confié, il doit donc être, de manière très concrète, au service de ce dessein bienveillant de Dieu. Nous devons l’aider à déployer ce dessein bienveillant en permettant à chaque homme de découvrir quelle est sa vocation fondamentale. Et c’est bien dans la mesure où nous, nous resterons dans le cœur de Dieu que nous pourrons aider tous ceux qui sont confiés à notre ministère à trouver ou retrouver le chemin du cœur de Dieu.
Quant à l’Evangile, il continue d’exprimer la compassion douloureuse de Jésus à l’égard des pharisiens et des docteurs de la Loi précisément parce qu’ils sont en train de se perdre et de perdre tous ceux pour qui ils ont reçu ou se sont donné une mission de guide. Dans le passage que nous avons entendu, Jésus pointe deux raisons qui expliquent leur égarement : 1°, ils refusent d’écouter les prophètes et même pire, ils les suppriment et 2°, ils enlèvent la clé de la connaissance empêchant d’entrer parce qu’eux-mêmes refusent d’entrer. Reprenons ces deux reproches extrêmement sévères et voyons comment ils sont liés et comment ils pourraient nous aider à nous examiner.
Le 1° reproche est sans doute le plus terrible. Jésus accuse les pharisiens et les docteurs de la Loi d’avoir tué les prophètes. Depuis le tout premier Abel jusqu’au tout dernier Zacharie. Il serait sûrement intéressant de réfléchir pourquoi Jésus classe Abel dans la liste des prophètes, mais ce n’est pas le lieu. Voilà comment je comprends cette parole parce que, bien évidemment, les pharisiens ne sont pour rien dans la mort des prophètes, en tout cas, de la mort de la plupart des prophètes puisque ce courant n’est apparu qu’au milieu du 2° siècle avant J.C. Mais il me semble que Jésus veut dire qu’avec leur sale habitude de trier les paroles des prophètes, ils finissent par les tuer en annulant la puissance de leur prédication. Heureusement que la liturgie nous interdit de trier dans les paroles de l’Ecriture parce que nous pourrions être tentés, nous aussi, de choisir ce qui nous convient en laissant ce qui nous dérange. Bon nous trions bien quand même, moi le 1° en décidant de commenter plutôt telle lecture que telle autre ou tel point dans une lecture plutôt que tel autre. Mais Dieu soit loué, les fidèles peuvent tout entendre ! Le 2° reproche, est sans doute à entendre dans cette perspective : en triant, des pharisiens enlevaient la clé de la connaissance parce qu’ils refusaient eux-mêmes d’entrer, de se laisser interpeler par la Parole. Ça les dérangeait, donc ils n’en parlaient pas ! Oui, mais si c’était dans l’Ecriture, ça signifiait que c’était nécessairement bon pour la croissance spirituelle du peuple.
En conclusion, je dirai que le tri sélectif, c’est sans doute très bon pour l’avenir de la planète quand il s’opère dans les déchets, mais que c’est très mauvais quand il s’opère dans l’Ecriture, très mauvais pour l’avenir de la foi, la nôtre et celle de ceux que le Seigneur dans sa grande bonté a confié à notre ministère.
Amen !
Les deux textes du jour parlent de « fondations ».