14 juillet : mercredi 15° ordinaire. Quand nos histoires blessées deviennent histoires saintes

Essayez d’imaginer quelques instants le fils du Président des Etats-Unis, ruiné, discrédité et obligé de se cacher. Imaginez toujours cet homme obligé de garder des moutons pour survivre et pour mieux se fondre dans le paysage local en évitant de se faire remarquer et reconnaître. On peut légitimement penser qu’au cours de ces journées interminables passées à exercer un métier pour lequel il n’était pas préparé et au cours des maigres repas qu’il partageait avec les autres bergers, il repenserait avec nostalgie à tout ce qu’il a dû quitter, au faste des soirées et des banquets organisés par son père. Inutile de dire que, dans cette situation, il pourrait avoir le moral au fond des chaussettes !

Eh bien, c’est exactement la situation que vivait Moïse ! Je fais un bref rappel des événements pour que nous ne fassions pas une lecture « hors-sol » de l’épisode du buisson ardent à propos duquel on se laisse souvent trop vite emporter dans des commentaires mystiques désincarnés. Le petit Moïse avait réchappé au massacre des garçons nouveaux-nés grâce à l’amour obstiné de sa mère qui avait réussi un coup extraordinaire en se faisant payer pour élever son propre enfant ! Une fois sevré et sans doute un peu plus, la fille de pharaon le récupère et l’adopte. C’est la lecture que nous avions entendue hier. Ça signifie que Moïse a connu les fastes des palais de pharaon qui était devenu comme son grand-père pour lui. Seulement voilà, un jour, ses origines vont reprendre le dessus et voyant un de ses frères de race maltraité par un Egyptien, son sang hébreu ne fait qu’un tour et il va intervenir pour tuer l’Egyptien maltraitant. L’affaire est ébruitée, Moïse comprend très vite qu’il va tomber en disgrâce, alors, avant que les ennuis ne se mettent à pleuvoir, il préfère partir. Et c’est comme ça qu’il se retrouve, après avoir mené grande vie, en train de garder des moutons dans un désert. A n’en point douter, Moïse avait le moral dans les chaussettes ! Il devait pas mal gamberger quand il changeait d’endroit pour mener ses moutons là où il y avait encore quelques buissons feuillus. C’est sûr, il y avait eu des moments plus exaltants dans sa vie !

Eh bien, c’est justement à ce moment-là, du milieu d’un buissons que ses moutons avaient sûrement remarqué avant lui, que Dieu va lui parler et même l’appeler pour une mission invraisemblable. Dieu est extraordinairement déconcertant ! Alors que Moïse rumine sur sa vie ratée, sur tout ce qu’il a pu gâcher à cause de ce geste incontrôlé, mais aussi sur l’injustice qu’il y a à tout perdre sur une simple dénonciation, Dieu vient l’appeler. Je ne sais pas dans quel état d’esprit vous êtes venus à cette retraite, je ne sais pas dans quelle situation vous vous trouvez actuellement, mais sachez que pour Dieu, vous ne serez jamais disqualifiés. Ce n’est pas que Dieu prendrait un malin plaisir à nous rejoindre exprès quand ça ne va pas ! Mais Dieu, il est comme ça, c’est quand nous n’allons pas bien, quand nous avons l’impression d’avoir tout gâché qu’il cherchera à nous entourer du maximum de prévenance et de soins. Un jour allant jusqu’au bout de la logique divine, Jésus dira : je ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs ou encore, ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin du médecin, mais les malades.

Et la manière dont Dieu vient rejoindre Moïse est extraordinairement délicate, gardons bien ce scénario en mémoire car c’est aussi de cette manière qu’il aime nous rejoindre quand nous-mêmes, nous sommes au 36° dessous. C’est du milieu d’un buisson que Dieu va parler, c’est-à-dire qu’il a choisi ce qu’il y avait de plus humble, le buisson étant le seul signe de vie qui reste quand le désert a tout envahi. Il n’a pas voulu écraser Moïse par une révélation extraordinaire, il a choisi le plus petit de tous les éléments pour se révéler, un buisson. 

Moïse était dans ce désert si particulier, si aride avec toute cette rocaille, un désert que connaissent tous ceux qui sont allés au Sinaï. L’Horeb et le Sinaï sont-ils une même montagne, les spécialistes en discutent, mais, quoiqu’il en soit, le mot Horeb, en hébreu signifie « aride. » Moïse est donc dans ce lieu aride où la géographie extérieure donne une belle idée de la géographie intérieure de son cœur, de son âme. C’est là que Dieu rejoint Moïse en se révélant du milieu de ce qu’il y a de plus humble pour ne pas l’écraser. De fait, Moïse est déjà suffisamment écrasé par le poids de tout ce qu’il ruminait, alors Dieu ne veut pas en rajouter une couche. Mais, de ce buisson, Dieu fait jaillir un feu qui ne le détruira pas, symbole de son amour infiniment respectueux qui peut redonner ardeur et ferveur à n’importe quel cœur aride, paralysé par les échecs, le ressentiment, le doute. Dieu attendait Moïse au cœur de ce désert, au cœur de son désert pour se manifester à lui de manière très humble comme Dieu aime tant le faire. 

Plus tard, ça ne sera plus aux pieds de cette montagne, mais carrément sur cette montagne qu’Elie, lui aussi découragé, déprimé, prêt à tout abandonner, fera l’expérience de la présence humble et discrète de Dieu dans le silence ténu d’une brise légère. Avouez que, contrairement à ce qu’on lui reproche quand on va mal, Dieu sait comment s’y prendre avec les hommes. Bien sûr, quand le désert s’est installé dans notre cœur, on n’arrive pas à s’émerveiller de cette pédagogie divine, humble et tenace. On n’arrive pas à s’émerveiller parce qu’on ne voit plus rien. Mais quand on arrive à sortir du désert, aidé par la présence bienveillante d’un frère, d’une sœur, d’une communauté et qu’on se retourne, alors on voit et on comprend. On découvre que dans certains événements si douloureux, il y avait eu tel petit signe, humble et discret, certes, mais bien réel quand même ; on découvre que, dans tel autre événement, il y avait eu une parole qui m’avait apporté un brin de consolation, qu’à tel autre moment, c’était un regard posé sur moi qui m’avait encouragé à ne pas tout laisser tomber. Sur le moment, nous ne nous en rendons pas compte, mais après coup, relisant toute cette période sombre, nous pouvons dire, comme le disait Jacob la semaine dernière : Dieu était là et je ne le savais pas. 

Revenons à Moïse qui voit donc ce buisson qui brûle sans se consumer, cette vision est un cadeau du Seigneur qui l’invite à se décentrer, à faire un détour. Dieu veut l’aider à sortir de cette colère intérieure qui le mine et qui, elle, pour le coup, le consume et lui fait perdre ses forces, son goût pour la vie, son amour pour Dieu. Du milieu de ce buisson, une voix l’appelle, une voix qui a une intonation faite de douceur insistante, une telle voix, ça ne peut être que la voix de Dieu. Et c’est alors que Dieu lui révèle que cette terre sur laquelle il a posé ses pieds devient une terre sainte. Il en sera désormais ainsi pour tous les hommes de tous les temps, mais ça ne se jouera plus avec la terre, ça sera avec leur histoire. Quand les hommes reconnaitront les traces d’une visite ou plutôt de tant de visites de Dieu, ils comprendront que leur histoire souvent blessée devient une histoire sainte. Saisi par cette présence inattendue, Moïse pose un geste qui sera porteur d’un grand enseignement : il se voile le visage. Par ce geste, il nous permet de comprendre que la rencontre avec Dieu ne passe pas d’abord par les yeux mais par les oreilles : écoute ! St Paul le dira dans cette belle expression : la foi vient de ce que l’on entend. Alors puisqu’il en est ainsi, écoute, accueille le silence comme un cadeau pour mieux l’entendre. Oui, sois-en bien persuadé, il veut te rejoindre même et surtout quand tu traverses les pires désert de ta vie, il veut parler à ton cœur même et surtout quand la vie semble avoir déserté ton cœur, un coeur qui te semble aussi aride qu’un désert.

Et alors, du milieu du buisson, Dieu va révéler à Moïse qui il est. Demain, il nous le fera entendre à travers la révélation de ce nom si particulier, mais, aujourd’hui, Dieu révèle qui il est de manière, j’oserais dire, expérimentale, il se révèle tel qu’il veut que nous apprenions à le connaître. C’est pour cela qu’il va dévoiler deux éléments extrêmement précieux de sa carte d’identité :

  • « Le cri des fils d’Israël est parvenu jusqu’à moi et j’ai vu l’oppression que leur font subir les Égyptiens. »Dieu n’est pas, au sens étymologique du mot « insensible. » Dieu est infiniment compatissant parce qu’il est amour ou même mieux parce qu’il n’est qu’amour, ce petit « ne que » qui est la marque de l’originalité de la foi chrétienne comme aimait le souligner le père Varillon.
  • « Je suis avec toi. » Cette promesse, on n’a pas fini de l’entendre ! Elle définit tellement l’identité profonde de Dieu qu’elle deviendra son nom : Emmanuel, Dieu avec nous.

Au cœur de son désert intérieur, avec l’impression, dans ce désert extérieur, de ne pas être à la place qu’il mérite c’est exactement ce que Moïse avait besoin d’entendre.

Dernier élément que je souligne : Dieu lui confie une mission qui va le remettre en piste car Dieu sait que c’est en se donnant qu’on reçoit le plus et qu’on peut le mieux se reconstruire. Mais, cette mission le renvoie en Egypte, cette Egypte qu’il avait dû fuir, pas simple ! Alors, Dieu prend bien soin de préciser le statut qu’il confère à Moïse. Car tous ses ennuis avaient été la conséquence d’une terrible méprise : en tuant l’Egyptien, Moïse s’était pris pour le Sauveur de son peuple. Dès qu’un homme se prend pour le Sauveur, c’est le début de gros problèmes, tant pour lui que pour tous ceux qui finissent par y croire ! Toute ressemblance avec des situations existantes ou ayant existé n’est pas totalement fortuite ! Le Sauveur, c’est Dieu, Moïse ne sera là que pour lui prêter ses mains, ses pieds, sa voix … selon ce beau poème écrit par des paysans d’Amérique du Sud : 

Notre Dieu n’a pas de mains, il n’a que nos mains pour construire le monde d’aujourd’hui. Notre Dieu n’a pas de pieds, il n’a que nos pieds pour conduire les hommes sur son chemin. Notre Dieu n’a pas de voix, il n’a que nos voix pour parler de lui aux hommes.

Il avait bien raison le psalmiste de s’écrier : quel Dieu est grand comme Dieu ! Car il faut être grand, infiniment grand pour oser se faire si petit, si humble pour mieux rejoindre les petits. C’est ce même mystère que nous nous apprêtons à célébrer dans cette Eucharistie. En effet, au cours de cette Eucharistie, le Seigneur va venir nous rejoindre à travers les apparences si pauvres, si banales du pain pour transformer nos histoires blessées en histoires sacrées capables d’accueillir sa présence transformante. Du coup, nous goûtons avec encore plus de saveur la parole de Jésus dans l’Evangile : « ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. » N’ayons plus peur d’oser regarder en face nos pauvretés, nos fragilités, nos histoires blessées, nos échecs et même nos trahisons puisqu’elles peuvent devenir le lieu-même où Dieu veut nous visiter pour transformer ces histoires pas toujours très glorieuses en histoires saintes. 

Cette publication a un commentaire

  1. wilhelm richard

    oui, c’est bien vrai, avec Dieu pas de carton rouge ni de hors-délai !
    Avec Dieu, cela roule toujours … c’est comme pour une balle ou une roue !!!

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