14 juin : mardi 11° semaine temps ordinaire. La miséricorde ne peut effacer les conséquences du péché

Je vous rappelais, hier, cette leçon de morale que nous apprenions à l’école : bien mal acquis ne profite jamais, c’est ce que nous vérifions aujourd’hui. Si certains parmi vous n’ont pas pu participer à la messe hier, je vous fais un rapide résumé de la situation. Le roi Achab convoitait la vigne d’un pauvre du nom de Naboth, il aurait bien voulu en faire son potager. Naboth n’a pas voulu lui céder ce terrain qu’il avait reçu en héritage et qu’il considérait comme sacré. Le roi en était très contrarié, sa femme Jézabel l’ayant remarqué et ne supportant pas que quelqu’un ose s’opposer à son roi de mari, mit au point un stratagème pour éliminer Naboth. Le pauvre sera lapidé après des accusations mensongères proférées à son sujet. Puisque personne n’a été capable de prendre la défense de ce pauvre homme injustement accusé, c’est Dieu lui-même qui va s’occuper de rendre la justice et ça nous soulage de savoir que le mensonge ne l’emportera pas. C’est Elie qui va être chargé de cette mission et quand Achab le voit arriver, il pressent bien que ce n’est pas bon signe puisque nous avons entendu comment il l’accueille : « Tu m’as donc retrouvé, toi, mon ennemi ! » La suite nous montrera qu’Elie ne prendra pas de gants pour faire part au roi de la décision de Dieu, peut-être savoure-t-il, en même temps, une revanche personnelle.

Quand nous lisons la suite du texte, c’est sûr que, d’un point de vue humain, on aurait envie de dire : Achab et Jézabel n’ont pas volé la punition que le prophète leur promet ! Mais quand même, comme croyants, nous sommes choqués que le prophète qui parle au nom de Dieu, ose dire à Achab : « À l’endroit même où les chiens ont lapé le sang de Naboth, les chiens laperont ton sang à toi aussi. » et juste un peu plus loin, qu’il dise à Jézabel : « Les chiens dévoreront Jézabel sous les murs de la ville de Yizréel ! » Bien sûr, il faut que justice soit faite, mais de telles paroles prononcées au nom de Dieu nous semblent aux antipodes de celles de Jésus que nous avons entendues dans l’Evangile : « Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. » C’est en mesurant cet écart que certains finissent par penser qu’il est inutile de lire le Premier Testament dans lequel Dieu apparait tellement éloigné de la révélation qu’en donnera Jésus dans l’Evangile. C’est dommage de réagir comme cela car, en fait, nous pouvons toujours apprendre en lisant le Premier Testament. Mais, pour apprendre, il faut accepter deux choses : tout d’abord accepter que ces textes soient datés, nous sommes des siècles et des siècles avant Jésus, il reste beaucoup de chemin à faire, ne nous étonnons donc pas d’entendre des paroles qui nous choquent. Et ensuite, il faut accepter de travailler un peu. Face à un texte qui nous choque, nous pouvons toujours nous demander : puisque ce texte, avec ces paroles choquantes est dans la Parole de Dieu, que veux-tu me dire, Seigneur, à moi aujourd’hui ?

Il me semble que ce texte veut nous mettre en garde contre les conséquences du mal que nous pouvons faire. Bien sûr, Dieu pardonne, il va d’ailleurs pardonner à Achab qui s’est repenti, mais, même avec le pardon de Dieu, le mal garde ses conséquences. C’est ainsi que nous pouvons comprendre les paroles qui concluaient le récit : je ne ferai pas venir le malheur du vivant d’Achab ; c’est sous le règne de son fils que je ferai venir le malheur sur sa maison. En entendant cela, on a envie de dire : mais pourquoi Dieu ne pardonne-t-il pas vraiment ? Il a vraiment pardonné, mais il ne peut pas effacer les conséquences du mal. Je donne un exemple pour bien me faire comprendre : si dans un moment de grande colère, je donne un coup de couteau à une personne et lui entaille le visage. Après mêtre dénoncé à la justice, je peux aller m’en confesser et obtenir le pardon de Dieu, je peux même obtenir le pardon de la personne que j’ai agressée, il n’empêche que la cicatrice qui va lui barrer le visage rappellera toujours mon geste fou ! Il en va ainsi de tout mal qui est commis, le mal que je fais, que les hommes font a toujours des conséquences.

Achab, en étant roi, n’aurait jamais dû se laisser influencer par sa femme, Jézabel qui lui a suggéré d’éliminer Naboth qui contrariait ses projets. Jézabel est gravement fautive mais Achab aussi qui aurait dû lui rappeler la Loi donnée par le Seigneur, cette loi qui, comme le dira le philosophe Kant, est un impératif catégorique, donc indiscutable : Tu ne tueras pas ! 

Quand un roi chargé de veiller à ce que la loi soit respectée se permet lui-même de la transgresser et de quelle manière, ça laisse forcément des traces ! Il me semble que c’est de cette manière que nous pouvons interpréter les paroles si dures du prophète Elie. Oui, Dieu est amour et miséricorde infinie, mais son amour ne peut pas effacer les conséquences de mon péché. 

C’est pour cela que ce texte, en apparence complètement dépassé en raison de sa dureté, est en fait d’une grande actualité notamment par rapport à tous les abus qui ont été révélés dans l’Eglise et hors de l’Eglise. Le mal que nous commettons ne peut jamais être anodin, nous ne pouvons pas commettre délibérément le mal en disant : pas grave, j’irai me confesser ! Non, ça ne marche pas comme ça ! Le mal que nous commettons a toujours des conséquences, plus ou moins grandes, plus ou moins durables, tout dépend de la gravité du mal commis, mais il a des conséquences et c’est la justice des hommes qui doit s’emparer du problème pour tenter de réparer ce qui peut l’être. La miséricorde de Dieu ne pourra jamais effacer les conséquences d’un mal commis, Dieu peut tout pardonner, mais il ne peut pas faire comme si le mal n’avait pas été fait ! 

Venons-en à l’Evangile. Tous ces jours, dans ces passages du sermon sur la montagne, nous entendons des paroles qui viennent nous interroger. Jésus y va tellement fort qu’on a envie de lui dire qu’à la manière de Maurice, le poisson rouge, dans la fameuse publicité, il pousse le bouchon quand même un peu trop loin ! Ne pas se venger contre ses ennemis, c’est déjà pas mal, mais comment peux-tu sérieusement nous demander de les aimer, Seigneur ?

J’ai envie de faire deux remarques

La 1° elle pourrait être faite par des non-chrétiens adeptes de cette non-violence active dont je parlais hier. La seule manière de casser la spirale infernale du mal, c’est non seulement de ne pas répondre au mal par un autre mal, à la violence par la violence, mais c’est d’introduire du bien, du respect à l’égard des ennemis, c’est la seule manière de les désarmer. Je le disais hier : seul un excès d’amour pourra venir à bout de la violence. C’est le chemin que Jésus a choisi, un chemin qui peut nous conduire, à sa suite, à accepter de donner notre vie. C’est ce que St Paul énoncera dans l’une de ces formules choc dont il a le secret : ne te laisse pas vaincre par le mal, mais sois vainqueur du mal par le bien ! Le témoignage des grandes figures de la non-violence atteste la vérité de ce principe. Mais me direz-vous, nous n’avons pas tous la stature de Gandhi ou de Nelson Mandela … c’est vrai et c’est là qu’il nous faut passer à la 2° remarque.

La 2° : « Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent. » C’était déjà pas mal au niveau des exigences, mais vous avez entendu, Jésus a poussé le bouchon encore bien plus loin : « Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » Ne pas être trop médiocre, on devrait pouvoir y arriver, mais parfait et parfait comme le Père du ciel, tu n’y penses pas Jésus ! Cette invitation de Jésus, j’ai pu la comprendre grâce à un enseignement du cardinal Barbarin. Il expliquait que Jésus ne nous appelait pas à la perfection morale, ce qui serait impossible, car, même avec la grâce, nous ne serons jamais parfaits, nous resterons pécheurs. Mais il expliquait qu’il y a 3 verbes sur lesquels on peut jouer en français : faire, refaire et parfaire. Dieu nous a faits, c’est la création, œuvre du Père ; mais ça ne suffit pas de nous avoir faits, car ce qu’il a fait, je le défais sans arrêt à cause de mon péché, alors il me refait sans cesse, c’est la Rédemption, œuvre du Fils. Nous ayant fait, ne cessant de nous refaire, Dieu ne s’en tient pas là, il veut sans cesse nous rendre meilleurs, plus beau, c’est pourquoi il nous parfait et là, c’est la sanctification, œuvre du St Esprit. « Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. », c’est donc un appel à nous laisser parfaire par le St Esprit. Et quand nous nous laissons parfaire par le St Esprit, tout devient possible y compris d’aimer nos ennemis et ainsi de devenir vainqueurs du mal par le bien !

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