Je pense que le refrain qui scandait la 1° lecture ne vous aura pas échappé, il revient par 3 fois : « Je suis le Seigneur, il n’en est pas d’autre ! » Et il est comme accompagné par d’autres déclarations du même style dans lesquelles Dieu dit beaucoup : moi, moi, moi ! Je cite : C’est moi, le Seigneur, qui fais tout cela ; Moi, le Seigneur, je crée tout cela. N’est-ce pas moi, le Seigneur ? Hors moi, pas de Dieu ; de Dieu juste et sauveur, pas d’autre que moi ! Tournez-vous vers moi ! Je le jure par moi-même. Devant moi, tout genou fléchira. Il y avait 8 versets dans la lecture et il y a 8 fois cette utilisation du pronom « moi » renforcé par les 3 refrains : « Je suis le Seigneur, il n’en est pas d’autre ! » Heureusement que c’est Dieu qui parle parce que, si c’était un homme, ça serait absolument détestable cet enchainement des moi, moi, moi et rien que moi ! Oui, c’est Dieu qui parle, mais c’est quand même assez inhabituel que Dieu aime à ce point parler de lui. Quelle mouche l’a piqué pour qu’il fasse une telle crise qui le pousse à cogner si fort du poing sur la table en criant : moi et rien que moi !
Pour répondre à cette question, il faut lire en entier ce chapitre 45 du livre d’Isaïe, le lectionnaire n’a retenu que 8 versets et encore des versets qui ne se suivent pas ! Je suis donc allé le lire parce que j’ai plus de temps que vous et que c’est aussi mon travail ! Et c’est ainsi que j’ai pu découvrir qu’il y avait un vrai ton polémique dans ce chapitre. Oui, ce n’est pas exagéré de dire que Dieu cogne du poing sur la table et il cogne fort ! Dieu s’en prend à ceux qui fabriquent les idoles et à ceux qui les transportent avec eux, c’est-à-dire à ceux qui les adorent. C’est pour cela que Dieu martèle : Je suis le Seigneur, il n’en est pas d’autre ! On peut dire que l’idolâtrie aura été un sujet de dénonciation permanente chez les prophètes. On se souvient de cette question sous forme d’avertissement transmise par le prophète Elie : jusques à quand allez-vous clocher d’un pied sur l’autre ? Si c’est le Seigneur qui est Dieu, suivez le Seigneur et si c’est Baal, suivez Baal ! 1R18,21 J’aime bien cette expression : clocher d’un pied sur l’autre, aujourd’hui on dirait qu’ils ne savaient pas sur quel pied danser, un pas de danse avec Dieu, un autre avec Baal ! Alors, Baal, c’était du temps d’Elie, au temps d’Isaïe, c’étaient d’autres idoles, mais le principe de l’idolâtrie reste le même quelles que soient les idoles adorées !
Pourquoi y avait-il cette recrudescence du culte aux idoles qui obligeait Dieu à cogner du poing si fort sur la table ? Il faut se rappeler qu’une grande partie du livre d’Isaïe a été écrit dans le contexte de l’exil à Babylone. Cet exil à Babylone a été une très grosse épreuve qui a duré une cinquantaine d’années. A Babylone, les juifs déportés ont découvert qu’on adorait le dieu Mardouk et toute une foultitude de divinités astrales comme le soleil, la lune, les étoiles. Et des juifs ont pu, à certains moments, se laisser séduire par ces divinités. Il faut dire, à leur décharge, qu’il y avait encore cette mentalité marquée par la mythologie qui cherchait à donner une explication à tous les événements qui se passaient sur la terre en se tournant vers le ciel. Dans ce contexte, certains se sont interrogés pour savoir si Mardouk n’aurait pas gagné un défi lancé au Dieu d’Israël, ce qui expliquerait l’Exil à Babylone. Tous les événements de la terre ont une explication dans le ciel, alors puisque Dieu a perdu, son peuple doit payer ! Oui, mais alors, si Dieu a pu perdre un défi, ça signifie qu’il n’est pas aussi puissant qu’on le croyait ou qu’il le disait. Du coup, certains en venaient, sans totalement délaisser Dieu, à adorer en même temps quelques divinités païennes pour ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier ! C’est l’expression très suggestive d’Elie, un pas de danse avec le Seigneur, un pas de danse avec Mardouk ou l’une des divinités babyloniennes. Dieu va réagir fortement à cet engouement qui tournait certains membres de son peuple vers les idoles. Et si Dieu réagit si fortement, c’est parce qu’il sait bien que le chemin des idoles ne peut que conduire son peuple à la perdition. En effet, quand on adore le néant, tôt ou tard, on finit par être anéanti. Dieu va susciter deux réponses très fortes.
- 1° Réponse, c’est à cette époque de l’Exil qu’est écrit le 1° récit de la création. Et dans ce récit, l’auteur biblique prend bien soin de mentionner les astres comme des créations de Dieu. C’est comme si Dieu disait en rigolant : ce que vous adorez, le soleil, la lune et les étoiles, c’est moi qui l’ai créé ! Comment voudriez-vous que ces créations sorties de ma main soient plus puissantes que moi ?
- 2° réponse, c’est la prédication des prophètes et là, de manière particulière la prédication d’Isaïe qui met donc sur les lèvres de Dieu, ce refrain : « Je suis le Seigneur, il n’en est pas d’autre ! J’ai dit qu’on le trouvait 3 fois, mais si vous lisez la totalité du chapitre 45, vous le trouverez de nombreuses autres fois.
Alors, on peut s’interroger : pourquoi lire ce texte en Avent ? La réponse que je propose, mais vous pourriez sans doute en trouver d’autres, c’est que, bien évidemment, nous ne serons jamais totalement sortis de l’idolâtrie. Il nous arrive, nous aussi, de clocher d’un pied sur l’autre, de ne pas savoir sur quel pied danser et avec qui nous voulons danser. Chacun de nous a ses petites idoles à l’égard desquelles il entretient une relation ambigüe, les jetant au feu à chaque confession et allant les récupérer peu de temps après … et le plus terrible, c’est que nous les retrouvons parce qu’elles sont très résistantes, les charognes ! Hier, Sophonie évoquait le grand ménage que Dieu allait faire dans Jérusalem, aujourd’hui, c’est dans notre cœur qu’Isaïe nous invite à faire ce ménage.
Ça pourrait être un jeu salutaire pour la fin de ce temps de l’Avent : nous lancer dans une grande chasse aux idoles en revisitant tous les coins de notre cœur, tous les replis de nos âmes pour y débusquer les idoles qui ont pu s’y réfugier et qui sont prêtes à reprendre du service aussi vite et aussi souvent que nous ferons appel à elles ! Une bonne manière de chasser les idoles serait de reprendre sous forme de prière, de déclaration de foi l’un des versets de la lecture en disant et redisant : Tu es LE Seigneur, il n’en est pas d’autre ! C’est toi le Seigneur, mon Seigneur ! Hors toi, pas de Dieu ; de Dieu juste et sauveur, pas d’autre que toi !
Je ne veux pas m’attarder sur l’Evangile car il a un air de déjà entendu même si dimanche, nous avons lu cet épisode dans l’Evangile de Matthieu et que, aujourd’hui, nous le lisons dans l’Evangile de Luc. Il y a quand même une différence essentielle entre ces deux versions. Chez Matthieu, Jésus avait rappelé aux émissaires envoyés par Jean-Baptiste les guérisons qu’il avait effectuées un peu avant. Ce sont les fameux 10 récits de miracles qui suivent le discours sur la montagne. Le sermon sur la montagne présente Jésus comme un nouveau Moïse et les 10 miracles qui suivent sont comme les 10 Paroles de vie données par Jésus, mais en actes. Jésus renvoyait à ces actions en montrant qu’elles sont l’accomplissement de la prophétie d’Isaïe. Là, dans le texte de Luc, Jésus fait en direct ces miracles qui manifesteront que les promesses messianiques sont bien accomplies. Cette réalisation des miracles en direct est comme une invitation pour nous à regarder aujourd’hui comment nous voyons ces signes qui s’accomplissent encore. Si nous le voulons, nous pourrions prendre un temps dans cette journée pour relire ce que nous avons vécu ces derniers temps, les événements dont nous avons pu être témoins et qui nous montrent que c’est bien vrai, encore aujourd’hui : des boiteux marchent, des lépreux sont purifiés, des sourds entendent, des morts ressuscitent, des pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle. Ces boiteux, ces lépreux, ces sourds, ces morts, ces pauvres, c’est aussi nous, nous qui, sans mérite, bénéficions du Salut du Seigneur !