14 septembre : fête de La Croix glorieuse. Un peu d’histoire pour mieux goûter le sens de cette fête.

Les voyages en TGV ont ceci d’intéressant, c’est qu’ils nous donnent du temps pour travailler et nous intéresser à des questions que, souvent, nous n’avons pas le temps d’approfondir. C’est ainsi qu’hier, en rentrant, je me suis dit que j’allais préparer l’homélie de la fête de la Croix glorieuse. Avant de méditer les lectures, j’ai eu envie de savoir d’où venait cette fête. Je l’avais peut-être su, mais je l’avais oublié ! Cette recherche m’a tellement intéressé qu’elle m’a mobilisé tout le temps du voyage sans que je ne puisse aller tout à fait jusqu’au bout, je me suis donc dit qu’il serait bon de vous partager les fruits de cette recherche. Il y aura donc deux parties dans mon homélie, une première plus historique, la plus longue et une autre plus théologique que vous pourrez prolonger dans votre méditation au cours de la journée.

C’est finalement, une très belle histoire que l’histoire de cette fête de la Croix glorieuse. Tout commence en 312, si l’on en croit l’historien Eusèbe de Césarée. Alors que Constantin veut libérer l’empire romain de la tutelle de Maxence, réputé être un dictateur, mais Constantin n’est pas forcément très rassuré. En pleine interrogation sur les chances de mener à bien cette entreprise, il a une vision dans laquelle il lui est donné de voir dans le ciel un chrisme. Le chrisme, vous le savez, c’est ce signe antique qui représente le Christ avec les deux premières lettres grecques enchevêtrées de son nom, chi et rhô. Et, non seulement Constantin voit un chrisme, mais il le voit avec cette inscription : par ce signe tu vaincras. La nuit suivante le Christ lui-même lui confirme cette vision et lui demande de placer ce signe sur son étendard. Plein de confiance, Constantin remplace donc sur son étendard l’aigle impérial par le chrisme et il le fait également graver sur les boucliers de ses soldats. Il peut désormais engager le combat dont il sortira vainqueur, c’est la fameuse bataille du pont Milvius. Cette victoire ne sera pas pour rien dans la décision de Constantin de donner aux chrétiens les mêmes droits qu’aux autres citoyens dans le fameux édit de Milan signé l’année suivante en 313. Constantin est converti, mais, puisqu’il n’y avait pas encore de « seconde pénitence » il attendra de se trouver sur son lit de mort pour être baptisé afin d’être lavé de tous ses péchés par ce baptême. Après sa conversion, sans doute aussi obtenue par les prières de sa mère Ste Hélène, Constantin favorise la construction de nombreuses basiliques en terre sainte.

Mais à Jérusalem, c’est très compliqué car l’empereur Hadrien a tout rasé parce qu’il voulait agrandir la ville et sans doute aussi faire disparaitre le souvenir du lieu où Jésus avait été crucifié et où il serait ressuscité, ce lieu attirant trop de chrétiens. Il a donc fait raser le mont Golgotha et tout mis de niveau pour construire par-dessus un forum avec, bien évidemment, un temple païen. Revenons à notre histoire, Constantin envoie sa mère à Jérusalem qui n’est pourtant plus toute jeune, elle a environ 80 ans. Des fouilles sont entreprises guidées par St Macaire, l’évêque de Jérusalem et le lieu va être retrouvé. En fouillant encore plus, on trouve une cavité dans laquelle un certain nombre de croix plus ou moins anciennes ont été mises comme dans une décharge. Ste Hélène ordonne que l’on sépare les récentes des anciennes, et les endommagées des intactes. Pour elle, il n’y a aucun doute, la relique qui a touché le sang du Christ ne peut être brisée. Il faut plusieurs heures pour faire le tri et on finit par isoler trois croix intactes, mais comment identifier celle qui fut la croix de Jésus ?

C’est alors que la Providence va jouer. Quand Ste Hélène s’était rendue sur le lieu où l’on avait isolé les 3 croix, elle avait rencontré une petite fille, assise sur le sol et recroquevillée contre un mur pleure à chaudes larmes. Ste Hélène lui avait demandé pourquoi elle était si triste et la fille avait expliqué que sa maman ne pouvait plus se lever et que médecin avait expliqué qu’elle allait bientôt mourir. Hélène donne à l’enfant son manteau et quelques galettes au miel en lui demandant de les porter à sa mère et en l’assurant qu’elle prierait pour elle. Hélène apprend que cette fillette s’appelle Mariam et qu’elle est la fille de Simon, le cordonnier du quartier, elle apprend aussi le nom de cette maman, Ruth. 

C’est alors qu’Hélène, incapable d’identifier la croix de Jésus parmi ces 3 croix exhumées a l’idée de faire venir Simon le cordonnier et son épouse, Ruth. Une heure plus tard, ils arrivent, Ruth est sur une litière portée par deux hommes. C’est une femme chétive et très pâle. Ses lèvres sont sèches et ses joues creusées, comme si elle n’avait rien avalé depuis longtemps. Hélène s’approche et lui prend la main en disant : Je sais à présent pourquoi le Seigneur a voulu que mon chemin croise celui de ta fille. Elle demande à Simon d’approcher sa femme de la première croix pour qu’elle puisse la toucher. Sans comprendre, le cordonnier fait ce qu’il lui est demandé, rien de ne passe. On l’approche alors de la deuxième croix. Toujours rien. Mais à peine effleure-t-elle la troisième que son visage reprend des couleurs, et pour la première fois depuis des mois, elle se redresse seule et réclame à manger. C’était le signe qu’Hélène attendait : la Vraie Croix est retrouvée. Hélène demande à son fils qu’une basilique soit construite en ce lieu, elle le sera et englobera dans une même construction le lieu du Golgotha et le lieu du tombeau, mais elle portera le nom de basilique de l’anastasis, c’est-à-dire de la résurrection. Dommage que, par la suite, les occidentaux l’aient rebaptisée basilique du Saint-Sépulcre car le sépulcre n’est pas le dernier mot de l’histoire.

C’est le 13 septembre 335, semble-t-il, que cette basilique a été consacrée. Constantin tenait à cette date car il voulait ainsi remplacer ce jour où l’on fêtait Jupiter par cette fête chrétienne. C’est en souvenir de cette consécration qu’on célèbre cette fête de la Croix Glorieuse. Mais je n’ai pas trouvé d’explication sur le fait qu’on soit passé du 13 au 14 septembre. Voilà, c’était la partie historique.

Quelques mots sur le sens que nous pouvons donner à cette fête. Ce qui est étonnant, c’est d’associer la croix au mot gloire : la croix glorieuse. La croix était un instrument de supplice infamant que l’on réservait aux bandits et agitateurs les plus dangereux. Il n’y avait rien de glorieux à mourir sur une croix. Les premiers chrétiens qui, très vite, feront de cette croix leur emblème, l’apprendront à leur dépens. Pour les juifs, le fait que Jésus soit mort sur une croix était la preuve qu’il n’était pas le Fils de Dieu qu’il prétendait être. Tous les juifs avaient en tête cette parole du Deutéronome qui disait : Maudit soit quiconque pend au bois de la croix. Pour eux, c’était clair, Jésus était mort portant sur lui la malédiction de Dieu qui le punissait de sa prétention à vouloir se faire l’égal de Dieu. Quant aux païens, ils étaient persuadés que cette fin si peu glorieuse discréditait celui qui avait pourtant dit et fait tant de belles choses. Désormais ils n’hésiteront pas à répandre des représentations infâmantes de Jésus sur la croix en remplaçant sa tête par celle d’un âne pour mieux se moquer des chrétiens et de leur emblème. Dans la 1° lettre aux Corinthiens, Paul résumera parfaitement la situation : la croix est scandale pour les juifs et folie pour les païens, mais pour nous les chrétiens, elle est désormais le signe du Salut, de l’amour vécu jusqu’au bout. 

C’est en la regardant que chacun de nous peut pousser ce cri d’émerveillement que Paul pousse dans la lettre aux Galates : Le Christ m’a aimé et s’est livré pour moi ! Oui, bien sûr que le Christ a voulu sauver tous les hommes, mais il ne donne pas sa vie pour sauver l’humanité en général. Quand on dit qu’on aime tout le monde, c’est, la plupart du temps, le signe qu’on a décidé de n’aimer personne en particulier, en vérité. Le Christ m’a aimé et s’est livré pour moi ! Et je peux rajouter : pour moi qui ne le mérite pas. A cause de mon péché, ce que je méritais, c’est la condamnation, mais non, le Christ m’a aimé et s’est livré pour moi ! Comme Paul le dira encore : Accepter de mourir pour un homme juste, c’est déjà difficile ; peut-être quelqu’un s’exposerait-il à mourir pour un homme de bien. Or, la preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions encore pécheurs. (Rm 5,7-8) Cet amour inouï, c’est dans le mystère de la croix que nous le contemplons, puissions-nous rester toujours ébahis devant tant d’amour. Puissions-nous ne jamais nous habituer à contempler cet amour dont il nous a aimés en se livrant pour nous sur la Croix : Le Christ m’a aimé et s’est livré pour moi, pour moi qui ne le mérite pas. C’est ce grand mystère de l’amour qui s’actualise pour nous maintenant dans la célébration de l’Eucharistie qui nous permet de cueillir et goûter les fruits de la croix.

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