Avec la fin de l’année liturgique qui se profile, nous commençons la lecture de textes qui vont un peu nous secouer. Hier, je disais aux prêtres, en ouvrant la retraite que j’aimerais que le message se fasse massage parce qu’ils sont venus pour que le Seigneur leur fasse du bien. Le massage, avec ces textes va se faire vigoureux et encore, cette semaine, nous avons de la chance car il n’y a que la 1° lecture qui sera vigoureuse, mais la semaine prochaine, il y aura aussi l’Evangile ! Cette semaine, nous allons donc lire le livre des Martyrs d’Israël qui nous racontent une histoire assez tragique. La 1° lecture d’aujourd’hui plante assez bien le décor. Permettez-moi de faire un peu d’histoire pour que nous puissions bien situer ce qui se passe. Peut-être que pour mes frères prêtres, ce rappel historique ne serait pas nécessaire, mais je pense qu’il pourra aider ceux qui nous rejoignent pour cette messe et qui n’ont pas eu les cours d’exégèse que nous avons eu la chance de suivre.
Dans les années 330-320 avant JC, l’empereur grec, Alexandre le Grand, grâce à ses conquêtes, est devenu le maître du monde. Mais, à sa mort, il y a un gros problème de succession puisqu’il n’a pas eu d’enfants … enfin, il en a eu un, mais il est déjà mort et un autre va arriver mais juste après sa mort, il n’est donc pas prêt à prendre la suite. Il va y avoir des luttes de pouvoir acharnées qui vont conduire à la division de ce vaste royaume qu’Alexandre avait conquis peu à peu.
Pour la région qui intéresse la Bible, c’est la dynastie des Séleucides qui prend le pouvoir, et qui règne sur la Syrie de l’époque dont la Judée est une province. Très vite, dans un désir d’autonomie, ils vont se démarquer de l’emprise grecque. Mais, voilà que, le temps passant, ils constatent que ce choix politique d’autonomie n’a pas été très payant, alors ils décident de faire à nouveau alliance avec ceux dont ils s’étaient éloignés pour demander leur protection et bénéficier de la richesse du Royaume. C’est ce que nous expliquait le début de la lecture d’aujourd’hui.
Dans cette province de Syrie qui retourne sa veste et se remet sous la domination des Grecs, normalement, la Judée aurait dû résister et refuser que les coutumes grecques s’installent à Jérusalem. Mais il n’en est rien ! C’est ainsi que la lecture nous parlait de l’installation d’un gymnase à Jérusalem. On peut imaginer ce que ça veut dire un gymnase à Jérusalem car, à l’époque, les gymnastes pratiquaient leurs sports complètement nus. Or, chez les juifs, la nudité chez doit être cachée, la pudeur respectée parce qu’on sait que lorsque ce n’est pas le cas, tous les débordements deviennent possibles … et, sans entrer dans des détails scabreux, c’est bien ce qui se passait chez les Grecs.
La lecture que nous avons entendue continuait en détaillant les autres décisions qui avaient été prises pour vivre au gout du jour : abandon de la circoncision, abandon des règles alimentaires et de la grande loi du sabbat. Et comme si ça ne suffisait pas, les gens se mettent à offrir des sacrifices aux idoles et tolèrent la présence de « l’abomination de la désolation » sur l’autel des sacrifices, c’est-à-dire, vraisemblablement l’installation d’une statue de Zeus pour bien montrer que c’était à lui qu’on offrait des sacrifices. Et, comme si tout cela ne suffisait encore pas, on brûle tous les exemplaires de la Torah. Appelons les choses par leur nom, c’est donc à une véritable apostasie qu’on assiste. Quand on cherche des sécurités en fricotant avec n’importe qui parce qu’on ne croit plus que c’est Dieu qui est le refuge le plus sûr, voilà ce qui finit par se produire : une dégringolade dans un puits d’abominations, un puits qui semble sans fond. Dans le prophète Isaïe, Dieu avait fait cette mise en garde solennelle : « Si vous ne tenez pas à moi, vous ne tiendrez pas. » Is 7,9 Hélas, cette mise en garde est souvent mal traduite dans nos bibles, mais c’est exactement cela que dit Dieu : « Si vous ne tenez pas à moi, vous ne tiendrez pas. » Eh bien, on en a une illustration dramatique dans la 1° lecture : voilà jusqu’où on peut tomber quand on ne tient plus au Seigneur.
Heureusement, un petit groupe de juifs pieux, mené par Judas Maccabée, va se révolter et finira par obtenir gain de cause mais en payant leur résistance par la mort de milliers de Martyrs. C’est justement l’histoire de cette résistance héroïque que nous lirons dans les jours qui viennent. Et cette résistance a été provoquée et nourrie par la foi de ceux qui ont n’ont jamais cessé de tenir au Seigneur.
En lisant tout cela, même s’il faut rester prudent pour ne pas tomber dans le concordisme, nous ne pouvons pas ne pas penser à ce que nous sommes en train de vivre, chez nous. Chez nous, s’est installée depuis un certain temps ce que le pape Benoit XVI aimait appeler une apostasie silencieuse. Oh, il n’y a plus de grandes déclarations contre la foi, mais un éloignement progressif qui finit dans un désintérêt total. Je donne juste un exemple : On développait le culte du corps dans les gymnases grecs, eh bien, chez nous aussi le culte du corps est le culte qui rassemble le plus d’adeptes en tous les cas, ce culte rassemble bien plus de gens que le culte que nous célébrons le dimanche matin. Le dimanche matin est devenu sacré pour bien des gens et comment manifestent-ils le caractère sacré du dimanche matin ? En allant faire du vélo, de la course à pied, du longe-côte. Et, ce qui est paradoxal, c’est que bien des gens sont prêts à dépenser des fortunes pour soigner ce corps alors qu’on le maltraite par ailleurs en ayant des pratiques bien peu dignes du corps de l’autre ou de son propre corps.
Ce corps qui devient tant un objet de culte, on le méprise encore plus quand on accepte que soient votées tant de lois qui le réduisent à l’état d’objet sur lequel toutes les manipulations deviennent possibles.
Nous l’avons vu à Jérusalem, les idoles ont pris la place de Dieu qui avait été chassé de son Temple, eh bien, nous le voyons de la même manière aujourd’hui : la nature ayant horreur du vide, quand on chasse Dieu, ce sont les idoles qui prennent la place et, ces idoles, elles font payer cher, même très cher, tous les services qu’elles proposent et que, de toutes façons, elles seront incapables d’accomplir. Voilà les conséquences de l’apostasie. La 1° lecture était suffisamment explicite sur les conséquences de l’apostasie pour nous alerter sur les conséquences possibles de l’apostasie silencieuse que nous vivons aujourd’hui. Samedi, l’Evangile se terminait par cette question redoutable : Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il encore la foi sur la terre ? C’est parce que le défi est grand, l’enjeu est si important que, tout au long de cette semaine,avec les prêtres qui sont en retraite, nous allons demander au Seigneur de nous refaire un cœur de pasteur, de disciple-missionnaire. Car la réponse à ce grand défi ne consiste pas à lancer de nouvelles croisades pour faire cesser cette apostasie, la réponse, la seule qui soit digne de l’Evangile, accordée à l’Evangile, c’est de reprendre, avec une ardeur renouvelée, le chemin de l’évangélisation en témoignant que c’est bien vrai : lorsqu’on tient au Seigneur, il nous fait tenir.
Seigneur, nous l’avons entendu dans l’Evangile, tu as guéri Bartimée, alors, puisque tu n’as rien perdu de ta puissance, viens guérir tous nos aveuglements d’aujourd’hui qui nous empêchent de regarder en face la détresse dans laquelle cette apostasie silencieuse plonge tant de nos frères en humanité. Toi qui as su réveiller la foi dans le cœur de Judas Maccabée, de ses frères et des croyants qui le suivaient, suscite aujourd’hui encore des pasteurs et des fidèles, brûlés par le feu de ton Esprit, l’Eglise et le monde ont tant besoin.
AMEN !