15 septembre : Notre Dame des 7 douleurs.

Dernière homélie de septembre, je pars en vacances

Chaque fête mariale provoque chez moi un petit pincement au cœur. La dernière mission de curé que j’ai reçue dans mon diocèse m’a conduit près de Genève, dans une région où il y avait donc beaucoup de protestants. J’appartenais à deux groupes de réflexion œcuménique dont les participants pasteurs ou laïcs étaient devenus de grands amis. Alors à chaque fête mariale, je pense à eux qui ne célèbrent pas ce que nous célébrons et qui, pour certains, à l’idée-même de ce que nous célébrons sont plongés dans l’incompréhension. Je lisais récemment un article du père Cantalamessa sur le sujet et il citait la belle parole de la première épitre de Pierre que nous connaissons bien puisqu’elle constitue une lecture du bréviaire : « Ce que chacun de vous a reçu comme don de la grâce, mettez-le au service des autres, en bons gérants de la grâce de Dieu qui est si diverse. » Et il disait que cette parole n’était pas à entendre seulement au plan individuel, mais aussi au plan communautaire comme un appel du Seigneur à ce que les Eglises s’aident mutuellement en partageant aux autres leur grâce propre. De ce point de vue, on peut dire que les Eglises protestantes nous ont aidés, nous catholiques, en nous partageant la grâce qu’elles avaient reçue concernant la lecture et l’amour de la Parole de Dieu. A notre tour de les aider en leur partageant nos grâces propres concernant l’Eucharistie, l’Eglise et les ministères et bien sûr la place de la Vierge Marie. Dans notre prière d’aujourd’hui, faisons donc une place pour toutes les Eglises issues de la Réforme et demandons au Saint-Esprit de nous éclairer pour que nous trouvions les moyens de leur partager cette grâce mariale que nous avons reçue et qui est particulièrement à l’œuvre dans les Foyers de Charité. Cette grâce mariale, on peut la déployer en vivant cette belle parole de Marthe, tellement christologique qu’elle nous met à l’abri de toute exagération : « aimer Jésus comme Marie l’aimait et aimer Marie comme Jésus l’aimait. »

Je ne commenterai pas la 1° lecture qui remet sous nos yeux l’obéissance de Jésus, une obéissance sur laquelle j’ai suffisamment parlé hier. Je vais donc plutôt m’arrêter sur l’Evangile. Je veux d’abord souligner un point anecdotique mais qui pourrait nous être utile dans certaines controverses. Vous savez que, dans l’Evangile, à plusieurs reprises, il est question des frères de Jésus. Certains en ont tiré comme conclusion, et c’est le cas de beaucoup d’Eglises issues de la Réforme, que Marie et Joseph auraient eu des enfants après Jésus. Tout le monde est bien d’accord à propos de la naissance virginale de Jésus puisque c’est une donnée des Evangiles, mais certains refusent de croire en la virginité permanente de Marie. A ceux-là, on pourrait rétorquer que, si Jésus avait vraiment eu des frères de sang, il n’aurait pas été obligé de confier Marie à St Jean. Si Jésus avait eu des frères de sang, ceux-ci se seraient forcément occupés de leur maman. On ne transige pas, dans le judaïsme avec le commandement qui enjoint à tout homme d’honorer son père et sa mère. Ce n’est qu’une remarque en passant, mais elle peut faire réfléchir ceux qui invoquent un peu rapidement l’Evangile pour asseoir leurs opinions concernant la virginité de Marie.

Passons à un point plus essentiel. Quand j’étais dans mon diocèse, j’étais toujours très frappé quand des wallisiens, futuniens venaient en pèlerinage à Cuet, ce petit bourg qui n’est même pas une commune mais qui est la patrie de St Pierre Chanel qui les a évangélisés. Quand ils viennent à Cuet, ils sont tellement touchés qu’ils emmènent toujours en souvenir un peu de terre en disant : c’est là que nous sommes nés ! Ils habitent à l’autre bout du monde, on ne peut pas faire plus loin ! Quand j’y suis allé, c’est 27 heures d’avion sans compter les escales ! Ils habitent à l’autre bout du monde, mais quand ils sont dans ce trou perdu de la Bresse, ils disent : c’est là que nous sommes nés ! Parce que, dans ces îles, la foi chrétienne est une dimension essentielle de la vie. C’est sûrement le seul lieu au monde où il y a 100% de catholiques. Je ne sais pas combien de temps ça va durer encore, mais il y a 100% de catholiques. La parole de Tertullien trouve, là-bas, une résonnance particulière : c’est bien vrai, le sang des martyrs est une semence de chrétiens et une semence tellement féconde ! Eh bien, de la même manière, en entendant cet Evangile, nous pourrions dire : c’est là que, spirituellement nous sommes nés ; c’est au Golgotha, dans l’une des ultimes paroles de Jésus que nous avons été engendrés spirituellement à la vie de disciple.

Nous le savons dans l’Evangile de Jean, il se passe beaucoup de choses à la Croix. Parce qu’il s’est montré obéissant à la mission reçue en vivant tout jusqu’au bout dans l’amour Jésus, en mourant, Jésus a déjà été exalté, c’est ce que nous méditions hier. Au Golgotha, avec cette Croix dressée, se profile déjà comme en filigrane la Résurrection, l’exaltation de Jésus. Et St Jean, en utilisant une expression bien particulière pour parler de la mort de Jésus a voulu que cette mort soit aussi comme l’annonce de la Pentecôte. En mourant, nous dit l’Evangéliste, Jésus remet l’Esprit, il ne faut pas hésiter à écrire esprit avec un « E » majuscule. Nous le voyons, c’est la totalité du mystère pascal qui se déploie déjà au Golgotha. C’est-à-dire que c’est là qu’est née l’Eglise et par conséquent, c’est là que nous sommes nés, que nous avons été engendrés comme disiples. Et du coup, ça devient très beau, de même qu’il y avait Marie pour la Pentecôte officielle, il y a aussi Marie qui est présente au Golgotha où Jésus donne comme les arrhes du Saint-Esprit. Benoit XVI avait eu cette extraordinaire déclaration : « S’il n’y a pas d’Église sans Pentecôte, il n’y a pas non plus de Pentecôte sans la mère de Jésus, parce qu’elle a vécu de manière unique ce dont l’Église fait l’expérience chaque jour sous l’action de l’Esprit-Saint. » Eh bien Marie est là pour cette Pentecôte du Golgotha et elle n’est pas là comme simple figurante puisque Jésus décide de l’associer de manière toute particulière à la naissance de l’Eglise. Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. » Puis il dit au disciple : « Voici ta mère. » 

Oui, c’est bien ici que nous sommes nés, que nous avons été engendrés spirituellement à notre mission de disciple et c’est dans le cœur souffrant de Marie que se réalise cet acte d’engendrement. C’est de ce nouveau fiat qu’elle prononce en ces heures si douloureuses que jaillira la fécondité de la mission de l’Eglise. Quelle consolation pour nous, particulièrement aux heures plus difficiles, de pouvoir retourner en pensée à ce lieu, à cette heure où nous avons été engendrés à notre mission de disciple. Quelle consolation pour nous de pouvoir nous tourner vers Marie qui a su encore dire Oui en ces moments si douloureux, quelle consolation et quel encouragement de savoir qu’elle nous aidera à accueillir et à vivre fidèlement cette condition de disciple qui devient comme une identité nouvelle pour nous.

Enfin je termine en évoquant le nom de cette fête : Notre Dame des Douleurs ou Notre Dame des 7 douleurs. Je pense que vous les connaissez ces 7 douleurs, je les énumère quand même, elles pourront nourrir votre méditation à un moment ou à un autre de la journée, peut-être au chapelet. La 1° de ces 7 douleurs, c’est la prophétie de Syméon qui annonce qu’un glaive de douleurs transpercera le cœur de Marie. La 2°, c’est la fuite en Egypte, ce moment si particulier où la sainte famille va connaître la diffcile condition des réfugiés, heureusement que ceux qui leur ont ouvert leur porte n’ont pas dit ce que nous disons trop souvent : on ne peut quand même pas accueillir toute la misère du monde ! La 3°, c’est la disparition de Jésus au moment de leur pèlerinage à Jérusalem, dans ce moment d’angoisse, Marie, épaulée par la présence de Joseph, connait la situation de tant de parents qui ont perdu leur enfant, ceux qui sont morts trop tôt, de manière tragique mais aussi ceux qui sont perdus dans des pratiques mortifères. La 4°, c’est cette rencontre éprouvante sur le chemin de la Croix, rencontre au cours de laquelle Marie vit douloureusement l’impuissance de ces mères qui accompagnent leurs enfants souffrants et ne pouvant rien faire pour eux. La 5°, c’est la présence au pied de la croix, debout nous dit la tradition, ce qui donnera naissance à ces magnifiques Stabat Mater. Marie est là, elle ne peut rien faire d’autre que d’être là au moment où tant de ceux que Jésus aurait aimé avoir à ses côtés ont fui. La 6° douleur, c’est la remise du corps de Jésus, ce corps mort, portant les stigmates de tant de souffrances, qu’elle tient entre ses bras comme jadis elle avait pu tenir le corps de ce petit bébé cadeau du ciel. La 7° douleur, c’est l’ensevelissement au tombeau et la veille qui suit, dans la foi, une foi qui n’est plus nourrie par aucun signe sensible mais qui ne peut s’appuyer que sur la fidélité de Dieu à ses promesses. Il y a eu bien d’autres souffrances dans la vie de Marie, ces 7 là ont été retenues parce que 7 est un chiffre parfait qui évoque une totalité pour nous dire que la vie de Marie a été une longue passion. 

Ce mot, il faut l’entendre dans les deux sens : la vie de Marie a été une passion parce qu’elle a été émaillée de beaucoup de souffrances parce que celui qui veut tout vivre dans l’amour sait que cette fidélité a un coût. Mais la vie de Marie a été aussi une passion parce qu’elle a été passionnée par la mission qui lui avait été confiée d’accompagner la mission de son fils, une passion qui continue dans l’accompagnement de l’Eglise. C’est l’intercession de cette passionnée que nous invoquons aujourd’hui.

Laisser un commentaire