Vendredi 9 juillet 14° temps ordinaire. Si j’aurais su j’aurais pas venu !

« Si j’aurais su j’aurais pas venu ! » vous avez sans doute reconnu la réplique culte du petit Gibus dans la Guerre des boutons, ce monument de la littérature, merveilleusement mis en film. A cause de son âge et sans doute aussi à cause de l’attention si particulière qu’il manifeste à l’école, le petit Gibus n’a pas encore une maitrise parfaite de la langue française et ça s’entend bien quand il ne cesse de répéter : « Si j’aurais su j’aurais pas venu ! » Voulant jouer au grand et jouer avec les grands, le pauvre petit Gibus se retrouve toujours dans des situations impossibles qui lui font regretter, à chaque fois, de ne pas être resté chez lui et c’est pour cela qu’il ne cesse de dire : « Si j’aurais su j’aurais pas venu ! »

C’est sans doute ce que penseront un jour les descendants de Jacob. Parce que, à première vue, il en a de bonnes le Bon Dieu quand il lui dit cette parole que nous avons entendue dans la lecture d’aujourd’hui : « Ne crains pas de descendre en Égypte, car là-bas je ferai de toi une grande nation. » Tous ces jours nous avons lu l’histoire de Joseph qui touche à sa fin et nous avons vu comment, alors qu’il a été vendu par ses frères, il pourra sauver sa famille dont la vie était en péril à cause de la grande famine qui sévissait sur la terre de Canaan. Devenu le meilleur conseiller de pharaon, il avait plein pouvoir pour distribuer le blé comme bon lui semblait à tous ces réfugiés climatiques qui arrivaient en masse en Egypte. Reconnaissant ses frères, il leur vendra du blé et réclamera, en échange, de voir son père. On peut comprendre que le vieux Jacob hésite à faire ce voyage, bien sûr, il souhaite revoir son fils, mais en même temps, entreprendre un tel voyage, à son âge, ce n’est pas sérieux. C’est alors que Dieu intervient en lui faisant comprendre que la famine qui sévit risque de se prolonger, il conseille donc à Jacob de partir et de s’installer en Egypte. C’est pour l’encourager, que Dieu lui dit cette parole qui contient une belle promesse : « Ne crains pas de descendre en Égypte, car là-bas je ferai de toi une grande nation. » Pour ça Dieu ne s’est pas trompé, ils vont devenir une grande nation ! Mais du coup, ça va être le début d’un autre problème car, comme le dira la lecture que nous entendrons lundi, un nouveau pharaon montera sur le trône qui n’avait pas connu Joseph et qui va prendre peur devant ces immigrés qui font tant d’enfants et deviennent une menace pour la prospérité du pays ! En s’installant en terre d’Egypte, Jacob et ses descendants ont peut-être été sauvés de la famine mais, au bout du compte, ça sera pour se retrouver en esclavage. Et c’est donc pour cela qu’un certain nombre de descendants de Jacob auraient pu dire comme le petit Gibus : « Si j’aurais su j’aurais pas venu ! »

Comble de tout, ils ne manqueront pas de rendre Dieu responsable de toute leur misère, comme ils le rendront encore responsable quand, libérés par Moïse, ils se retrouveront 40 ans dans le désert. Là encore, ils seront nombreux ceux qui, regrettant les marmites pleines de concombres et d’oignons en Egypte, diront à leur manière : « Si j’aurais su j’aurais pas venu, je serai resté en Egypte ! » Et à chaque fois, cette parole est prononcée accompagnée d’un doigt accusateur pointé vers Dieu. Reconnaissons que nous pouvons nous reconnaître dans ces situations. Nous aussi, quand nous sommes pris dans des épreuves terribles, nous râlons intérieurement en pensant ou en criant : « Si j’aurais su j’aurais pas venu, j’aurais pas écouté Dieu ! » et chez nous aussi, ce cri de révolte peut être accompagné d’un doigt accusateur pointé vers le ciel qui rend Dieu responsable des malheurs qui nous arrivent. 

Or le père Christian l’a magnifiquement expliqué hier, nous touchons là au mystère de la Providence de Dieu. C’est assez paradoxal de parler de Providence quand on parle de malheur, mais c’est là qu’on la voit le mieux en œuvre. Encore une fois, comme le disait le père Christian, Dieu n’est pas Celui qui tire toutes les ficelles d’un destin qu’il aurait écrit avec des événements plus ou moins heureux selon les circonstances et selon les personnes. Nous ne sommes pas des musulmans qui répètent sans cesse Mektoube. Ce mot est moins connu que celui d’Inch Allah qui signifie « Si Dieu veut » Mektoube, c’est le mot qui marque la soumission (islam signifie littéralement la soumission), les musulmans disent Mektoube quand un événement terrible leur tombe sur le coin du nez, décès d’un enfant, d’un proche, grave maladie … Mektoube signifie donc : c’était écrit … sous-entendu par Dieu, c’était la volonté de Dieu qu’arrive cette catastrophe.

Conséquence pour les musulmans : nous n’avons qu’à nous incliner puisque Dieu l’a voulu. Mais attention, même si nous les respectons infiniment et même si, à leur contact, nous pouvons apprendre le sens de la grandeur de Dieu, nous ne sommes pas musulmans ! Jamais un chrétien ne devrait dire que Dieu a voulu une catastrophe, que ce qui m’arrive de grave, c’est Dieu qui l’a voulu. Ce que Dieu veut, c’est que l’épreuve ne me submerge pas. C’est là, comme le disait le père Christian, que la Providence intervient. Parce qu’il est amour, le Seigneur me rejoint au cœur des épreuves que je traverse et parce qu’il est amour tout-puissant, il va être capable de tirer du bien de ce mal qui me submerge. Parce qu’il est amour, il va ouvrir un chemin de vie au cœur-même de ces expériences de mort. C’est cela la Providence. Les descendants de Jacob l’expérimenteront par la suite quand, en Egypte, ils seront réduits en esclavage, Dieu dira à Moïse : j’ai vu la misère de mon peuple, j’ai entendu son cri, va je t’envoie pour libérer mon peuple. Comme nous avons besoin de retrouver des idées claires sur ce sujet si difficile, c’est déjà important pour nous, mais ça l’est aussi si nous voulons aider, accompagner des personnes en difficulté. 

On m’a fait passer récemment le témoignage que des parents ont lu aux funérailles de leur fils qui a été emporté en quelques semaines par une maladie implacable. Voilà ce qu’ils ont dit, j’espère pouvoir le lire sans trop d’émotion. « Nous étions à l’hôpital avec ta maman. Chacun d’entre nous te tenait une main ; nous te caressions les bras, posions de temps en temps un baiser sur ton front ou sur tes cheveux. Nous étions à nouveau les jeunes parents découvrant la transcendance de l’amour, émerveillés par l’extra-ordinaire du don de soi ; et toi tu redécouvrais la plénitude de l’amour de l’enfant. Il flottait dans la pièce l’intemporalité de l’amour qui ne demande rien ; il y avait l’enfant qui disait maman je t’aime et papa je t’aime. Et tu le disais. Nous savions que ton corps bientôt nous abandonnerait et nous étions là à unir nos êtres avec le tien. Nous bâtissions l’avenir, non sur les souvenirs mais sur la certitude de l’éternité de nos êtres unis. Et nous nous remplissions de cette plénitude pour pouvoir y puiser quand, malgré tout, les souvenirs nous accableront de la beauté du passé. Cet amour transcendant, celui dont ton frère et sa femme qui se marient ces jours font l’expérience, l’amour de la maman pour son nouveau-né, c’est celui du don total, celui de Dieu qui nous a envoyé son fils et du fils sacrifié pour nous.  Cet amour est là, c’est lui qui unit, ta famille, tes amis, tes collègues, tous les présents qui, croyants ou non, sont là avec toi aujourd’hui pour nous entourer et recevoir de toi cet ultime cadeau. » Voilà la manifestation de la Providence de Dieu qui, bien évidemment n’avait pas programmé la mort de ce jeune. Par contre, la Providence de Dieu s’est manifestée dans l’accompagnement si rempli de tendresse de ses parents, dans la relecture de foi qu’ils ont pu faire de cet accompagnement et dans la force qui leur a été donnée d’en témoigner devant tous le jour des funérailles. Oui, Dieu est Providence, non pas parce qu’il a tout écrit et qu’il nous ferait une vague promesse du type : après la pluie, le beau temps ! Dieu est Providence parce que, quels que soient les événements douloureux que nous vivons, qu’ils soient conséquences de nos choix tordus ou dérèglements de la nature, il nous rejoindra et sera capable de nous ouvrir un chemin de vie.

C’est exactement ce qui était dit dans l’Evangile. D’abord, nous avons bien compris en l’écoutant que ce texte n’était pas un tract mensonger destiné à recruter des évangélisateurs en leur laissant croire que s’ils s’engageaient tout serait facile et merveilleux ! Non ! Rien n’est caché des épreuves qui pourront nous attendre. Mais au cœur de l’annonce des difficultés, il y a une promesse merveilleuse, étonnante. Il est dit : « Quand on vous persécutera dans une ville, fuyez dans une autre. Amen, je vous le dis : vous n’aurez pas fini de passer dans toutes les villes d’Israël quand le Fils de l’homme viendra. » Il y a deux manières d’entendre ces paroles. Soit on les entend comme l’annonce imminente du retour du Christ, mais si c’est ça, depuis le temps qu’on dit que ce jour est proche, on finit quand même par se demander s’il arrivera ! Soit on les entend comme une promesse qu’on pourrait traduire de cette manière : vous ne pourrez pas passer de ville en ville sans que le Fils de l’Homme, c’est-à-dire Jésus, ne vous accompagne. 

Puisque c’est Lui qui vous a appelé, puisque c’est Lui qui vous envoie et puisque c’est encore à cause de Lui que vous souffrez, que vous devez si souvent déménager et que vous connaissez ces échecs, il est bien évident que Lui, ne vous lâchera jamais, qu’il marchera avec vous. C’est encore de cette manière que Dieu manifeste sa Providence qui correspond à l’accomplissement de la promesse faite à Jacob que nous avions entendue lundi en tout début de retraite : « je te garderai partout où tu iras, je ne t’abandonnerai pas. » Jacob avait retraduit avec ses mots à lui cette promesse en disant : « le Seigneur me gardera sur le chemin où je marche. » Ce n’est pas le Seigneur qui programme le chemin, ce sont nos choix ou la vie qui nous conduit à marcher sur tel chemin plutôt que tel autre, mais sur les chemins où nous marchons, quels qu’ils soient, quelles que soient les raisons pour lesquelles nous y marchions, le Seigneur marchera avec nous. Alors bien sûr, prendre le temps du discernement avant d’emprunter un chemin, ça ne sera jamais du temps perdu parce que prendre le bon chemin, ça sera plus simple pour nous et ça facilitera la tâche du Bon Dieu. Mais quoiqu’il en soit, il m’accompagnera sur le chemin que j’ai décidé de prendre. Que cette certitude de foi nous établisse chaque jour un peu plus dans la confiance et la gratitude.

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