Je l’ai déjà évoqué, la chronologie post-pascale de Luc est assez difficile à suivre. Les exégètes disent d’ailleurs qu’il poursuit un but beaucoup plus théologique que chronologique. Si vous lisez les deux versets qui précèdent le texte que nous avons entendu, vous lirez ceci : « À l’instant même, ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem. Ils y trouvèrent réunis les onze Apôtres et leurs compagnons, qui leur dirent : Le Seigneur est réellement ressuscité : il est apparu à Simon-Pierre. » On a donc les deux disciples d’Emmaüs qui reviennent le plus vite possible et avant même qu’ils ne puissent annoncer la bonne nouvelle, les apôtres leur disent : « Le Seigneur est réellement ressuscité : il est apparu à Simon-Pierre ! » Le problème, c’est que dans l’évangile de Luc, nous n’avons pas cette mention de l’apparition à Pierre. Vous relirez et vous verrez qu’il est juste question des femmes qui reviennent du tombeau et qui annoncent aux apôtres ce qu’elles ont reçu mission d’annoncer à savoir que Jésus est ressuscité. Mais Luc précise que « ces propos leur semblèrent délirants, et ils ne les croyaient pas. » Dans d’autres traductions, on parle de racontars de bonnes femmes ! Luc mentionne que Pierre va tout seul au tombeau et qu’il constate qu’il est vide, mais c’est tout ! Et après cela, on a l’épisode des disciples d’Emmaüs suivi du texte que nous venons d’entendre.
Si j’insiste sur ces détails chronologiques c’est pour dire que dans l’évangile de Luc, le texte que nous venons d’entendre est la première apparition de Jésus ressuscité à ses apôtres. Et, alors, d’entendre ce texte avec cet arrière-fond, moi, ça me touche au plus haut point. C’est la 1° fois que Jésus ressuscité apparait à ses apôtres et qu’est-ce qu’il leur dit ? « La paix soit avec vous ! » Je trouve cela sidérant !
Moi, je sais très bien ce que j’aurais dit ! « Alors, les gars, vous êtes fiers de vous ? Je vous ai choisi entre tous pour que vous soyez mes compagnons les plus proches, j’ai passé 3 ans avec vous, pratiquement jour et nuit, on était ensemble, je vous ai formés, je vous ai accompagnés et au moment où j’aurais eu besoin de vous : plus personne ! Comment voulez-vous que je vous fasse confiance pour l’avenir, moi, je vais chercher un plan B parce que ce n’est pas pensable que je vous confie l’avenir de l’Eglise ! »
Mais heureusement pour les apôtres, Jésus est bien meilleur que moi ! Lui, il les rejoint et qu’est-ce qu’il leur dit : « La paix soit avec vous ! » Il sait que, dans le moment, ce dont ils ont le plus besoin, c’est de paix, parce que leurs faiblesses, leurs trahisons, ils se les repassent en boucle depuis vendredi, pas moyen de fermer les yeux ! Quand ils les ferment, tout le film se déroule à nouveau, chacun revoyant sa lâcheté. En plus, il y a eu ces paroles de Jean, le seul à rester jusqu’au bout, qui leur a forcément raconté comment ça s’est fini. Tout ça fait qu’ils sont plongés dans une culpabilité extrême. Et cela, Jésus l’a bien compris, alors, il leur donne ce dont ils ont le plus besoin dans la situation où ils se trouvent, il leur donne la paix. Il la leur avait déjà donnée avant de mourir au cours du dernier repas qu’il partageait avec eux : « je vous laisse la paix, je vous donne ma paix, que vos cœurs ne se troublent pas ! »
Mais, depuis jeudi soir, leurs cœurs sont tellement troublés qu’ils n’en peuvent plus, alors Jésus renouvelle ce don : « La paix soit avec vous ! » Pas un mot sur le passé, il leur dit même : « pourquoi ces pensées qui surgissent dans votre cœur ? » Jésus est vraiment étonnant, sa miséricorde ne finira jamais de nous étonner !
Ce n’est pas pour rien que le prêtre reprend cette prière du don de la paix avant de communier parce que nous n’avons pas de quoi être fiers nous non plus, nous pouvons avoir le cœur troublé si nous reprenons conscience de notre péché, de nos lâchetés. Mais Jésus ne vient jamais pas pour nous culpabiliser ! Aujourd’hui encore, dans chaque eucharistie, il commence par nous donner sa paix pour que nous ne soyons pas focalisés sur nos insuffisances, nos médiocrités qui nous empêcheraient de goûter à la joie de sa présence.
Et, dans la suite de cette première rencontre avec ses apôtres, Jésus ressuscité va parcourir les Ecritures pour les aider à comprendre non pas leurs faiblesses mais la puissance de Dieu qui est capable de tout transformer en faveur des hommes, de Dieu qui est capable de faire feu de tout bois, même du bois de la croix ! Vous comprenez pourquoi, j’ai pris du temps, au début de mon homélie pour replacer ce texte dans son contexte parce qu’il fallait vraiment comprendre que c’était la première rencontre de Jésus ressuscité avec ses apôtres pour goûter comme il se doit la saveur de la parole qu’il leur adresse : « La Paix soit avec vous. »
Laissons-nous toucher par la force de la douceur bienfaisante de cette parole de Jésus qu’il nous adresse encore : « La paix soit avec vous. » Et, rejoints par cette parole, comme nous y invitait la 1° lecture, convertissons-nous. J’ai été touché par ce verset de la 1° lecture : « Convertissez-vous et tournez-vous vers Dieu pour que vos péchés soient effacés. Ainsi viendront les temps de la fraîcheur de la part du Seigneur et il enverra le Christ Jésus qui vous est destiné. » Mais vous savez que se convertir et se tourner vers Dieu, ce ne sont pas deux actions successives. Se convertir, c’est se tourner vers Dieu, c’est-à-dire accueillir son amour, accueillir sa paix qui nous rejoint quand nos cœurs se troublent. Et si nous entrons dans ce mouvement, alors, comme le disait le texte des Actes : « viendront les temps de la fraîcheur de la part du Seigneur. » Quelle belle promesse dans un pays où on souffre si souvent d’une chaleur écrasante ! Si nous nous convertissons, c’est-à-dire, si nous nous tournons résolument vers le Seigneur en renonçant à avoir les yeux toujours fixés sur nous, si nous arrêtons de nous prendre sans arrêt le pouls pour savoir si nous sommes à la hauteur, si les autres sont à la hauteur, alors viendront les temps de la fraîcheur de la part du Seigneur et le Christ vous sera donné.
« Pouvoir être trahi sans cesser
De croire aux hommes. »
Voilà un passage de l’hymne de la st Benoît que j’aime beaucoup et qui peut résumer une partie de votre homélie.
« Et avoir les yeux fixés sur Jésus-Christ, entrons dans le combat de Dieu » peut compléter vos dires. Alors, vive le Carême histoire de ne pas être chocolat et avoir ainsi la meilleure part !