16 juillet : 15° dimanche du temps ordinaire Un semeur bien particulier qui sème une semence bien particulière !

Cette parabole du semeur que nous connaissons bien et que nous venons d’entendre comporte une particularité : c’est la seule parabole pour laquelle Jésus propose une explication. Pour les autres, il la raconte et ensuite, il laisse l’histoire faire son chemin dans les cœurs, chacun pouvant aller à son rythme et retenir ce qui le touche, ce qui le questionne. C’est exactement le sens du mot parabole qui vient du grec « para-balô » qui signifie « jetée le long de » la parabole est une histoire jetée le long du chemin de chacun et chacun cueillera cette histoire comme il en a envie, selon ses dispositions du moment. La parabole, c’est donc l’inverse d’une vérité « jetée en pleine face », ces vérités qui peuvent assassiner tant on se préoccupe peu de savoir si l’autre est dans des dispositions qui lui permettront d’entendre ce qu’on veut lui dire. La parabole, c’est donc tout l’inverse, la vérité que Jésus veut dire est finement enrobée dans une histoire qui est racontée et chacun captera dans cette histoire ce qu’il peut, ce qu’il veut, au rythme qui est le sien, sachant que la parabole pourra revenir à un moment ou à un autre le travailler à nouveau. Jésus a toute confiance en la puissance de ses paraboles qui, comme le disait Isaïe dans la 1° lecture, à propos de la Parole de Dieu, de manière plus générale : ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce qui me plaît, sans avoir accompli sa mission. La parabole est donc un enseignement à la fois très respectueux de l’auditeur et en même temps très incisif, c’est sans doute pour cela que Jésus aimait tant parler en paraboles.

Mais là, pour cette parabole, il y a quelque chose de très particulier, d’unique puisque Jésus ne va pas laisser la parabole faire son chemin dans les cœurs, il en propose une explication. Et c’est assez étonnant car les apôtres lui demandent pourquoi il parle en paraboles mais ils ne lui demandent pas d’expliquer la parabole. C’est de lui-même que Jésus, dans l’élan de sa réponse aux apôtres, va proposer cette explication de la parabole. Les exégètes, de manière assez unanime, pensent que cette explication a été rajoutée plus tard. Attention, ça ne veut pas dire qu’elle a été inventée, mais au départ quand Jésus a raconté la parabole, il n’y avait pas l’explication qui suivait, il y avait juste la réponse à la question des apôtres. Et, un peu plus tard, avant que le texte de l’Evangile ne soit totalement fixé, l’explication a été rajoutée, encore une fois, sans être inventée. A un moment ou à un autre, sûrement dans un moment où ils cheminaient avec Jésus, l’un des apôtres avait dû l’interroger sur le sens de cette parabole. Et Matthieu a fait ce que nous faisons souvent, c’est-à-dire du copier-coller, il a ajouté cette réponse de Jésus à la suite de la parabole.

Qu’est-ce qui permet aux exégètes de dire cela ? Tout simplement le fait qu’il y a un déplacement de sens entre la parabole et son explication. Dans la parabole, manifestement Jésus veut porter l’attention de ses auditeurs sur le semeur et sa générosité. La parabole commence par ces mots : Voici que le semeur sortit pour semer. Comme il semait, des grains sont tombés … C’est clair le projecteur est mis sur le semeur et un semeur assez particulier qui sème une semence également très particulière. Oui je pense vraiment qu’il y avait deux questions que se posaient ses auditeurs.

– 1° question : Qui était-il donc ce semeur si particulier pour se permettre de ne pas faire attention à la semence et de laisser des grains tomber sur le chemin, sur le sol pierreux et dans les ronces ? Ça c’était le 1° détail qui ne pouvait qu’attirer l’attention des auditeurs. En effet, aucun parmi les semeurs qu’ils connaissaient n’agissait ainsi ! Au temps de Jésus, il n’y avait pas de grands céréaliers, possédant d’immenses étendues à exploiter, il n’y avait que de petits paysans assez pauvres qui semaient sur un petit lopin de terre. Ça signifie que les revenus étaient maigres d’autant plus que les pluies étaient rares, alors, au moment des semailles, ces paysans faisaient très attention de ne pas gaspiller de semence. Et là, Jésus parle d’un semeur qui ne craint pas de laisser tomber du grain même sur le chemin et sur le sol pierreux ou encore dans les ronces. Mais qui est-il ce semeur pour être si peu regardant à la dépense ?

– 2° question, parce qu’il y avait un autre détail qui devait étonner les auditeurs de la parabole, c’est la fécondité de la semence quand elle tombait dans la bonne terre. Jésus annonce qu’elle peut porter 100, 60 ou 30 pour un. Dans le passé, j’avais lu un article qui expliquait que c’étaient des rendements jamais atteints pour l’époque, 30 pour un, parfois, les très bonnes années, mais 60 ou 100, jamais, même pas en rêve ! 

Et vous aurez remarqué que Jésus commence par citer le rendement de 100 pour 1en premier comme pour dire que ça devait être la norme la plus habituelle pour cette semence-là. Mais quelle est donc cette semence à la fécondité si extraordinaire ?

En racontant cette parabole, c’étaient donc ces deux questions que Jésus voulait que ses auditeurs se posent : qui est ce semeur si généreux et quelle est cette semence si féconde ? Or dans l’explication, on sent un glissement de sens, ce n’est plus tant le semeur et la semence qui sont au centre, mais la qualité des terrains, c’est ce qui est le plus développé. C’est à cause de ce glissement de sens que les exégètes disent que la parabole et son explication n’ont pas dû être racontées dans la foulée par Jésus, que l’explication a été rajoutée par la suite. Et on comprend très bien pourquoi elle a été rajoutée.

Très vite les chrétiens comprendront que Jésus a raconté cette parabole pour parler de lui. C’est lui ce semeur si généreux et la semence, c’est sa Parole, une Parole à la fécondité extraordinaire. Avec cette parabole Jésus veut expliquer pourquoi il passe tant de temps avec des personnes que les « bien-pensants » de son époque classaient vite dans la catégorie des personnes pas intéressantes. Peut-être que ses apôtres pensaient aussi qu’à certains moments Jésus perdait son temps à fréquenter des personnes dont on ne pouvait pas attendre grand-chose. Et lui, Jésus, il se justifie avec cette parabole, il est ce semeur qui est sorti du sein du Père pour semer la Parole dans tous les cœurs et il refuse de faire du tri entre ceux qui méritent d’entendre cette Parole et ceux qui ne le mériteraient pas. Tel le semeur de la parabole, il accepte que la Parole qu’il est venu semer tombe dans des cœurs pas suffisamment préparés, pas suffisamment ouverts. Mais ce n’est pas grave, elle produira, au moins un moment du fruit et si elle n’en produit pas, elle ne sera pas perdue pour tout le monde puisque les oiseaux pourront s’en nourrir si les hommes n’en veulent pas ! C’est du St François d’Assise avant l’heure ! Les chrétiens comprendront aussi très vite pourquoi cette semence promet des rendements jamais atteints, puisque la semence, c’est la Parole de Dieu, pas étonnant qu’elle ait cette fécondité.

Oui, mais il y a quelque chose que les chrétiens auront du mal à comprendre : puisque la semence est féconde et puisqu’eux essaient d’être aussi généreux que Jésus en la répandant largement, pourquoi ça ne marche pas mieux ? Pourquoi l’Evangélisation ne porte pas plus de fruits et pourquoi elle déclenche même des persécutions, car c’était bien la situation des chrétiens au moment où étaient écrits les Evangiles et cet Evangile de Matthieu, particulièrement. C’est pour répondre à cette question troublante, lancinante que Matthieu va rajouter l’explication de la parabole qui insiste bien plus sur l’importance des terrains. Voilà pourquoi ça ne marche pas mieux : il y a des terrains qui sont impossibles et il y a peut-être de plus en plus de semence qui tombe sur ces terrains impossibles.

Toutes ces explications étant données, que pouvons-nous tirer de tout cela pour nous aujourd’hui ? Eh bien, je crois qu’il nous faut lire avec la même attention la parabole et son explication ce qui me semble nous inviter à 3 attitudes :

– 1° attitude : nous avons à devenir aussi généreux que Jésus pour semer la Parole sans trop choisir les terrains sur lesquels nous annoncerons la Parole. L’Evangélisation réclame des semeurs audacieux qui ne décideront jamais par avance que lui, elle, tel groupe, ce n’est pas la peine de lui faire entendre la Parole, il, elle ne l’accueillera jamais. Jésus n’a pas agi ainsi, il a semé sans regarder en croyant en la puissance de la Parole.

– 2° attitude, pour semer, il faut sortir : le semeur sortit pour semer ! Je me rappelle le cardinal Hummes, alors préfet de la congrégation du clergé, quand il était venu à Ars, avait dit aux prêtres, à partir de la parabole : vous ne pouvez pas semer la Parole, vous ne pouvez pas évangéliser en restant enfermés dans vos presbytères, le semeur, lui, il est sorti pour semer. Nous, ici, nous n’avons pas besoin de sortir puisque les retraitants viennent à nous, mais nous avons peut-être quand même à sortir d’habitudes sclérosantes qui ne nous poussent plus à l’audace que nécessite l’Evangélisation.

– 3° attitude : quand nous sommes confrontés à l’échec, ne soyons jamais tentés de tout laisser tomber, oui, il y a des zones d’échec qui correspondent à la liberté de ceux qui accueillent la Parole, mais ces expériences d’échec ne devront jamais nous faire oublier la joie de ceux qui accueillent la Parole et l’étonnante fécondité de cette Parole dans leur vie. Ne nous décourageons donc jamais !

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