17 mars : Vendredi 3° semaine de carême Aimer l’autre qui est comme toi !

« Quel est le premier de tous les commandements ? » Il est bien possible que ce scribe qui s’avance vers Jésus ne cherche pas à lui tendre un piège en lui posant cette question. Pourtant dans ce chapitre 12, il y a plusieurs démarches ambigües des chefs religieux qui nous sont présentées. Ils ont cherché à mettre Jésus en difficulté. Ça commence avec les pharisiens qui l’interrogent sur le fait de payer l’impôt à César. Ça continue ensuite avec la question des saduccéens sur la résurrection avec l’histoire abracadabrantesque de cette femme qui a épousé successivement 7 frères. Et finalement, à la suite, il y a cette question du scribe, les 3 grandes catégories l’ont donc interrogé : pharisiens, sadducéens et scribes. Mais il est possible que la question du scribe n’ait pas eu l’intention polémique des deux précédentes. En tout cas, Jésus va répondre posément, comme aux autres d’ailleurs, même si, avec les autres, il n’a pas été naïf et n’a donc pas manqué de fermeté. 

Je dis que ce scribe ne posait pas forcément une question polémique car c’était un sujet très prisé dans les écoles théologiques rabbiniques que de discuter à perte de vue pour savoir quel était le plus grand des commandements. Je crois avoir déjà expliqué que certaines écoles rabbiniques corsaient ce défi théologique en lui ajoutant un défi physique. Ceux qui voulaient synthétiser la Loi devaient le faire en étant capable de prononcer leur synthèse sur un seul pied, c’est dire s’il fallait que ce ne soit pas trop long ! D’autres écoles refusaient le défi en disant que la Loi, c’est la Loi et qu’il n’y a rien dans la Loi qui soit plus ou moins important, tout ce que Dieu a dit est d’égale importance.

Le scribe qui s’avance vers Jésus, sans doute parce qu’il a perçu que Jésus était un rabbi pas tout à fait comme les autres, lui demande donc sa synthèse personnelle. La réponse de Jésus a dû le surprendre, parce qu’il y a quand même quelque chose de vraiment étonnant dans cette réponse. En effet, Jésus ne cite aucune des 10 paroles de vie, ni aucune des 613 prescriptions. Pour répondre au scribe, il va bien citer les Ecritures, mais il puise sa réponse ailleurs que dans la liste des commandements pour donner comme synthèse personnelle, le double commandement de l’amour. La liste des commandements se trouve au chapitre 5 du Deutéronome et Jésus cite un passage du chapitre 6, ça c’est pour le commandement sur l’amour de Dieu et il complète par une citation du Lévitique au chapitre 19 pour le commandement concernant l’amour mutuel. Au passage, je fais remarquer que la manière dont Jésus cite le Deutéronome lui permet de réaffirmer qu’avant tout, ce qui est le plus essentiel, c’est d’écouter le Seigneur : Écoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur. Je n’insiste pas j’en ai suffisamment parlé hier.

Finalement, dans sa manière de répondre, nous le percevons, Jésus n’est pas du tout intéressé par tous ces débats d’école, pour lui, c’est clair, comme le dira Paul, plus tard, l’accomplissement parfait de la loi, ce n’est pas la stricte observance de tel ou tel commandement, l’accomplissement parfait de la loi, c’est l’amour. C’est donc comme si Jésus disait à cet homme et à tous ses collègues : plutôt que de dépenser votre énergie à ergoter sur tel point de la loi pour savoir s’il est supérieur à tel autre, vous feriez bien de concentrer votre énergie sur l’amour !

Et voilà qui nous interroge, nous aussi, au cœur de ce carême : est-ce que toute mon énergie, je la mets au service de l’amour. Quand je défends une idée, est-ce vraiment parce qu’elle nous conduirait à vivre plus ou mieux dans l’amour si on l’adoptait ? Quand je fais une remarque à quelqu’un, est-ce toujours dans l’amour et pour lui permettre de vivre plus dans l’amour ? Quand je viens à la chapelle, est-ce que j’y viens comme une réponse d’amour à cet amour de Dieu qui me précède ? Bref, la manière dont Jésus répond nous interroge forcément et nous invite à tout réévaluer dans nos vies avec ce critère du double amour pour Dieu et pour les autres, critère qui doit devenir le critère le plus déterminant. 

Maintenant, dans la réponse de Jésus, il faut nous interroger pour savoir ce qu’il veut dire quand il nous invite à aimer les autres « comme soi-même » « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Certains pourraient être gênés par cette formulation qui leur semble un peu égoïste puisqu’elle prend comme mesure de l’amour, l’amour que nous avons pour nous-mêmes. D’autres pourront être gênés parce qu’ils n’arrivent pas à s’aimer. Je ne parle pas de ceux qui n’aiment pas leur nez ou leurs yeux, non, il y en a qui n’arrivent pas à s’aimer à cause de blessure contractée dans l’enfance. C’est sûr que si personne ne nous a jamais fait sentir que nous étions aimables, nous aurons du mal à nous aimer. Alors s’il faut aimer les autres comme nous nous aimons, dans ces cas-là, ça ne va pas produire un amour brillant !

Je me rappelle avoir lu un article très inspirant d’un exégète dont j’ai oublié le nom qui commentait cette expression « comme toi-même. » Il expliquait que, lorsque la bible a été traduite en grec, le mot utilisé dans ce passage du Lévitique qui a donné « comme toi-même » n’ait pas été le meilleur. En effet, la tournure hébraïque évoquait plutôt « qui est comme toi » Je reformule donc en utilisant cette tournure : « Tu aimeras ton prochain qui est comme toi. » Moi, je trouve que c’est très beau parce que cette tournure peut revêtir une double signification très complémentaire :

  • D’abord cette tournure nous redit notre égale dignité : l’autre est comme toi, c’est-à-dire totalement semblable en tout point de ton humanité. Il a ses qualités et ses défauts, comme toi, même si ce ne sont pas les mêmes que toi ! Il a des charismes, comme toi, même si ce ne sont pas les mêmes que toi ! Il est habité de grands désirs, comme toi, même si ce ne sont pas les mêmes que toi ! Je ne continue pas la liste, chacun peut le faire. Mais comme il est bienfaisant d’entendre que l’autre est comme nous, même s’il reste très différent !
  • D’autre part, cette tournure nous permet d’entendre que l’autre est comme moi, c’est-à-dire qu’il a ses grandes pauvretés. Et ce sont justement nos pauvretés qui nous font chercher l’amour : nous ne pouvons pas nous suffire à nous-mêmes. Alors, aime ton prochain qui, comme toi, a besoin d’être aimé pour exister. Oui, l’autre est comme nous, il a ses pauvretés, comme nous, même si ce ne sont pas les mêmes que nous ! Aimons notre prochain qui a ses blessures, comme nous, même si ce ne sont pas les mêmes que nous !

Je dis juste un mot sur la 1° lecture pour conclure. Il est vraiment touchant ce texte dans lequel les pécheurs En cette journée de mémoire et de prière pour les victimes d’abus demandée par les évêques de France, comment ne pas tourner nos regards vers ces personnes souffrantes et les considérer comme ces prochains que nous voulons aimer parce qu’ils sont d’autres nous-mêmes. Cela signifie notamment que, si ce qui leur est arrivé nous était arrivé, nous aurions besoin de savoir que nous ne sommes pas simplement des chiffres d’un rapport statistique glauque. Derrière toutes ces situations qui ont pu être évoquées, ici ou là, il y a des personnes qui ont été abimées, parfois brisées par ceux qui avaient été envoyés pour prendre soin d’elles. Nous les présentons particulièrement à la tendresse du Seigneur, le bon berger, pour que, lui, par son amour rédempteur, vienne apaiser leurs souffrances. Nous demandons aussi à l’Esprit-Saint de visiter nos évêques qui se réuniront prochainement à Lourdes pour examiner et voter les propositions faites par les 9 groupes de travail qu’ils ont mis en place afin que l’Eglise devienne une maison sûre.

Laisser un commentaire