Je ne sais pas si vous aimez aller aux champignons, ça fait belle lurette que, personnellement, je n’y suis pas allé ! Il y a deux raisons pour cela : d’abord je n’ai plus tellement le temps et j’ai un très lourd handicap : je ne vois pas les champignons ! Quand j’étais plus jeune, j’y allais souvent avec mes frères, eux, ils ramenaient des paniers pleins et moi, les seuls que j’avais mis dans le panier, c’étaient ceux qu’ils m’avaient montré ! Pour devenir un bon ramasseur de champignons, il faut les voir, j’ai donc assez vite compris que je ne deviendrai jamais un bon ramasseur de champignons. Mais rassurez-vous, ce n’est pas très grave d’être handicapé du regard, on peut très bien vivre sans voir les champignons ! Par contre, il y a un domaine pour lequel le handicap du regard est bien plus grave, c’est celui de l’évangélisation. On ne peut pas évangéliser si on est handicapé du regard. Je ne veux pas dire que les non-voyants sont exclus, j’ai fréquenté pendant de longues années un prêtre non-voyant qui fut un évangélisateur que j’admire aujourd’hui encore.
Mais dans l’évangélisation, tout commence par un regard : « Jésus, voyant les foules, eut pitié d’elles ». Tout commence par un regard. Et il en va souvent ainsi dans l’Evangile, en traversant Jéricho, Jésus voit Zachée qui est grimpé sur son arbre ; dimanche dernier, Jésus voyait Matthieu, le publicain assis à son bureau et l’appelait. Avec Jésus, toutes les plus belles aventures qui vont transformer la vie de quelqu’un commencent toujours par un regard : Jésus voit, Jésus sait regarder et c’est pour cela que chaque jour ses paniers sont pleins, la cueillette des conversions est prolifique. Jésus n’est pas comme moi, le piètre ramasseur de champignons qui passe à côté des champignons sans les voir ! Encore une fois, si ce n’est pas grave avec les champignons, ça l’est beaucoup plus avec nos frères en humanité : nous passons si souvent à côté d’eux sans les voir ! Comment nous étonner ensuite que nos paniers soient si souvent vides ?
Jésus voit et c’est là une qualité indispensable de l’évangélisateur. Mais ça ne suffit pas ! Si je continue ma comparaison avec les champignons, il ne suffit pas de les voir, il faut encore les reconnaître, c’est à dire les regarder avec un regard de connaisseur. Pour évangéliser, il faut aussi ce regard de connaisseur qui ne s’arrête pas à la surface, à l’apparence. Bien des champignons sont trompeurs, ils présentent une belle apparence et en fait sont particulièrement dangereux, d’autres au contraire n’ont pas très bel aspect et se révèlent extraordinairement savoureux. Quand Jésus voit les foules, il porte sur ces personnes un regard de connaisseur. Et nous, qu’est-ce qui nous empêche si souvent de porter ce regard de connaisseur ? D’abord, nous sommes tellement plein de préjugés que nous ne regardons pas les autres, nous les classons : lui, c’est un tradi ; elle, c’est une profiteuse ; lui, un m’as-tu-vu… Bref, nous ne cherchons pas à voir les autres tels qu’ils sont, nous ne les rencontrons pas, nous les classons. Et puis ceux que nous croisons, ils peuvent parfois représenter un problème pour nous : si je m’arrête, je n’irai pas au bout de ce que j’ai prévu de faire aujourd’hui ! Si j’engage la conversation, je ne sais pas où ça va me conduire. Voyant les foules, Jésus ne dit pas : encore tous ces gens ! Quand est-ce que je serai enfin tranquille ! Jésus ne regarde pas les gens comme des problèmes mais son regard de connaisseur lui permet, par contre, de voir les problèmes des gens. « Jésus, voit les foules : elles étaient fatiguées et abattues comme des brebis sans berger ».
Jésus voit, Jésus porte un regard de connaisseur mais ça ne s’arrête pas là. L’évangile nous dit que la vue des foules déclanche un sentiment de pitié « Jésus, voyant les foules, eut pitié d’elles ». Ce mot de pitié, il faut bien le comprendre car pitié aujourd’hui, ça fait plutôt pitoyable ! Dans les Ecritures, ce mot de pitié, il évoque les sentiments d’une mère pour son enfant. Quand une mère voit son enfant souffrir, elle ne se raisonne pas en disant : il faudrait que je fasse quelque chose si je veux apparaître comme une bonne mère.
Non, comme on dit vulgairement, ça la prend aux tripes. Voilà ce qu’exprime la pitié dans les Ecritures : Jésus est remué profondément par la détresse qu’il perçoit chez ceux qu’il rencontre. Il y a une ligne directe entre son regard et son cœur : ce qu’il voit, le touche profondément. Jésus n’aurait jamais pu manger de bon appétit en regardant le journal télévisé qui rend compte de très graves problèmes en tant de points de la planète. Il y a une ligne directe entre le regard de Jésus et son cœur.
Jésus voit, il porte un regard de connaisseur, il est profondément remué par ce qu’il voit, mais ça ne s’arrête encore pas là. Car l’émotion et les bons sentiments ne manquent pas dans notre monde. Que de bons sentiments sont exprimés à la télé après une catastrophe, des bons sentiments qui ne débouchent sur rien ! Que de bons sentiments sont aussi exprimés dans nos prières universelles ! Jésus, parce qu’il a été pris aux entrailles, va agir, réagir et cela de deux manières différentes : par un appel à la prière et par un envoi en mission.
- La 1° réaction de Jésus, c’est un appel à la prière : « La moisson est abondante, et les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson. » La tâche est tellement grande qu’il n’y aura jamais assez d’ouvriers. Jésus n’agit pas comme ceux qui, ayant vu un problème, ayant été ému disent ensuite : comme on ne peut pas soulager toute la misère du monde, occupons-nous de nous ! Oui, c’est vrai, tu ne pourras pas soulager toute la misère du monde, tu n’es pas Dieu, mais plutôt que de baisser les bras, lève-les donc et tourne-toi vers Dieu dans une prière incessante.
- La 2° action de Jésus, c’est un envoi en mission : si on ne peut pas soulager toute la misère du monde, on peut au moins commencer à prendre en charge celle qui nous entoure, prendre notre part, comme dans l’histoire u colibri. Et là, le choix de Jésus est étonnant, derrière chaque nom d’apôtre, il y a une histoire et une histoire pas très brillante, Pierre va le renier, Matthieu était un magouilleur et un collaborateur, Jacques et Jean ont voulu faire tomber le feu du ciel sur ceux qui ne pensaient pas comme eux, ils briguaient aussi les premières places ! Thomas refusera de faire confiance au témoignage des autres, Simon était un révolutionnaire, Judas peut-être un terroriste et il finira comme un traitre. Bref, j’arrête-là, mais on voit bien que cette liste n’évoque rien de glorieux, c’est le moins qu’on puisse dire ! Pourquoi un choix qui semble si peu avisé ? Tout simplement parce que Jésus a compris que, pour aller vers des pauvres, il n’y avait rien de mieux que des pauvres ! Pourquoi ? Là encore, je pense qu’il y a deux raisons fondamentales :
- La 1°, c’est que seuls des pauvres sauront vraiment compter sur Dieu. Quand on choisit des gens trop avisés, ils finissent toujours par s’appuyer sur leur savoir-faire, leur compétence pour développer des stratégies personnelles. Or l’évangélisation est une tâche qui nous dépasse tellement que c’est seulement en comptant sur Dieu que nous pourrons nous y engager.
- La 2° raison : si Jésus a choisi, hier, des pauvres pour composer l’équipe apostolique, c’est pour qu’aujourd’hui nul ne puisse se défiler devant l’appel du Seigneur en disant : je ne suis pas assez bien pour remplir une telle mission !
Seigneur, tu ne cesses de voir les foules qui sont abattues, fatiguées, parfois désabusées, ravive l’ardeur missionnaire des chrétiens souvent trop endormis et suscite de nouveaux et nombreux ouvriers qui répondent à ton appel.
Peut être un complément de cet homélie travaillée sous le couvert du saint Esprit.
https://fr.zenit.org/2023/06/21/quatre-etoiles-qui-rendent-lapostolat-des-religieux-lumineux-selon-le-pape/