19 juillet : mercredi 15° semaine ordinaire. Dieu fait du « sur-mesure » avec Moïse … et avec nous pareillement !

Dans la mesure du possible, il faut essayer de ne jamais faire une lecture « hors-sol » des textes bibliques ! C’est-à-dire que si on veut vraiment goûter les textes, il faut les remettre dans leur contexte. On peut faire une lecture très mystique de ce récit du buisson ardent et elle ne sera pas fausse, mais on peut aussi en faire une lecture plus incarnée et elle nous parlera mieux ! Dans quel état d’esprit se trouve Moïse au moment où l’appel du Seigneur va le rejoindre ? Eh bien, c’est clair, il a le moral dans les chaussettes ! Hier, nous avons entendu le début de l’histoire de Moïse : promis à la mort comme tous les nouveau-nés de sexe masculin, grâce à un stratagème de sa mère, il sera recueilli par la fille de Pharaon qui va d’abord s’occuper de son sevrage et qui finira par l’adopter, pharaon devenant pour lui comme un grand-père. C’est-à-dire qu’il a connu depuis sa tendre enfance, le luxe du palais de pharaon, la vie facile de ces enfants qui ont tout avant même de l’avoir demandé. Et voilà qu’il se retrouve du jour au lendemain, banni, ayant tout perdu et devant se résoudre à garder des troupeaux : quelle dégringolade ! On peut comprendre que celui qui la vit puisse avoir le moral dans les chaussettes !

Hier, nous avons entendu le récit de l’événement qui a fait basculer la vie de Moïse qui passera du luxe du palais de Pharaon à la difficile condition de berger gardant des bêtes dans un désert rocailleux. C’est le meurtre de cet Egyptien qui s’en était pris à l’un de ses frères de race qui est à l’origine de ce changement radical et douloureux de vie. En même temps, comme pour Joseph, Dieu saura écrire droit sur les lignes tortueuses de la vie de Moïse. Mais, en attendant, Moïse a le moral dans les chaussettes ! 

Eh bien, c’est justement à ce moment-là, du milieu d’un buisson que Dieu va lui parler et même l’appeler pour une mission invraisemblable. Dieu est extraordinairement déconcertant ! Alors que Moïse rumine sur sa vie ratée, sur tout ce qu’il a pu gâcher à cause de ce geste incontrôlé, Dieu vient l’appeler. Je ne sais pas dans quel état d’esprit vous êtes venus à cette retraite, je ne sais pas dans quelle situation vous vous trouvez actuellement, mais sachez que pour Dieu, quoiqu’il vous arrive, vous ne serez jamais disqualifiés. Ce n’est pas que Dieu prendrait un malin plaisir à nous rejoindre exprès quand ça ne va pas, non ! Mais Dieu, il est comme ça, c’est quand nous n’allons pas bien, quand nous avons l’impression d’avoir tout gâché qu’il cherchera à nous entourer du maximum de prévenance et de soins. Allant au bout de la logique divine, Jésus dira : je ne suis pas venu appeler les justes mais les pécheurs.

Et la manière dont Dieu s’y prend pour rejoindre Moïse est extraordinairement délicate, gardons bien ce scénario en mémoire car c’est aussi de cette manière qu’il aime nous rejoindre quand, nous-mêmes, nous sommes au 36° dessous. C’est du milieu d’un buisson que Dieu va parler, c’est-à-dire qu’il a choisi ce qu’il y avait de plus humble. Dieu n’a pas voulu écraser Moïse par une révélation extraordinaire, il parlera du milieu d’un petit buisson insignifiant, quelle délicatesse !

Moïse était donc dans ce désert rocailleux, un désert que connaissent tous ceux qui sont allés au Sinaï. Parce que l’Horeb et le Sinaï sont une seule et même montagne. Moïse garde le troupeau de son beau-père dans ce lieu aride où la géographie extérieure donne une belle idée de la géographie intérieure de son cœur, de son âme, Moïse vit une véritable traversée du désert. C’est là que Dieu vient le rejoindre en se révélant du milieu de cet humble buisson. Dieu a bien fait de ne pas choisir de se révéler à lui dans une manifestation écrasante car Moïse était déjà suffisamment écrasé par le poids de tout ce qu’il ruminait, alors Dieu n’en rajoute pas une couche. Ce qui va être très beau, c’est que, de ce buisson, Dieu fera jaillir un feu, un feu qui ne détruira pas le buisson, symbole de son amour infiniment respectueux qui peut redonner ardeur et ferveur à n’importe quel cœur aride, paralysé par les échecs, le ressentiment, le doute. Dieu attendait Moïse au cœur de ce désert, au cœur de son désert pour se manifester à lui de manière très humble comme Dieu aime tant le faire. 

Avouez que, contrairement à ce qu’on lui reproche quand on va mal, Dieu sait comment s’y prendre avec les hommes. Bien sûr, et ça se comprend quand le désert a gagné tout notre cœur, Dieu semble tellement loin qu’on n’arrive plus à s’émerveiller de sa pédagogie d’amour humble et tenace. 

Moïse voit donc ce buisson qui brûle sans se consumer, cette vision est un cadeau du Seigneur qui l’invite à se décentrer, à faire un détour. Dieu veut aider Moïse à sortir de sa rumination intérieure qui le mine et lui fait perdre ses forces, son goût pour la vie, son amour pour Dieu. Du milieu de ce buisson, une voix l’appelle, une voix qui a une intonation faite de douceur insistante, une telle voix ne peut être que la voix de Dieu ! Et voilà que Dieu lui révèle que cette terre sur laquelle il a posé ses pieds devient une terre sainte. Il en sera désormais ainsi pour tous les hommes de tous les temps, mais ça ne se jouera plus avec la terre, ça sera avec leur histoire. Quand les hommes reconnaitront les traces d’une visite ou plutôt de tant de visites de Dieu, ils comprendront que leurs histoires souvent blessées deviennent des histoires saintes. Alors, saisi par cette présence inattendue, Moïse pose un geste qui sera porteur d’un grand enseignement : il se voile le visage. Par ce geste, il nous permet de comprendre que la rencontre avec Dieu ne passe pas d’abord par les yeux mais par les oreilles : écoute ! Du coup, nous comprenons que le silence est un cadeau pour mieux entendre le Seigneur. Soyons-en bien persuadés, le Seigneur veut toujours nous rejoindre mais il le veut d’une manière encore plus forte quand nous traversons les pires déserts de notre vie. Il veut parler à notre cœur même et surtout quand la vie semble avoir déserté notre cœur. Dans notre cœur nu comme un désert, envahi par tant de buissons, il veut rallumer le feu de l’amour.

C’est ainsi que, du milieu de ce buisson, Dieu va révéler à Moïse qui il est. Demain, il nous fera entendre son Nom, ce nom si particulier, mais, aujourd’hui, Dieu révèle qui il est de manière, j’oserais dire, expérimentale, il se révèle tel qu’il veut que nous apprenions à le connaître. C’est pour cela qu’il va dévoiler deux éléments extrêmement précieux de sa carte d’identité :

  • « Le cri des fils d’Israël est parvenu jusqu’à moi et j’ai vu l’oppression que leur font subir les Égyptiens. »Dieu n’est pas, au sens étymologique du mot « insensible. » Dieu est infiniment compatissant parce qu’il est amour ou même mieux parce qu’il n’est qu’amour, ce petit « ne que » qui est la marque de l’originalité de la foi chrétienne.
  • « Je suis avec toi. » Cette promesse, on n’a pas fini de l’entendre ! Elle définit tellement l’identité profonde de Dieu qu’elle deviendra son nom : Emmanuel, Dieu avec nous.

Au cœur de son désert intérieur, avec l’impression, dans ce désert extérieur, de ne pas être à la place qu’il mérite c’est exactement ce que Moïse avait besoin d’entendre.

Dernier élément que je souligne : Dieu lui confie une mission qui va le remettre en piste car Dieu sait que c’est en se donnant qu’on reçoit le plus et qu’on peut le mieux se reconstruire. Mais, de manière surprenante, cette mission doit le renvoyer en Egypte, cette Egypte qu’il avait dû fuir. Alors on comprend vite que ça ne va pas être simple ! C’est pour cela que Dieu prend bien soin de préciser le statut qu’il confère à Moïse. En effet, tous ses ennuis avaient été la conséquence d’une terrible méprise : en tuant l’Egyptien, Moïse s’était pris pour le Sauveur de son peuple. Dès qu’une personne aussi bien soit-elle, aussi généreuse soit-elle, se prend pour le Sauveur, c’est le début de gros problèmes, tant pour cette personne que pour tous ceux qui finissent par y croire ! Non, le Sauveur, c’est Dieu seul, Moïse ne sera là qu’un humble serviteur. 

Il avait bien raison le psalmiste de s’écrier : quel Dieu est grand comme Dieu ! Car il faut être grand, infiniment grand pour oser se faire si petit, si humble pour mieux rejoindre les petits. C’est ce que Dieu a fait en en se révélant dans un buisson. C’est ce même mystère que nous nous apprêtons à célébrer dans cette Eucharistie. En effet, au cours de cette Eucharistie, le Seigneur va venir nous rejoindre à travers les apparences si pauvres, si banales du pain pour transformer nos histoires blessées en histoires sacrées capables d’accueillir sa présence transformante. Du coup, nous goûtons avec plus de saveur encore la parole de Jésus dans l’Evangile : « ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. » N’ayons plus peur d’oser regarder en face nos pauvretés, nos fragilités, nos histoires blessées, nos échecs et même nos trahisons puisqu’elles peuvent devenir le lieu-même dans lequel Dieu nous visitera pour transformer ces histoires pas toujours très glorieuses en histoires saintes et, à partir de là, nous relancer sur la route de la mission.

Cette publication a un commentaire

  1. Jean Marc

    Transformer le négatif en positif. La Croix en Vie. Le silence en Parole.
    Sainte Thérèse disait que :nous sommes sur terre pour préparer notre ciel.
    Merci Roger pour la profondeur de cette homélie ajustée à notre vie.
    « avec Jésus, on est jamais perdu »

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