19 juin : Fête du Saint-Sacrement Ze l’aveuze et il m’aveuze !

Il y a deux occasions au cours de l’année liturgique où nous pouvons reprendre conscience du cadeau inouï que Jésus nous a fait en se donnant à nous dans l’Eucharistie, c’est le jeudi saint et cette fête que nous célébrons aujourd’hui, la fête du Saint Sacrement. On peut dire que chacune de ces fêtes nous oriente vers la méditation d’un aspect différent : 

  • Le jeudi saint puisque nous faisons mémoire de l’institution de l’Eucharistie, nous sommes plutôt conduits à réfléchir, à méditer sur la place centrale du mystère de l’Eucharistie comme moyen d’accueillir chaque jour le Salut que le Christ nous a offert en donnant sa vie pour nous.
  • La fête du Saint Sacrement, le nom l’indique bien, nous permet de réfléchir, de méditer sur un point plus particulier : la présence permanente du Christ dans le pain consacré à la messe. C’était bien le sens des processions qui se faisaient naguère qui permettaient à Jésus de sillonner les rues de nos villes et de nos villages comme il pouvait sillonner, il y a 2000 ans les routes de Palestine. Il est encore et toujours et partout présent. « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20). C’est d’ailleurs en méditant régulièrement sur cette parole de Jésus que Julienne de Cornillon a eu l’intuition de proposer la célébration de cette fête.

C’est donc sur l’adoration eucharistique que j’aimerais réfléchir dans cette homélie, j’ai été conduit à le faire puisque cette fête nous oriente vers ce mystère de la présence permanente du Christ dans l’Eucharistie et puisque, dans notre communauté, nous vivons chaque jour l’adoration eucharistique et que nous la proposons aux retraitants. Mais, bien évidemment, nous ne sommes pas les seuls, depuis quelques années déjà, il y a selon la belle expression de Benoit XVI comme « un nouveau printemps eucharistique. » Pour s’en convaincre, il suffit de penser à ces temps d’adoration proposés au cours des JMJ où plus d’un million de jeunes se tournent ensemble pendant une heure de silence vers la présence eucharistique de Jésus qui les rejoint. Accueillir le Pape au cœur de leur rassemblement, c’est un événement, accueillir Jésus, c’est un avènement qui peut bouleverser leur vie.

Pour parler de l’adoration eucharistique, moi qui suis compatriote du saint Curé d’Ars, je ne peux pas moins faire que de le citer parce que nous savons que l’amour de l’Eucharistie, l’adoration eucharistique a été au cœur de sa vie, lui qui, à la fin de sa vie ne savait plus dire autre chose dans ses homélies que ces 3 mots qu’il prononçait en les répétant sur tous les tons et en montrant le tabernacle : il est là ! Le plus étonnant, c’est que les gens faisaient des centaines de kilomètres pour entendre cette prédication d’une pauvreté incroyable mais qui bouleversaient leur vie car, à la fin de l’homélie, tout le monde en était absolument convaincu : Jésus est bien là, présent dans le Saint Sacrement.

Dans sa paroisse, il y en a un qui l’avait compris avant tout le monde, c’était le père Chaffangeon qui passait des heures en adoration dans l’église en rentrant des champs. Un jour le curé d’Ars a osé l’interroger en lui demandant : « Dites père Chaffangeon, qu’est-ce que vous lui dites au Bon Dieu dans tout le temps où vous restez devant Lui ? » Le curé d’Ars n’espérait pas prendre un cours d’oraison, il était, lui-même, pas mal avancé sur le sujet ! Mais il était curieux d’entendre comment un paysan pourrait rendre compte de sa vie mystique, car ce paysan était mystique, en l’écoutant, le curé d’Ars trouverait peut-être des mots mieux adaptés que ceux qu’il avait lu dans les livres pour parler de l’adoration aux gens simples de sa paroisse et aux pèlerins qui commençaient à arriver. Je pense que vous connaissez à peu près tous la réponse du père Chaffangeon, il répond à son curé : Oh monsieur le Curé, je ne lui dis pas grand-chose, je l’avise et il m’avise ! » Tous les livres sur le curé d’Ars mentionnent cette belle parole et bien des méditations sur l’adoration eucharistique la mentionnent aussi comme un modèle du genre ! Le problème, c’est que le père Chaffangeon n’a pas dit cela, en tout cas il n’a pas pu le dire en ces termes car il ne parlait pas français, mais le patois de la région.

J’ai eu la chance de connaître un prêtre qui était un très bon connaisseur du curé d’Ars et un grand ami du curé d’Ars également et ce prêtre était un paysan dans l’âme, il parlait encore le patois. Il aimait expliquer que le père Chaffangeon a répondu, en patois, au curé d’Ars : « ze l’aveuze et il m’aveuze ! » Et ce bon père expliquait le sens de ce verbe aveuzer qu’on a transcrit trop rapidement par aviser. Aveuzer, c’est un verbe que les paysans n’utilisaient pas à tort et à travers, ils l’employaient particulièrement dans cette situation : quand ils avaient ensemencé leurs champs, les dimanches qui suivaient, l’après-midi, ils allaient faire un tour pour inspecter ce qui se passait et quand on leur demandait ce qu’ils faisaient, ils répondaient : z’aveuze ! Ils regardaient mais évidemment sans rien voir puisque rien n’avait encore poussé, mais eux savaient ce qu’il y avait dans la terre et ils rêvaient de moissons abondantes. Eh bien, voilà ce que faisait le père Chaffangeon devant le Saint-Sacrement, il l’aveuzait ! C’est-à-dire qu’il ne voyait rien, il n’avait pas de vision surnaturelle, il ne voyait qu’une hostie dans un ostensoir quand le Saint-Sacrement était exposé où simplement présente dans le tabernacle ; mais, comme le paysan qui ne voyant rien sait ce qu’il y a dans son champ, il savait ce qu’il y avait dans cette hostie ou plutôt il savait Qui était présent dans cette hostie. J’imagine volontiers que le curé d’Ars a été bouleversé par cette réponse de foi et c’est quand même mieux que : je l’avise et il m’avise autrement dit on se regarde dans le blanc des yeux ! Voilà l’acte de foi auquel nous sommes invités quand nous venons à l’adoration eucharistique, nous ne sommes pas obligés de le dire en patois, l’essentiel, c’est que nous puissions croire selon les paroles du curé d’Ars qu’Il est là, Jésus est là, le Fils du Dieu tout-puissant est là, pour moi et pour le monde entier. Quel mystère !

Et vous aurez remarqué que, dans la formule du père Chaffangeon, il y a une dimension de réciprocité : » ze l’aveuze et IL M’AVEUZE ! » L’adoration, c’est aussi s’exposer au regard du Seigneur qui sait ce qu’il y a en moi puisque c’est lui qui, sans faire de bruit, a déposé tous ces trésors au fond de mon cœur ! Quand j’ai tendance à me dévaloriser, quand les autres me blessent en me rabaissant, vite à l’adoration, le regard du Seigneur vient réveiller le meilleur de moi-même, le regard du Seigneur qui se pose sur moi me redonne ma dignité. J’aime bien dire aux retraitants que, devant le Saint-Sacrement, devant Jésus qui pose son regard d’amour sur nous, nous pourrions tous fredonner les paroles de la célèbre chanson « en passant par la Lorraine » : je ne suis pas si vilaine puisque le Fils du Roi m’aime ! C’est la réponse la plus adaptée à tous ces capitaines qui semblent prendre un malin plaisir à nous enfoncer. L’adoration est l’un des lieux privilégiés où je peux me redéployer, retrouver ma dignité, guérir progressivement de toutes mes blessures. 

Reste quand même un problème, c’est qu’il peut nous arriver parfois de nous ennuyer. Inutile de faire croire qu’à chaque fois, nous aurons de grands élans mystiques, ça serait de la publicité mensongère ! S’il y en a qui ont des élans mystiques à chaque visite au Saint-Sacrement, ceux-là n’ont aucun mérite à y aller souvent et à y rester longtemps. Pour les autres, dont je fais partie, j’aimerais lire ces quelques lignes que j’ai trouvé dans une méditation du père Cantalamessa et que j’ai un peu arrangé. « La contemplation chrétienne n’est pas empêchée par l’aridité dont nous pouvons faire l’expérience. L’aridité vient quand nous nous laissions aller à la dissipation, ou quand, au contraire, c’est Dieu qui la permet pour notre purification. Il suffit de donner un sens à cette aridité, en renonçant à notre satisfaction à nous pour faire son bonheur à Lui et dire à la manière de Charles de Foucauld : « Ton bonheur, Jésus, me suffit ! » Jésus disposera de l’éternité pour nous rendre heureux ; mais nous, pour le rendre heureux, Lui, nous n’avons que cet espace du temps de l’adoration. Notre adoration eucharistique, parfois, peut ressembler à une perte de temps pure et simple, une manière de regarder sans voir ; mais quelle force et quel témoignage de foi ne renferme-t-elle pas ? Jésus sait que nous pourrions partir et nous activer à 1000 autres choses qui nous plairaient bien davantage, tandis qu’en demeurant là, nous brûlons notre temps en pure perte, juste pour faire sa joie à Lui. » Fin de citation ! Quand je viens, même si je ne ressens rien, je fais sa joie car, j’en suis sûr, Lui, se réjouit de ma présence, il aime m’aveuzer ! Que par l’intercession du Saint Curé d’Ars et du bon père Chaffangeon nous puissions entrer dans cet esprit d’adoration.

Cet article a 2 commentaires

  1. Wilhelmrichard747@yahoo.fr

    Moi qui suis justement en ce moment en Lorraine, laissez moi tranquille sinon j’avoine Afin de pouvoir porter beaucoup de fruits.

  2. Jean Marc

    C’est le miracle de la graine de foi. Très bon livre d’Oral Roberts. C’est à dire :le cultivateur qui sème du blé, il s’attend à récolter du blé… Si l’on sème du temps à l’adoration nous recolterons du temps et la présence de Jésus incarnée en nous.

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