2 octobre : 27° dimanche du temps ordinaire. Comment solutionner une aporie ?

Savez-vous ce qu’est une aporie ? Le dictionnaire dit qu’il s’agit d’une difficulté logique insurmontable, c’est ce moment où, dans une réflexion, on se retrouve dans une impasse parce qu’il faut concilier l’inconciliable. Parler d’aporie pourrait s’apparenter à cette expression de « la quadrature du cercle », expression qu’on utilise parfois pour dire l’impasse dans laquelle on se trouve. En effet, chacun sait qu’on ne fera jamais rentrer un cercle dans un carré !

Peut-être vous demandez-vous pourquoi je vous fais ce cours de vocabulaire ? Eh bien, pour deux raisons !

  • La 1° c’est que j’ai trouvé ce mot « aporie » dans un document que je devais relire pour un groupe de travail auquel je participe. En effet le rapport Sauvé nous place devant l’impérieuse nécessité de régler cette aporie : le secret de la confession est absolument inviolable et la protection des victimes est un impératif à la fois éthique et évangélique qui ne souffre aucune exception. Alors que faire si une confidence est faite dans le cadre de la confession soit par une personne qui a été abusée soit par une personne qui commet des abus ? Voilà une aporie qui nous fait pas mal transpirer dans notre réflexion !
  • La 2° raison et la vraie raison qui me fait utiliser ce mot « aporie » c’est que l’Evangile d’aujourd’hui nous donne un très bon exemple de ce que peut être une aporie. En effet Jésus nous dit que nous devons accepter d’être des serviteurs qui, tels les scouts, seront toujours prêts ! Et en même temps, il nous dit que nous sommes des serviteurs inutiles ! Or, comment se motiver pour rester toujours prêts quand on sait qu’on est parfaitement inutiles ? Vous avouerez que c’est difficile de se motiver pour en faire toujours plus quand on sait que ce qu’on fait est inutile ! C’est donc bien une forme d’aporie ! C’est-à-dire un raisonnement qui énonce deux propositions inconciliables, autant dire la quadrature du cercle !

Je suis à peu près sûr que Jésus n’avait pas du tout l’intention de développer une aporie dans son discours aux apôtres en les invitant à être ces infatigables serviteurs inutiles. Il y a bien des chances pour que ce mot d’aporie n’ait jamais fait partie de son vocabulaire. Il aurait pu le connaître puisque ce mot appartenait à la philosophie grecque dont il devait bien avoir quelques échos. Mais dans le cas présent, Jésus est persuadé que ce qu’il dit n’est pas une aporie et qu’il est donc tout à fait possible de concilier le fait d’accepter d’être des serviteurs toujours prêts et infatigables et en même temps d’accepter de n’être que des serviteurs inutiles. Essayons de comprendre.

Quand on est face à une difficulté, il n’est jamais inutile de regarder à qui s’adressent les paroles de Jésus, ce conseil qui peut d’ailleurs être utilisé pour tous les passages d’Evangile. La portée n’est pas la même quand Jésus s’adresse aux seuls apôtres, aux foules, aux publicains, aux pharisiens … Ici, c’est clair, ces paroles sont adressées aux seuls apôtres : les Apôtres dirent au Seigneur : Augmente en nous la foi ! » Le Seigneur répondit… et nous avons tout le discours qui suit dans lequel il invite ses auditeurs à devenir d’infatigables serviteurs inutiles. C’est donc en réponse à une demande des apôtres que Jésus prononce ces paroles et nulle part il n’est fait mention d’autres personnes qui seraient ses auditeurs. Ces paroles s’adressent donc aux apôtres seuls. Il est bon de se rappeler que apôtre vient du grec « apostellô » qui signifie envoyer. Le Seigneur s’adresse aux apôtres d’hier, comme à ceux d’aujourd’hui, c’est-à-dire à ceux qu’il a choisis pour les envoyer annoncer la Bonne Nouvelle en son nom. 

Ce week-end a lieu le congrès mission à Paris, voilà donc un texte qui concerne particulièrement tous ceux qui y participent et tous ceux qui auraient aimé y participer, c’est-à-dire à peu près nous tous ! Du moins j’espère que nous sommes tous désireux d’annoncer toujours mieux l’Evangile, j’espère que nous avons le désir de devenir toujours plus disciples-missionnaires, comme nous y invite sans cesse le pape François depuis la parution de son grand texte « Evangelii Gaudium ». Il me semble qu’en replaçant les deux invitations de Jésus dans ce contexte de formation des disciples missionnaires, on arrive à régler l’aporie. Reprenons donc chacune de ces 2 invitations.

La première, c’est l’invitation ferme à devenir d’infatigables disciples-missionnaires. Jésus raconte une petite histoire d’un serviteur qui a trimé toute la journée et qui, quand il rentre à la maison, puisqu’il n’est que serviteur, est loin d’avoir fini la journée, il faudra qu’il serve encore le repas et c’est quand il aura bien tout fini qu’il pourra enfin penser à lui. Dans la bouche de Jésus, ces paroles paraissent bien étranges tant elles semblent méprisantes, si peu respectueuses de la condition de serviteur. Jésus cautionnerait-il le fait que les maîtres considéraient que leurs serviteurs étaient taillables et corvéables à merci ? Evidemment, non ! Si on replace ces paroles dans le contexte de la formation des disciples-missionnaires, alors on peut les comprendre. Le service dont il est question ici, c’est l’annonce de l’Evangile. Eh bien, le disciple-missionnaire qui aura bien fait son travail toute la journée, quand il rentre dans le bus par exemple, il ne peut pas mettre une pancarte : disciple-missionnaire en RTT pour dormir tranquillement ! Si une personne le ou la reconnait et vient s’assoir à côté de lui pour lui confier ses soucis, il devra encore mettre tout son cœur dans l’écoute. Et puis, quand il rentrera chez lui et que son enfant ou son conjoint voudra lui confier ses difficultés, il faudra encore qu’il mette tout son cœur dans l’écoute. S’engager à vouloir devenir disciples-missionnaires, c’est s’engager dans une aventure qui ne nous permet pas de vivre avec les horaires définis par la pointeuse ! Est-ce à dire que ça sera le bagne ? Non ! Parce que la Bonne Nouvelle réjouit d’abord le cœur de celui qui l’annonce. Paul disait : Malheur à moi si je n’annonce pas l’Evangile et moi, j’aime inverser la proposition : Bonheur pour moi quand j’évangélise !

La deuxième invitation de Jésus, c’était donc cette parole décapante qu’il prononçait, invitant ceux qui l’entendaient à se considérer comme des serviteurs inutiles. Quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir. Pour éviter aux prédicateurs de trop transpirer, la traduction de la liturgie a adouci le texte en remplaçant l’expression « serviteurs inutiles » par « simples serviteurs ». J’ai vérifié dans ma traduction littérale du grec, il est dit : serviteurs non-indispensables, c’est-à-dire qu’on est plus proches de serviteurs inutiles que de simples serviteurs ! Là encore, cette parole dans la bouche de Jésus peut nous sembler insupportable et bien peu respectueuse de ceux qu’il appelle. Nous connaissons tous la parole de Thérèse d’Avila : si c’est ainsi, Seigneur que vous traitez vos amis, ne vous étonnez pas de ne pas en avoir plus ! Mais si on remet cette parole dans le contexte de la formation des disciples-missionnaires, alors elle devient non seulement plus entendable, mais elle est même essentielle. Quelles que soient les réussites que pourra rencontrer le disciple-missionnaire, il devra toujours se rappeler que ce n’est jamais lui qui convertir, qui donne la foi. Et ça vaut d’ailleurs en sens inverse : il ne devra pas s’imputer la pleine responsabilité de tous ses échecs. Certes, il ne sera pas pour rien quand ça marche, il aura apporté sa part, mais ultimement, il n’y a que l’Esprit-Saint qui peut toucher un cœur et l’ouvrir à la foi. Ni mes belles paroles, ni mes beaux yeux, ni mes bonnes techniques ne suffiront même si elles peuvent être une préparation. C’est dans ce sens-là que j’aimais ce que disait un missionnaire de mon diocèse ayant vécu de nombreuses années à Cuba, il parlait des « indispensables serviteurs inutiles ». Je trouve que c’est assez bien vu !

Enfin je termine en évoquant le début de l’Evangile qui parlait de la foi. Le carburant des disciples-missionnaires, ça sera la foi. C’est la foi qui leur permettra de se donner sans compter parce que la foi leur permettra de croire à cette parole de St Augustin que j’ai répétée souvent cette semaine aux retraitants : Dieu donne ce qu’il ordonne. Quand tu rentres légitimement fatigué de ta journée de travail, si le Seigneur met sur ta route quelqu’un qui a encore besoin de toi, il te donnera la force et la joie de l’accueillir. Dieu donne toujours ce qu’il ordonne, il suffit de le croire pour puiser en Lui en les forces qui nous manquent. Et puis la foi sera essentielle pour ne jamais s’attribuer totalement les mérites de nos réussites. Certes, nous n’y sommes jamais pour rien, mais s’il n’y avait eu que nous, peut-être y aurait-il eu un succès passager mais il n’y aurait pas eu d’authentique fécondité car c’est Dieu et Dieu seul qui donne la fécondité. Voilà, il me semble que l’aporie insoluble est résolue ! Seigneur augmente en nous la foi pour que, animés par la force du St Esprit, nous devenions toujours plus ces indispensables et enthousiastes serviteurs inutiles qui te prépareront un chemin dans les cœurs afin que rien, ni personne ne puisse te résister !

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