24 mars : jeudi 3° semaine de carême. L’actualité du démon qui rend muet

« En ce temps-là, Jésus expulsait un démon qui rendait un homme muet. » L’introduction de ce passage d’Evangile nous semble assez banal, c’est quasiment le quotidien du ministère de Jésus qui nous est décrit. Rappelons-nous, en effet, qu’à la synagogue de Nazareth, dans ce même Evangile de Luc, Jésus avait défini son ministère en s’appliquant la prophétie d’Isaïe : L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés. En son temps, je vous avais fait remarquer que la libération était mentionnée deux fois dans cette prophétie : annoncer aux captifs leur libération et, remettre en liberté les opprimés. On pouvait donc deviner dans cette annonce programmatique, avec la répétition que je viens de souligner, que cette dimension de la libération allait occuper une place importante dans le ministère de Jésus. Et il nous était aussi annoncé que ce ministère de libération, Jésus le vivrait « dans la puissance de l’Esprit-Saint » ce qui est bien le cas dans l’épisode d’aujourd’hui puisque Jésus affirme qu’il expulse les démons par le doigt de Dieu. Cette image, pas très fréquente, désigne explicitement le Saint-Esprit. La grande prière du Veni Creator, prière à l’Esprit-Saint, l’explicitera formellement en nous faisant chanter : Donne-nous les sept dons de ton amour, Toi le doigt qui œuvres au Nom du Père, Toi dont il nous promit le règne et la venue, Toi qui inspires nos langues pour chanter.

Maintenant que le cadre est posé, j’aimerais quand même revenir sur ce verset introductif de l’Evangile : « En ce temps-là, Jésus expulsait un démon qui rendait un homme muet. » Et je voudrais souligner 3 points.

1/ Avec les démons, Jésus agit avec une vigueur étonnante. Le verbe grec qui est utilisé pour dire que Jésus expulse ce démon est un verbe qui contient une certaine violence : ek-ballô. « Ballô », c’est jeter et « ek », hors de. Oui, c’est vraiment sans ménagement que Jésus traite les démons. Quand on dit : je me suis fait jeter, c’est une expérience douloureuse parce qu’on a ressenti de la violence à notre égard. Eh bien, c’est avec cette violence-là que Jésus agit vis-à-vis des démons. Avec les personnes, il faut toujours être poli et le plus doux possible et Jésus sera toujours infiniment respectueux des personnes, même quand il doit les rudoyer un peu. Mais il ne le sera jamais avec les démons qui sont toujours à l’affût pour détecter le moindre signe de faiblesse chez nous ! Et on peut dire qu’en agissant ainsi, Jésus nous livre un véritable mode d’emploi pour le combat spirituel. Le démon, tu ne discutes pas avec lui, si tu commences à parler avec lui, tu es perdu, pas de discussion, pas d’égard, tu le jettes ! 

A notre Baptême, nous avons reçu l’onction avec le Saint-Chrême qui nous a configurés au Christ, prêtre, prophète et roi. Avec cette dimension royale de l’onction, nous avons reçu la mission et la force de gouverner notre vie en ne nous laissant pas dominer par l’esprit du mal. D’ailleurs, lors des 3°, 4° et 5° dimanche de carême, les catéchumènes vivent ce qu’on appelle les scrutins au cours desquels ils sont précisément marqués par l’huile des catéchumènes pour qu’ils s’engagent dans le combat spirituel. Le chrétien n’est pas un naïf, il doit devenir un combattant. Il sait que l’esprit du mal est tordu et que, par conséquent, il aime tordre les relations, il aime inspirer tout un tas d’idées tordues. Le chrétien devra donc, à l’image de Jésus, traiter sans ménagement les démons qui cherchent à le tourmenter en lui suggérant de mettre en œuvre les idées tordues qu’il lui a inspirées. N’hésitons donc pas à faire preuve d’autorité pour le jeter. On peut utiliser une prière du genre : mauvais esprit de … et on le nomme, mauvais esprit d’orgueil, de jalousie, de luxure, de paresse, je prends autorité sur toi, ne viens pas me tourmenter, j’appartiens au Seigneur ! Cette prière qu’on pourrait qualifier d’auto-exorcisme est très efficace et elle doit être utilisée sans modération ! Ça sera l’une des manières de manifester que nous sommes vraiment les disciples de Jésus qui expulsait, sans ménagement, les démons qui tourmentaient les hommes.

2/ Le 2° point que je voudrais souligner tourne autour de la réaction que va susciter cet acte de puissance accompli par Jésus. Quand Jésus expulse sans ménagement les démons, ça a un effet immédiat puisqu’il nous est dit : Lorsque le démon fut sorti, le muet se mit à parler. Dans certains passages d’Evangile, en Marc chapitre 7, par exemple, on assiste à une réaction très positive avec un cri d’admiration qui jaillit des lèvres de ceux qui ont été les témoins de cet acte de puissance : « Il fait entendre les sourds et parler les muets » (Mc 7, 31-37) Ici, nous l’avons entendu, les réactions sont contrastées : les foules furent dans l’admiration. Mais certains d’entre eux dirent : « C’est par Béelzéboul, le chef des démons, qu’il expulse les démons. » D’autres, pour le mettre à l’épreuve, cherchaient à obtenir de lui un signe venant du ciel. C’est quand même étonnant de voir qu’un tel acte de puissance accompli par la puissance de l’Esprit-Saint, appelé le doigt de Dieu ne suscite pas que de l’enthousiasme. Naguère, en Egypte, quand les magiciens de pharaon ont vu les prodiges accomplis par Moïse, ils ont reconnu que, puisque c’était avec le doigt de Dieu (l’expression est dans le texte) que Moïse accomplissait ces prodiges, ils ne pourraient pas lutter même si leurs sortilèges pouvaient faire illusion un moment. (Ex 8,15) Là, dans la foule, il y en a un certain nombre qui, devant Jésus, ne sont pas capables d’avoir la réaction enthousiaste des magiciens devant Moïse. Manifestement, l’esprit mauvais expulsé de ce pauvre homme se venge en polluant le jugement d’un certain nombre de témoins. Il doit y avoir un enjeu pour qu’il y ait une telle résistance et c’est de cet enjeu que je voudrais parler dans le 3° point.

3/ Pour résumer ce miracle de libération, on peut dire que Jésus a rendu la Parole à un homme qui en était privé à cause d’un esprit mauvais. Et l’esprit mauvais est tellement furieux de voir cet homme parler qu’il va chercher des complices dans la foule, des personnes qui pour x raisons, n’étaient pas contentes de cette libération de la parole. On le voit donc, en libérant la parole, Jésus fait des mécontents. Vous pourriez penser que je sur-interprète le texte car ce n’est pas la 1° fois que les gens, particulièrement les responsables religieux, réagissent négativement devant un miracle de Jésus. Oui, mais d’habitude, quand il y a des rouspétances, ce n’est pas le miracle en lui-même qui rend mécontent, c’est parce que Jésus l’a accompli un jour de sabbat ou alors qu’il n’a pas respecté la loi en s’approchant d’une personne déclarée impure. Là, Jésus semble dans les clous, pas de transgression de la loi, c’est donc le miracle qui ne plait pas : libérer la parole, ça ne plait pas à tout le monde ! Pour ne citer qu’un exemple, on a assisté, venant d’un certain milieu, à un tir de barrage en règle et organisé suite à la publication du rapport Sauvé. Libérer la parole, ça ne plait pas à tout le monde ! Jésus l’avait expérimenté et ça continue !

Et vous aurez remarqué que, dans le texte, ce ne sont pas forcément les rouspéteurs habituels qui se manifestent. Ce ne sont pas les scribbes ou les pharisiens, les rouspétances viennent de personnes qui sont dans la foule, c’est étonnant ! Mais si je continue le parallèle avec l’actualité de l’Eglise, on a assisté au même phénomène avec des voix qui se sont élevées, non pas parmi les responsables mais parmi certains qui, de près ou de loin, s’étaient fait complices de ce système en privant de la parole tant de petits, scandaleusement maltraités. Et, s’ils n’étaient pas directement, complices, ils avaient sûrement quel qu’intérêt à ce que le silence continue et qu’on ne change rien à ce mauvais fonctionnement qui leur apportait des bénéfices secondaires. Mais, selon la prophétie d’Isaïe, Jésus est venu libérer les opprimés et cela passe par la libération de ce mauvais esprit qui rend muet ceux qui auraient un besoin vital de parler et de cet esprit mauvais qui enferme dans une conspiration du silence ceux qui pourraient et même devraient donner la parole.

Dans ce temps du carême, Seigneur fais-nous la grâce de pouvoir nous engager résolument dans le combat spirituel en luttant sans ménagement contre l’esprit du mal, en coopérant au travail de l’Esprit-Saint, le doigt de Dieu qui veut encore accomplir des merveilles en libérant la parole chez tous les petits qu’on a cherché à faire taire dans toutes les histoires d’abus, mais bien plus largement encore car il y a tellement de personnes dont la parole semble gênante.

Cette publication a un commentaire

  1. Franchellin Jean Marc

    On peut aussi penser à toute cette parole muselée en Russie par le démon qui habite « cet homme »!
    Merci frère Roger pour cet judicieuse homélie, oui la Parole de Dieu est toujours d’actualité.
    Au Nom de Jésus, nous avons la meilleurs arme pour nous défendre.
    En communion de prière en ce vendredi de l’annonciation et de la consécration de la Russie et de l’Ukraine au cœur immaculé de Marie.

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