21 octobre : servir la fraternité

C’est depuis la Flatière que j’écris cette homélie pour la messe communautaire

Le Mont Blanc se voile !
Lever de soleil

L’histoire nous a appris que la gestion des privilèges était une affaire redoutable ! Ceux qui en ont ne sont jamais prêts à les lâcher, du coup, ceux qui n’en ont pas ou ceux qui estiment ne pas en avoir assez vont tout mettre en œuvre pour faire cesser cette injustice. Et, pour cela, ils vont faire des révolutions plus ou moins violentes mais hélas, ces révolutions ne règlent rien, puisque, au lieu de faire disparaitre les privilèges, elles vont juste les faire changer de camp … du coup tout sera à recommencer !

Dans la lettre aux Ephésiens, Paul affirme que, pour les croyants en Christ, il ne peut plus y avoir de privilèges puisque, comme nous venons de l’entendre : « toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus. » Quand tout est donné gratuitement, il ne peut plus y avoir de privilège, il ne peut plus y avoir de supériorité des uns sur les autres : « toutes les nations sont associées au même héritage. » Et, c’est bien ce qu’a voulu mettre en lumière le pape François dans son encyclique « Fratelli Tutti. » Certes, cette encyclique, il l’a écrite pour que tout le monde puisse la lire et la recevoir, mais il est clair, pour lui, que, si les croyants et, au milieu d’eux, les chrétiens, doivent être les serviteurs infatigables de la fraternité, c’est parce que tous, nous recevons tout, gratuitement. Dès lors, nous ne pouvons que nous regarder comme des frères, infiniment reconnaissants pour ce que l’amour prodigieux de celui que nous osons appeler Père ne cesse de nous offrir.

« Vivre comme des frères, servira la fraternité », avec l’égorgement de ce professeur et tout ce qui s’est dit, comme le rappelait le Père Hubert-Marie hier, c’est un vrai défi. Ce matin, je lisais l’intervention du grand rabbin de France, Haïm Korsia à la rencontre pour la Paix qui s’est tenue hier, place du Capitole à Rome, pour garder vivante l’intuition de Jean-Paul II qui avait réuni les responsables religieux à Assise en 1986. En conclusion de son intervention, le grand rabbin a cité un Midrash extraordinaire :

Deux frères avaient un champ et partageaient la récolte. L’un avait de nombreux enfants et l’autre était célibataire. Chacun voulait donner plus à son frère et la nuit, discrètement, chacun ajoutait du blé sur le tas de son frère…et au matin, les tas étaient toujours identiques. Mais une nuit, les deux frères se croisent et comprennent ce que chacun voulait et tombent dans les bras l’un de l’autre. Des larmes coulent, tombent au sol, et Dieu dit : « Là où sont tombés ces larmes, je veux que mon Temple soit construit ». C’est bien à l’exemple de la Jérusalem céleste que nous devons tous rebâtir une fraternité digne du Temple. Et c’est peut-être le plus beau des temples à reconstruire : celui de la fraternité. Puissions-nous, en nous rappelant que tout nous est donné gratuitement, être de ceux qui construisent ce temple de la Fraternité en manifestant que cette construction est l’objectif premier de notre vie en communauté.

Quant à l’évangile, on peut le lire dans cette même perspective, comme un appel à une vigilance de tous les instants face à cette mission qui nous a été confiée de servir la fraternité. Le risque, nous le savons bien parce que nous l’expérimentons régulièrement, c’est que nous finissions par nous endormir, par relâcher notre attention, par nous installer dans une vie où nous ne mettons plus le service du frère comme priorité de nos vies. Qu’il s’agisse du service de nos frères et soeurs les retraitants ou du service de nos frères et sœurs en communauté. Nous travaillons, en essayant de tout bien faire, mais le service de la fraternité n’est plus vraiment le cœur de notre mission.

Alors, en nous rappelant que le Seigneur peut venir à chaque instant, l’Evangile nous réveille. Quel malheur pour nous si, venant à l’improviste, il nous trouve en train de rudoyer un frère que ce soit par la parole, ou par un de ces regards qui tue, ou encore par une de ces attitudes d’indifférence qui ne nous pose pas trop de problèmes puisque nous ne faisons pas de mal. Mais ne pas faire de mal, ce n’est pas faire du bien ! Dans le discours que j’évoquais déjà, le grand rabbin rappelait que pour Elie Wiesel, le contraire de l’amour n’était pas la haine, mais l’indifférence. Quel malheur pour nous s’il nous trouvait dans une telle attitude !

Oh, ce n’est pas notre Salut éternel qui serait remis en cause puisque Jésus dit que ceux qui sont trouvés dans cette attitude seront traités comme des infidèles et chez nous, les infidèles, on ne les égorge pas, on leur fait miséricorde ! Si nous sommes pris en flagrant délit de ne pas servir la fraternité, ça sera un malheur pour nous au sens étymologique, c’est-à-dire que nous serons malheureux puisque, si nous en croyons le texte de Matthieu 25, Jésus se présentera à nous sous les traits du frère que nous avons rudoyé ou ignoré. Nous serons malheureux de découvrir le caractère dramatique de ce que nous avons juste considéré comme de petits écarts.

« À qui l’on a beaucoup donné, on demandera beaucoup ; à qui l’on a beaucoup confié, on réclamera davantage. » Cette parole, bien loin de nous faire peur, peut devenir le roc sur lequel nous voulons nous appuyer. Seigneur tu nous donnes beaucoup puisque, chaque jour, tu te donnes à nous. D’ailleurs, tu ne peux pas nous donner plus, même s’il nous arrive de ne pas être satisfaits et de réclamer encore pour avoir la certitude que tu nous aimes vraiment ! Tu nous donnes beaucoup, tu nous donnes tout puisque tu te donnes à nous, alors, forts de ce don, nous voulons aussi tout te donner en nous donnant totalement pour le service de la fraternité. Béni sois-tu pour ce don qui, chaque jour, nous relance sur le chemin du don de nous-mêmes en nous donnant la force et la joie de servir la fraternité, là où le Seigneur nous a plantés.

Cet article a 3 commentaires

  1. Adéline

    « ne pas faire de mal, ce n’est pas faire du bien ! »
    Comme ça me parle…
    L’évangile est toujours prise de risque, jamais confort établi !
    Merci 😉

  2. Wilhelm Richard

    Sur terre, nous devons être vivant pour bénéficer l’héritage d’un défunt proche.
    Au ciel, nous devons mourir pour obtenir l’héritage éternel.
    Éternel paradoxe

  3. Franchellin Jean Marc

    Il y a une expression Canadienne qui dit : prier vrai. On pourrait aussi dire : agir vrai.

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