22 juin : mercredi 12° semaine ordinaire. La pédagogie de Dieu et l’invitation à un discernement « serré » !

C’est encore un grand événement qui nous est rapporté dans la 1° lecture. Lundi, je vous parlais d’un grand événement douloureux avec la disparition du Royaume du Nord, aujourd’hui, c’est un grand événement heureux mais qui nous interroge quand même profondément ! Si jamais vous aviez eu une écoute un peu distraite, je résume et j’explique cette première lecture. Nous sommes sous le règne du roi Josias (639-609), enfin un roi dont on ne dira pas pour résumer son règne qu’il fit ce qui est mal aux yeux de Dieu. Ce roi fut tellement bon qu’on se demandera d’ailleurs s’il n’était pas le Messie. Hélas, il va mourir bêtement et injustement dans une bataille ce qui ébranlera la foi du peuple : comment Dieu a-t-il pu laisser faire ça ? Ce roi Josias va ordonner quelques travaux de restauration dans le Temple qui seront l’occasion de faire un grand ménage dans ce qu’on pourrait appeler les sacristies. Et voilà qu’au cours de ce ménage, le grand prêtre découvre ou plus vraisemblablement, on découvre pour lui, car il est bien possible qu’il ne participait pas directement au ménage, on découvre un rouleau contenant la Torah.

C’est quand même assez cocasse car, si on le retrouve, ça signifie qu’on l’avait perdu et qu’on vivait très bien sans possibilité de se référer en permanence à la Loi. On comprend que tous les rois précédents aient fait n’importe quoi : quand on perd la boussole, on va n’importe où et la Torah était la boussole la plus sûre pour inspirer les décisions du roi qui avait mission de guider le peuple. Comment avait-on pu en arriver là ? Quand on ne se sert plus d’un objet, il finit par être relégué et recouvert par ceux qu’on utilise plus régulièrement. C’est ce qui a dû se passer avec la Torah, ça parait impensable, mais c’est pourtant la réalité. Alors bien sûr, la Loi n’avait pas complètement disparu, chacun en connaissait des bribes et pouvait citer avec plus ou moins d’approximations certains passages. Mais du coup, on n’a pas de mal à imaginer que dans la Loi, c’était devenu pratique courante, on en prenait et on en laissait en sachant que, dans ce cas, on en laisse toujours plus qu’on en prend !

Et voilà que, par un ménage providentiel, le rouleau de la Loi est retrouvé. Je fais une parenthèse pour dire que c’est souvent à l’occasion d’un ménage dans notre cœur que l’essentiel peut ressurgir. A chacun de nous de voir quel ménage il pourrait et même devrait entreprendre pour que cet essentiel puisse retrouver la place qu’il n’aurait jamais dû perdre ! Ce qui est très beau, c’est de voir la réaction en chaine que produit cette découverte. Le grand-prêtre le donne au secrétaire Shafane qui le lit. Shafane va trouver le roi Josias et lui lit le contenu du rouleau, l’effet est extraordinaire : le roi déchire ses vêtements comme pour mieux signifier que cette Parole déchire son cœur, l’invite à faire la vérité, l’engage sur un chemin de conversion. Et finalement, le roi va convoquer tout le peuple pour lui lire le contenu du rouleau et apparemment, c’est le roi qui a tenu à faire lui-même cette lecture. 

Je trouve cette réaction en chaine vraiment extraordinaire d’abord parce que personne ne dit : oublions cette découverte, on était bien tranquille avant, faisons comme si on ne l’avait pas trouvé ! Extraordinaire parce qu’on sent bien que tout le monde est touché par la Parole qui vient rejoindre les aspirations les plus profondes de chacun. Là, on voit vraiment l’action du Seigneur. Il sait attendre le moment favorable, le fameux « kairos » pour venir toucher nos cœurs et quand il touche nos cœurs, il met en nous l’énergie nécessaire pour décider d’entrer sur un chemin de conversion et il ne nous pousse pas à la conversion en brandissant un bâton mais en touchant nos cœurs, en rejoignant nos aspirations les plus profondes ! Quelle pédagogie extraordinaire ! C’est ce kairos que viennent vivre les retraitants que nous allons bientôt retrouver, mais pour bien les accompagner, il est nécessaire que nous ayons, nous aussi fait ce chemin qui nous conduit à retrouver sans cesse l’essentiel en acceptant que le Seigneur fasse un peu, parfois beaucoup de ménage dans notre cœur.

Quant à l’Evangile, c’est un texte devenu difficile à commenter après la révélation de tant d’abus dans tant de communautés. Le critère de discernement donné par Jésus : c’est à leurs fruits que vous reconnaîtrez les vrais prophètes, ce critère qui semblait jadis si sûr tellement il était marqué par le bon sens s’est avéré bien insuffisant pour détecter les abuseurs. 

Il y en a tant à qui on aurait donné le Bon Dieu sans confession et qui se sont avérés être de dangereux prédateurs ; il y en a tant qui étaient à la tête d’œuvres florissantes accomplissant beaucoup de bien et qui finalement se sont révélés être, selon l’expression de l’Evangile, des loups voraces. Alors, pour ne plus tomber dans le piège, faut-il oublier le plus rapidement possible ce que nous dit Jésus dans ce texte d’Evangile ?

Ce qui me semble compliqué, c’est que dans les paroles de Jésus, il y a deux niveaux qui s’entremêlent : le niveau personnel et le niveau institutionnel. Quand Jésus nous met en garde sur la possible présence de faux prophètes déguisés en brebis alors qu’ils sont des loups voraces, il parle du niveau personnel. Et c’est là que le discernement doit être affiné car le critère des fruits ne suffit pas ou du moins, il faudrait être en mesure de connaître la vie de ses personnes jusque dans leur domaine privé, d’avoir accès à leurs réactions quand ils sont contrariés, de contrôler leurs habitudes de consommation, de vérifier le temps qu’ils passent en prière. Evidemment tout cela n’est pas toujours contrôlable et certains savaient très bien s’y prendre pour étouffer toute critique quant à leur comportement, leurs choix et justifier des comportements pas toujours évangéliques. Je n’insiste pas, il y a eu suffisamment de livres sur le sujet qui ont parlé de cela, je pense particulièrement au livre de Céline Hoyeau « La trahison des Pères » ou à celui de Dom Dysmas de Lassus « Dérives de la vie religieuse ». Ça c’était pour le niveau personnel qui restera toujours problématique avec les personnes perverses devenues expertes en camouflage. Il faut garder le courage de pouvoir en parler régulièrement même si c’est bien douloureux car, pour les victimes, la souffrance qui leur a été infligée, c’est leur pain quotidien !

Mais Jésus évoque aussi le niveau institutionnel ou communautaire et là, il me semble que les choses sont plus claires et les critères de Jésus bien plus opérants. Va-t-on cueillir du raisin sur des épines, ou des figues sur des chardons ? C’est ainsi que tout arbre bon donne de beaux fruits, et que l’arbre qui pourrit donne des fruits mauvais. Un arbre bon ne peut pas donner des fruits mauvais, ni un arbre qui pourrit donner de beaux fruits. Tout arbre qui ne donne pas de beaux fruits est coupé et jeté au feu. Donc, c’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez. Là, manifestement, nous sommes passés à un autre niveau. J’attire tout de suite votre attention sur les épines que Jésus évoque : si nous nous égratignons trop souvent dans nos relations, ça signifie que nous vivons dans les épines et Jésus prévient : il n’y a pas de bons fruits qui poussent sur les épines ! Pour poser un discernement sur les communautés, le critère reste pertinent avec la difficulté, mais c’est une difficulté inhérente au discernement, que le jugement ne peut être posé qu’après quelques années. Mais je le redis, il en va ainsi pour tout discernement, ce n’est qu’après quelques années de vie communautaire que je peux me rendre compte si j’étais fait pour la vie communautaire et pour la vie dans cette communauté. D’où la sagesse des institutions qui ne prévoient pas d’engagement effectué de manière trop rapide. En tout cas, au bout de quelques temps, on peut voir si une communauté, si la mission d’une communauté donne de beaux fruits. Ceux qui, d’une manière ultime, sont responsables du discernement, c’est-à-dire les évêques et Rome, quand c’est nécessaire, sont régulièrement obligés de prendre des décisions toujours douloureuses pour ne pas laisser … Et ce qui est compliqué, c’est que tout ne peut pas toujours être mis sur la place publique ce qui fait que certaines décisions soulèvent des incompréhensions quand ce ne sont pas des polémiques, nous en avons eu une belle illustration avec les décisions prises par Rome à l’encontre de l’évêque de Nice. Dans ce domaine, il nous faut apprendre la confiance surtout quand les décisions sont prises suite à des visites canoniques menées par plusieurs évêques. 

En Pour conclure, je dirai que, dans bien des cas, on a peut-être été trop sensible au succès, au nombre de personnes touchées par des communautés, des prédicateurs, au nombre de vocations. Mais le succès n’est pas un critère de discernement donné par Jésus qui, lui, dans cet Evangile, parle de fécondité. J’aime ce proverbe allemand que Benoit XVI aimait citer : le succès n’est pas un nom de Dieu. Le succès monte vite à la tête de ceux qui en sont bénéficiaires et à la tête de ceux qui le constatant peuvent vite perdre leurs repères. Mais le succès est habituellement éphémère et générateur d’orgueil qui peut conduire à des dérèglements, alors que la fécondité rend humbles puisqu’elle oblige à reconnaître que Dieu seul peut la donner. Restons donc vigilants et gardons les yeux ouverts sur les signes que le Seigneur nous invite à regarder de près.

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