23 juillet : vendredi 16° semaine Ste Brigitte. On fait comment quand nos vies, nos projets sont contrariés ?

Les lectures sont celles du sanatorial : (Ga 2, 19-20)  (Jn 15, 1-8)

« Je vis, mais ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi ! » Voilà une belle déclaration de Paul que nous aimerions, chacune et chacun, pouvoir dire en vérité. D’ailleurs si vous êtes venus en retraite, c’est bien pour faire, refaire cette expérience d’une vraie rencontre avec le Christ qui vous permette de dire en partant : « désormais, ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi ! » Et nous qui sommes là, nous donnons notre vie à votre service, justement parce que nous avons fait cette expérience transformante, et que nous n’avons qu’un seul désir : vous permettre de la faire aussi à votre tour. Et il en va de même pour tous les amis qui nous rejoignent fidèlement chaque jour pour la messe et qui vous portent aussi dans leur prière. « Je vis, mais ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi ! » Le problème avec l’utilisation de cette parole de Paul, c’est que, habituellement, en ne citant que les mots que je viens de citer, nous l’amputons d’une partie très importante lui faisant, du coup, perdre une partie de son sens et peut-être est-ce la partie la plus importante et la plus décisive. 

En effet, Paul dit : « Avec le Christ, je suis crucifié. Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi. » Avec le Christ je suis crucifié, si nous ne citons pas cette 1° partie, c’est sans doute parce qu’elle nous attire beaucoup moins ! Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi, ça c’est beau et ça nous attire vraiment. Nous désirons tous profondément laisser l’amour du Christ couler en nous et transformer tous nos actes, tous nos regards, toutes nos paroles, toutes nos pensées. Oui, nous en rêvons de voir l’amour nous habiter totalement et tout le temps, du moins j’espère que nous en rêvons tous ! Mais être crucifié avec Jésus, ça nous attire beaucoup moins et pourtant, c’est bien à cela que Paul nous invite dans cette belle déclaration. Et c’est parce que c’est impossible à vivre, par nos seules forces, qu’il rajoute très lucidement : mais, quand j’accepte d’être crucifié avec Jésus, ce n’est pas un exploit de Paul, c’est le Christ qui vit en moi et qui me permet de le vivre. Il dit à sa manière, souvent théologiquement très condensée, ce que l’Evangile, par la bouche de Jésus, dit de manière plus imagée, en utilisant l’image du sarment greffé sur le cep et qui laisse couler en lui la sève qu’il reçoit. Ce qui permet à Jésus d’affirmer : « en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. » Oui, en dehors de lui, si nous ne restons pas branchés sur lui, nous ne pouvons rien faire, en tout cas rien de beau, de grand et de durable. Si nous ne restons pas branchés sur Jésus, jamais nous n’accepterons d’être crucifiés avec lui.

Mais pourquoi donc faut-il être crucifié avec lui ? Est-ce la vieille théologie spirituelle qui resurgit ? Celle qui était si doloriste et qui a perturbé la vie de tant de chrétiens généreux qui ont fini par croire qu’ils gagneraient leur ciel à coups de sacrifices et d’efforts qui devaient devenir jour après jour plus radicaux. Pour être sauvés, il fallait que ça saigne ! Jésus avait beaucoup saigné pour nous sauver, à notre tour de saigner si nous voulions nous montrer dignes de lui ! Ce n’est évidemment pas ce que Paul a voulu dire, jamais Luther ne se serait appuyé sur Paul s’il y avait eu derrière ses paroles une telle conception du Salut. D’ailleurs en conclusion de sa déclaration, Paul affirme, et il faudrait beaucoup de temps pour commenter ces mots : « le Christ m’a aimé et s’est livré lui-même pour moi. » Avec cette précision, Paul laisse bien entendre que ce qui est le plus important, ce n’est pas le sang, la souffrance, mais l’amour que Jésus a mis dans ses souffrances pour qu’elles deviennent cause de notre Salut. « Le Christ m’a aimé et s’est livré lui-même pour moi. » Comme c’est beau de penser que Jésus pensait à moi quand il souffrait et qu’il disait : c’est pour Roger que j’accepte d’aller jusqu’au bout et de ne pas faiblir ! Que chacun mette son prénom à la place du mien ! Alors, quand nous réalisons cela, nous pouvons être saisis jusqu’aux larmes devant un tel amour : ce n’est pas possible, Seigneur que tu aies accepté tout cela pour moi, pour m’aimer, pour me libérer, tout ça pour moi qui ne le mérite pas et qui gaspille si souvent ce trésor de grâces. Il nous est bon en ce vendredi de méditer sur cet amour de Jésus pour nous, de réaliser jusqu’où il est allé pour chacun de nous qui ne le méritons pas. 

Il nous est bon de nous redire que dans chaque eucharistie se réactualise pour nous la grâce du mystère pascal, c’est-à-dire que nous recevons comme en direct, la puissance de l’amour de Jésus. Quand nous participons à la messe, que nous le ressentions ou non, que nous en ayons conscience ou non, c’est comme si nous étions au Golgotha pour recueillir le sang et l’eau coulant du côté ouvert de Jésus et devenant cette fontaine de grâces sous laquelle, à la prière de louange mercredi, nous étions invités à nous tenir, ce fleuve de grâces dans lequel nous étions invités à nous tenir mercredi. De même, c’est ce qui se passe à chaque fois que nous recevons le sacrement du pardon et c’est pour cela que ce sacrement est bienfaisant et qu’il est si dommage de s’en priver. Ce qui est le plus libérateur, le plus bienfaisant, ce n’est pas de pouvoir vider son sac, tant mieux si ça fait du bien, mais il y a des jours où le sac n’est pas si plein et lourd que ça et pourtant le sacrement reste toujours aussi bienfaisant car il nous plonge dans ce torrent de grâces. On peut le dire et le répéter : il est grand le mystère de la Foi !

Peut-être pensez-vous que je me suis perdu et que j’ai oublié comment j’avais commencé et que j’ai surtout oublié de répondre à la question que je posais : Pourquoi donc faut-il être crucifié avec Jésus ? Non, je ne me suis pas perdu, ce détour était important pour nous aider à sortir ces mauvaises représentations, ces mauvaises conceptions qui peuvent rester cachées quelque part en nous. Je me rappelle cette mamy qui me racontait qu’au catéchisme, on lui expliquait qu’à Nazareth, Jésus aimait aider son papa Joseph dans son atelier et que, pour l’occuper et le préparer à sa mission, Joseph lui faisait fabriquer de petites croix en bois ! Ou encore, elle me parlait de cette petite ritournelle qu’on leur apprenait et dont je ne me rappelle plus les paroles exactes mais qui disait que le petit Jésus allait à l’école en portant sa croix dessus son dos ! Mon Dieu ! Pour comprendre pourquoi il faut être crucifié avec Jésus, il est nécessaire d’avoir quelques idées claires sur le mystère de la Croix, et c’est pourquoi il me paraissait si important de rappeler que, dans ce mystère de la croix, c’est l’amour qui nous a sauvés. 

Mais peut-être faut-il encore préciser que, la croix, elle est arrivée comme une tuile terrible dans la vie de Jésus. Jésus n’a pas cherché à ce que sa vie terrestre se termine sur la croix, la croix lui a été imposée comme un supplice infâmant. Il aurait pu continuer encore pendant de belles années à prêcher, à guérir, à libérer, il y avait encore tant de gens qui en avaient besoin mais, manipulés par l’esprit du mal, les autorités ont décidé de le faire taire et ont programmé pour lui cette mort terrible. Pour Jésus, la croix représentait une mort terrible pour bien des raisons. D’abord, bien sûr, à cause des souffrances qu’elle allait générer sans compter toutes les autres souffrances morales et physiques rajoutées avant, dans le procès, la flagellation et le chemin de croix. Mais la croix était aussi une mort terrible parce qu’elle faisait passer Jésus aux yeux du peuple comme un réprouvé puisque le Deutéronome annonçait que ceux qui mouraient en croix étaient maudits, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne meurt pas comme un héros ! Enfin, la croix est une mort terrible parce qu’elle interrompait sa mission, elle ne lui permettrait plus de faire le bien qu’il faisait. Cette mort qui arrive comme une tuile, qui aurait pu marquer une fin en queue de poisson à la plus formidable opération de Salut jamais lancée dans l’histoire de l’humanité, cette mort qui semblait représenter une malédiction, Jésus va la transformer en source de toutes les bénédictions. Ma vie, nul ne la prend, c’est moi qui la donne par amour ! Et c’est ainsi que ceux qui avaient déchainé tant de haine et de cruauté en pensant que tout allait s’arrêter ont accéléré l’histoire du Salut. Par l’amour qu’il a mis dans l’offrande de lui-même, en acceptant de tout vivre dans l’amour et la fidélité à Dieu, son Père et aux hommes qu’il était venu sauver, Jésus a transformé cette tuile en source de Salut.

Il me semble que c’est ce que Paul veut nous dire dans l’extrait de la lettre aux Galates, du moins, c’est ainsi que je l’entends. C’est comme si Paul nous disait : chacun dans notre vie, nous allons faire, à un moment ou à un autre, cette terrible expérience de tuiles impossibles qui vont se mettre en travers de notre route ou de choix tordus dont il nous faudra payer les conséquences.

Et si ce ne sont pas des tuiles terribles, ou des choix tordus, nous expérimenterons tous des moments où nos vies, nos projets sont contrariés : nous sommes loin de toujours pouvoir faire ce que nous voudrions, comme nous le voudrions. Certains ont une vie contrariée dès leur plus tendre enfance à cause de conditions familiales difficiles, d’autres rencontrent la contrariété plus tard, je ne veux pas énumérer toutes les situations qui viennent nous contrarier, chacun connait suffisamment les siennes. Et c’est là que se profile pour nous la croix. La croix, nous n’avons jamais à la chercher, Jésus ne l’a pas cherchée, la vie se charge de la mettre en travers de nos chemins de vie avec ces tuiles ou ces contrariétés. Et c’est donc là qu’il nous faut demander à Jésus de vivre ces moments avec nous, de nous aider à les vivre comme lui, en transformant ces épreuves en sources de bénédictions. C’est de cette manière que nous pourrons dire en vérité : « Avec le Christ, je suis crucifié. Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi. » Oui, ces événements qui perturbent considérablement le cours de ma vie, mes projets, sont de véritables croix, mais je décide de les vivre comme Jésus et bien plus avec Jésus, parce que je suis bien incapable de le faire seulement avec mes pauvres forces. C’est ce que les psychologues appellent une attitude de résilience. Mais en psychologie, on ne peut trouver la force de vivre la résilience qu’en puisant dans ses propres ressources, en se raisonnant, en recourant à des thérapeutes ou des coachs alors que, pour nous, chrétiens, la résilience est le fruit du travail de la grâce en nous et c’est ce que suggère Paul en disant : Oui, avec le Christ, je suis régulièrement un crucifié. Mais, si j’arrive encore à vivre, c’est parce que moi, je ne vis plus tout cela seul, c’est le Christ qui vit en moi, c’est le christ qui le vit avec moi. C’est le témoignage de la vie de Ste Brigitte que nous fêtons aujourd’hui qui a eu une vie contrariée et pourtant si féconde. Pour nous, dans les Foyers de Charité, c’est le grand témoignage que nous recueillons de la vie si contrariée de Marthe et devenue tellement féconde que nous sommes là et pouvons faire l’expérience d’être plongés dans la grâce libératrice et transformante de l’amour du Christ.

Cet article a 2 commentaires

  1. Agnès

    Je vous donne la ritournelle en entier, je la chantais aussi petite!
    Le petit Jésus s’en va à l’école en portant sa croix dessus son épaule, quand il savait sa leçon, on lui donnait des bonbons, une pomme rouge pour mettre à sa bouche, un bouquet de fleurs, pour mettre à son coeur. C’est pour vous, c’est pour moi que Jésus est mort en croix !

    1. Père Roger Hébert

      Merci je garde ces paroles qui me serviront à l’occasion !

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