Le lectionnaire liturgique nous fait sauter à pieds joints plusieurs chapitres du livre de l’Apocalypse … d’autant plus que, samedi, avec la fête de la présentation de Marie, nous n’avons pas lu le texte de l’Apocalypse qui nous présentait les deux témoins derrière lesquels il fallait voir la figure de Pierre et de Paul. Si nous avions continué la lecture nous aurions pu lire, au chapitre 12, le combat du dragon et de la femme qui annonce comment Marie, en mettant au monde le Sauveur emporte une victoire décisive contre ce dragon, nouvelle figure du serpent de la Genèse qui a bien grandi ! Mais cette victoire décisive contre le dragon n’empêche pas d’autres bêtes, celle de la mer et celle de la terre de continuer à livrer bataille. L’une de ces bêtes, la bête de la terre est marquée du fameux chiffre 666 dont l’interprétation a fait couler beaucoup d’encre. L’une des manières la plus simple de le comprendre, c’est de se rappeler que, dans la Bible, le chiffre parfait, c’est 7. Ce qui signifie par conséquent que 6, c’est l’imperfection et 666 c’est vraiment l’imperfection puisqu’on le répète 3 fois.
Pourquoi ces détails ont-ils de l’importance ? Je vous rappelle que l’Apocalypse, c’est une vision que l’apôtre Jean a reçu pour soutenir la foi des chrétiens qui subissent la persécution de l’empereur Dioclétien vers l’an 95. En transmettant cette vision avec ces détails concernant les bêtes terrifiantes, le Seigneur ne veut pas nier les difficultés que subissent les chrétiens, les bêtes sont redoutables et capables de faire des dégâts, mais en soulignant l’imperfection de la bête avec ce chiffre de 666, le Seigneur veut redonner l’espérance à ceux qui souffrent : ce qui est imparfait ne pourra pas l’emporter définitivement.
Et c’est donc dans ce contexte qu’apparait la vision de l’Agneau que nous avons entendue dans la 1° lecture. Quelle disproportion entre cette figure de l’agneau et les descriptions des bêtes ! L’agneau, c’est le symbole même de la fragilité de la douceur, alors que les bêtes apparaissaient comme la force personnifiée que rien ne semble pouvoir arrêter. Mais voilà, la victoire ne sera pas là où la logique semblait la mettre d’emblée. Les bêtes seront terrassées et l’Agneau l’emportera comme si c’était la scène du combat de David contre Goliath qui se rejouait. En donnant sa vie, l’Agneau nous a acquis la victoire, c’est ce qu’affirme cette vision des 144000 qui parviennent, en suivant l’Agneau, devant le trône. Ils chantent le cantique nouveau comme les hébreux le chantaient après avoir échappé à la mort en traversant la mer rouge.
Bref, nous le comprenons, tous les détails qui sont donnés dans cette vision sont là pour soutenir l’espérance des chrétiens qui ont, c’est vrai, encore à souffrir mais qui, par leur fidélité, obtiendront la victoire. Le dernier détail que je voudrais souligner concerne cette petite mention : « Ceux-là suivent l’Agneau partout où il va. » Oui, la victoire sera bien pour les chrétiens et non pour ceux qui les persécutent, mais à condition que les chrétiens suivent leur maître partout où il est passé, c’est-à-dire en étant prêt à accepter, à son image, de donner leur vie si cela est nécessaire. L’histoire encore récente nous a montré que ces paroles étaient vraies. Partout où des forces considérables ont été lancées pour supprimer la foi chrétienne, des forces ayant la puissance des bêtes de l’Apocalypse, elles n’ont pu venir à bout de la fidélité sans faille et de la résistance pacifique des chrétiens. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à penser à l’échec des efforts considérables, des moyens impressionnants que le marxisme a déployé dans les pays de l’Europe de l’Est pour anéantir définitivement la foi chrétienne. Oui, bien des chrétiens sont morts, mais ceux qui voulaient tuer la foi n’ont réussi qu’à la rendre plus vivante !
Nous qui avons la chance de pouvoir vivre notre foi sans être inquiétés, n’oublions pas ceux qui en Chine, en Corée, au Vietnam et dans un certain nombre d’autres pays d’Asie ou de pays gouvernés par un islamisme intransigeant vivent encore dans cette situation terrible de persécution, soutenons-les par notre prière fraternelle et fidèle.
Venons-en à l’Evangile que nous connaissons bien, ce fameux texte de l’obole de la veuve. Jésus est dans le Temple, il vient d’enseigner et de s’affronter une nouvelle fois avec les responsables religieux et, dans le Temple, il observe ce qui se passe. Tout le monde est très impressionné par ces riches qui font toute une mise en scène pour que personne ne puisse douter de leur générosité. Ils devaient faire glisser les pièces les unes après les autres pour qu’on ait bien le temps de compter ce qu’ils donnaient et, au bruit que les pièces faisaient en tombant dans le trésor, on ne pouvait douter qu’il s’agissait de pièces de valeurs. Quand ces riches s’en vont, le spectacle est terminé, l’arrivée d’une pauvre veuve n’intéresse personne, sauf Jésus ! Et lui, il va souligner que le geste de cette femme vaut bien plus que celui de tous ceux qui viennent de se donner en spectacle.
Pour le souligner, il a d’ailleurs des mots étonnants : « elle a pris sur son indigence, c’est-à-dire sur sa pauvreté : elle a mis tout ce qu’elle avait pour vivre. » Mais en fait, on ne sait pas bien comment traduire les mots qui sont utilisés en grec parce que Jésus parle de ce qui lui manque, c’est-à-dire qu’elle a pris sur ce qui lui manquait déjà, c’est dire qu’elle a vraiment fait un don exceptionnel. Certes en valeur absolue, ce don n’est pas important mais en comparaison des autres, il a une valeur exceptionnelle. Hier, je disais que pour mesurer la générosité d’un don, il ne fallait pas regarder ce que l’on donnait mais ce que l’on gardait. Les autres ont certes beaucoup donné, mais ils ont encore plus gardé, alors que cette femme, elle n’a rien gardé, ce qu’elle a donné lui manque déjà, mais elle l’a donné quand même. Autant dire qu’en donnant ces deux piécettes, c’est sa vie qu’elle a donné.
Voilà le don qui plait au Seigneur, voilà le don qui a de la valeur aux yeux du Seigneur. Quand nous donnons, est-ce que nous nous donnons vraiment ? Quand nous donnons du temps au Seigneur, est-ce le temps qui nous reste que nous lui donnons ou est-ce le temps dont nous aurions vraiment besoin ? S’agit-il de notre superflu ou de l’essentiel ? Nous en avons sûrement déjà fait l’expérience, quand nous ne donnons au Seigneur que notre temps superflu, ce don ne produit pas grand-chose dans notre vie. Par contre, quand nous lui donnons un temps qui nous serait tellement précieux pour faire autre chose d’urgent et d’essentiel, ce don va avoir une fécondité étonnante. Nous voyons qu’un problème qui nous inquiétait va enfin se régler, qu’on trouve plus facilement les mots justes pour parler à telle ou telle personne. Bref, la fécondité du don dépend de notre investissement, quand nous allons jusqu’au don de nous-mêmes, la fécondité sera forcément au rendez-vous.
Et il est important de replacer ces versets dans le contexte de l’Evangile de Luc, dont cet extrait est tiré. Nous sommes quelques jours après l’entrée solennelle de Jésus à Jérusalem qui a déjà eu lieu, et quelques jours avant l’ultime fête de la Pâque, c’est-à-dire que nous sommes dans les tout derniers jours de la vie de Jésus. Ce que Jésus voit et commente lui permet de commencer à parler de ce qu’il va vivre lui qui va donner sa vie parce qu’il n’y a pas de plus grande preuve d’amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. Que notre participation à l’Eucharistie qui réactualise pour nous les fruits du sacrifice du Christ nous entraine, à sa suite, à la suite de cette veuve, à nous donner toujours plus totalement et que le Seigneur accorde une grande fécondité à ce don.