23 octobre : Mouiller à la grâce

Nous continuons notre lecture de la lettre aux Ephésiens qui est comme une grande méditation sur le mystère du Salut. Mais ce qui m’émerveille toujours ce sont les mots que Paul va utiliser pour parler de l’impact très concret du mystère du Salut dans notre vie quotidienne. Car ce ne sont pas les heures passées en extase qui vont attester de la vérité de l’accueil du mystère du Salut au cœur de nos vies, mais des attitudes extrêmement concrètes.

Nous en avons déjà eu quelques-unes dans la lecture de l’office de Laudes, ce matin. Je les reprends rapidement : « Aucune parole mauvaise ne doit sortir de votre bouche ; mais, s’il y en a besoin, dites une parole bonne et constructive, bienveillante pour ceux qui vous écoutent … Faites disparaître de votre vie tout ce qui est amertume, emportement, colère, éclats de voix ou insultes, ainsi que toute espèce de méchanceté. Soyez entre vous pleins de générosité et de tendresse. Pardonnez-vous les uns aux autres, comme Dieu vous a pardonné dans le Christ. » Et la 1° lecture continue à nous replonger dans le concret de l’existence : « ayez beaucoup d’humilité, de douceur et de patience, supportez-vous les uns les autres avec amour ; ayez soin de garder l’unité dans l’Esprit par le lien de la paix. » Ce « supportez-vous les uns les autres » moi qui suis amateur de foot, j’aime l’entendre comme une invitation que Paul nous lance en nous demandant de devenir « supporter » les uns des autres ! Il ne s’agit donc pas de tolérer la présence des autres qu’il faut bien supporter mais, dans ces versets, Paul lance une invitation pressante à ce chacun devienne tellement soucieux du bonheur de son frère qu’il va se faire son « supporter. » Et vous comprenez facilement que si nous devenons tous « supporters » les uns des autres, nous n’aurons pas de peine à vivre dans l’humilité, la douceur, la patience et à construire ainsi l’unité.

Et pour que nous comprenions bien que ce ne sont pas seulement des consignes morales pour mettre de l’huile dans les rouages d’une communauté, Paul prend bien soin de relier cette invitation concrète au mystère du Salut, à la proposer comme un déploiement du mystère du Salut : « Comme votre vocation vous a tous appelés à une seule espérance, de même il y a un seul Corps et un seul Esprit. Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, au-dessus de tous, par tous, et en tous. » J’espère que nous comprenons bien que Paul ne nous invite pas à vivre ainsi pour être sauvés, mais parce que nous sommes sauvés. Comment vérifier que nous laissons descendre jusqu’au plus profond de nous les conséquences du mystère du Salut : eh bien, comme je le disais, ce n’est pas en comptabilisant les heures d’extase, mais à la qualité de notre vie fraternelle. 

Autrement dit, quand nous comprenons que nous ne sommes plus au top, ce dont nous avons le plus besoin, ce n’est pas de nous reprendre en main, ça, ça ne produit jamais des fruits très durables, mais de replonger dans le mystère du Salut et c’est bien ce que nous faisons dans chaque Eucharistie. Mais alors me direz-vous, comment ça se fait que ça ne marche pas mieux puisque, vous et moi, nous participons à la messe tous les jours ? Quand il pleut et qu’on sort se promener avec un imperméable, on ne revient pas mouillé et c’est tant mieux. Mais quand on va à la messe, l’imperméable, il faut l’enlever … autrement, selon la belle expression de Péguy, nous ne « mouillerons pas à la grâce. » 

Alors pour que nous comprenions bien ce que ça signifie concrètement venir à la messe avec un imperméable et donc ne pas mouiller à la grâce, je me permets de vous relire ce magnifique texte de Péguy.

Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise pensée. C’est d’avoir une pensée toute faite. Il y a quelque chose de pire que d’avoir une mauvaise âme et même de se faire une mauvaise âme. C’est d’avoir une âme toute faite. Il y a quelque chose de pire que d’avoir une âme même perverse. C’est d’avoir une âme habituée. On a vu les jeux incroyables de la grâce et les grâces incroyables pénétrer une mauvaise âme et même une âme perverse et on a vu sauver ce qui paraissait perdu. Mais on n’a jamais vu mouiller ce qui était verni, on n’a pas vu traverser ce qui était imperméable, on n’a pas vu tremper ce qui était habitué. 

Les “honnêtes gens” ne mouillent pas à la grâce. C’est que précisément les plus honnêtes gens, ou simplement les honnêtes gens, ou enfin ceux qu’on nomme tels, n’ont point de défauts eux-mêmes dans l’armure. Ils ne sont pas blessés. Leur peau de morale, constamment intacte, leur fait un cuir et une cuirasse sans faute. Ils ne présentent pas cette ouverture que fait une affreuse blessure, une inoubliable détresse, un regret invincible, un point de suture éternellement mal joint, une mortelle inquiétude, une invincible arrière-anxiété, une amertume secrète, un effondrement perpétuellement masqué, une cicatrice éternellement mal fermée. Ils ne présentent pas cette entrée à la grâce qu’est essentiellement le péché. Parce qu’ils ne sont pas blessés, ils ne sont pas vulnérables. Parce qu’ils ne manquent de rien, on ne leur apporte rien. Parce qu’ils ne manquent de rien, on ne leur apporte pas ce qui est tout. La charité même de Dieu ne panse point celui qui n’a pas de plaies. C’est parce qu’un homme était par terre que le Samaritain le ramassa. C’est parce que la face de Jésus était sale que Véronique l’essuya d’un mouchoir. Or celui qui n’est pas tombé ne sera jamais ramassé ; et celui qui n’est pas sale ne sera pas essuyé. Les honnêtes gens ne mouillent pas à la grâce. 

Fais-nous la grâce, Seigneur, de ne pas participer à cette messe avec une âme habituée. Donne-nous d’oser reconnaître toutes nos failles qui sont autant d’ouvertures par lesquelles ta grâce peut entrer en nous. Donne-nous d’oser te les présenter et de ne pas les cacher à nos frères. Puisque chacun va devenir le supporter de tous et que tous deviendront le supporter de chacun, nous pouvons oser cette vie en vérité. 

Dans l’Evangile, tu nous reproches, Seigneur, de ne pas savoir interpréter les signes des temps, puissions-nous justement, éclairés par le Saint-Esprit, interpréter avec justesse ce que nous sommes en train de vivre avec cette pandémie. Puisque nous nous découvrons tous vulnérables physiquement, fais-nous comprendre que la reconnaissance de notre vulnérabilité spirituelle peut devenir la chance de nos vies qui nous obligera à poser nos imperméables à l’entrée de la messe !

Cet article a 3 commentaires

  1. Adéline

    Oser la vie en vérité… OUAIS !!!! ( = pour « amen » aujourd’hui)

    Texte de Péguy incroyable !

    Ne dit-on pas « glisser comme sur les plumes d’un canard », « un pet sur une toile cirée » ? 😉

    A méditer et reméditer pour soi… A partager, aussi !

    Des bises!

  2. Wilhelm Richard

    Commencons par In air musical :
    Supporters, supporters, faut pas laisser tomber Saint-Étienné c’est quand ça va mal que j’ai le plus besoin de toi. C’est ainsi une des chansons du regretté Daniel Balavoine.

    Ne faudrait-il pas commencer à fixer des porte-manteaux à l’entrée des églises ?
    Quant aux parapluies, quelle solution préconisez-vous ?

    N’est-il pas écrit que Jésus n’était pas venu pour les bien-portants mais pour les malades ? Et même supporter les poids lourds !

    1. Adéline

      ah ah !!!

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