St Jean n’a pas l’habitude de regarder les événements par le petit bout de la lorgnette, tout son Evangile en témoigne. Quand nous avons besoin de prendre un peu de hauteur, la méditation de son Evangile peut vraiment nous y aider. C’est sans doute aussi pour cela qu’il est représenté par le symbole de l’aigle, de l’aigle qui vole haut et qui d’en haut acquiers un regard d’une très grande acuité. Ainsi donc, quand St Jean médite le mystère de l’Incarnation, ce n’est pas à la crèche de Bethléem qu’il est conduit et qu’il conduit ceux qui voudront bien le suivre, c’est « au commencement » qu’il est comme catapulté. Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. En effet, c’est « au commencement » que tout trouve son fondement, son explication. Jésus lui-même, quand il sera interrogé sur des sujets difficiles n’hésitera pas à renvoyer ses détracteurs « au commencement » pour mieux comprendre. Rappelez-vous, c’était le fameux épisode où on l’interrogeait sur la légitimité du divorce (Mt 19,8) plutôt que de polémiquer, Jésus renvoie ses auditeurs « au commencement » pour comprendre quelle était l’intention créatrice de Dieu.
Tout cela pourrait sembler n’être que des considérations théologiques sans prises réelles avec la réalité de ce que nous vivons. Eh bien, détrompez-vous ! Si St Jean renvoie « au commencement » ceux qui veulent, à sa suite, méditer le mystère de l’Incarnation, ça signifie que dès le commencement, l’Incarnation était dans les plans de Dieu. Trop souvent, particulièrement nous les occidentaux, nous avons une vision tronquée de l’Incarnation. Nous pensons que Dieu a été obligé de modifier ses plans à cause du péché de l’homme. Suite au péché, il y aurait eu la convocation d’une réunion urgente au sein de la Trinité, avec un grand « brainstorming », comme on dit aujourd’hui, pour trouver une solution à ce couac qui n’avait pas été prévu. Alors, on ne sait pas bien qui dans la Trinité aurait prévu cette opération sauvetage, mais elle a été décidée pour intervenir « le moment venu » ! Est-ce le Fils qui, dans sa générosité, se serait proposé spontanément pour aller faire le job ? Est-ce le St Esprit qui a toujours des idées géniales qui aurait suggéré cette possibilité de l’Incarnation ? Est-ce le Père qui, conscient de ne pas avoir assez anticipé, aurait mis en place ce génial plan B ?
Evidemment, avec une telle présentation, je rends bien peu probable cette interprétation que les théologiens ont qualifié d’Incarnation réparatrice : Jésus qui vient pour réparer les dégâts causés par le péché des hommes. Il n’est pas étonnant que St Jean soit si populaire dans l’Orient car ce n’est évidemment pas sa conception de l’Incarnation et ce n’est pas celle des orientaux. Comme je le disais, en nous renvoyant « au commencement » St Jean veut nous aider à comprendre que, depuis le début, l’Incarnation est dans le plan de la Trinité. En créant l’homme au sommet de la création, la volonté de Dieu était que tous les hommes puissent, à l’image du Fils éternel, « reposer sur son sein » selon la belle expression entendue à la fin de l’Evangile. Dit plus trivialement, Dieu rêvait d’une famille nombreuse ! Il voulait que tous les hommes soient ses enfants bien-aimés, qu’ils puissent bénéficier de son amour au même titre que le Fils éternel. Quel projet ! Et pour que ce projet puisse se réaliser, il fallait que le Fils éternel s’incarne. C’est ce que tous les Pères de l’Eglise d’Orient diront avec leurs mots propres, je cite St Irénée car, étant né à Lyon, j’ai un peu de chauvinisme. Rendant compte du mystère de l’Incarnation, du pourquoi de l’Incarnation, Irénée aura cette formule ramassée et géniale : Il s’est fait ce que nous sommes pour que nous devenions ce qu’il est ! En développant, on comprend mieux : le Fils Eternel de Dieu s’est fait homme pour que les hommes puissent vivre éternellement comme des Fils de Dieu.
C’est ce que les orientaux aiment appeler la divinisation. A cause du péché, la divinisation ne pouvait s’effectuer que par le passage par l’opération Rédemption, mais ce n’est pas le péché qui a décidé de l’Incarnation, c’est la volonté d’amour de Dieu qui, comme je le disais un peu trivialement rêvait d’une famille nombreuse et qui n’a pas renoncé à ce projet quand il a vu que ses enfants étaient de véritables garnements !
Alors, bien sûr, méditer devant la crèche avec l’Evangile de Luc, c’est important, parce que ça vient toucher la corde sensible en nous et j’espère que nous avons tous une corde sensible ! Mais méditer avec l’Evangile de Jean qui nous projette « au commencement » c’est aussi tellement important. La corde sensible n’est peut-être pas touchée immédiatement par cette méditation, mais, réalisant que « dès le commencement », il a voulu que nous puissions devenir ses enfants bien-aimés, très vite, cette prise de conscience pourra aussi nous donner quelques larmes d’émotion, de reconnaissance. C’est pour cela que j’aime tant le chant « Abba, Père » parce que c’est exactement ce qu’il dit, je ne cite que deux parties de couplets :
- Bien avant les premiers battements de mon cœur, bien avant que je m’éveille à ta douceur, bien avant mes doutes, mes joies et mes douleurs, Tu rêvais du jour où je pourrais t’aimer.
- Bien avant que mon péché brise ton cœur, bien avant que coulent le sang et la sueur, bien avant les clous, le froid, et la douleur, Tu rêvais du jour ou je pourrais t’aimer.
Et, St Jean, dans sa méditation du Mystère de l’Incarnation, projeté dans ce commencement, réalise que c’est son Verbe que Dieu a voulu envoyer. « Et le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous. » Le Verbe, la Parole, c’est justement le moyen dont dispose un père de famille pour dire son amour à ses enfants et pour les faire grandir. En envoyant son Verbe qui se fait chair, Dieu voulait qu’avec nos oreilles de chair nous puissions entendre son amour. Chez les hommes, hélas, la parole est souvent démentie par les faits, pas chez le Verbe de Dieu fait chair qui n’a été qu’amour dans tout ce qu’il a dit, dans tout ce qu’il a fait.
Le Verbe, « au commencement », c’est aussi la Parole créatrice, c’est par lui, le Verbe, que tout est venu à l’existence, et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui. Reprendre conscience que c’est le Verbe que Dieu a envoyé, c’est aussi une invitation à relire tous les actes du ministère de Jésus comme des actes créateurs. Ce qui vient tordre le cou à toutes les interprétations foireuses qui laissent entendre que Dieu aurait voulu tel mal pour telle personne à cause de ceci ou cela. Non ! « Au commencement » Dieu qui n’est qu’amour a tout voulu dans l’Amour et pour l’Amour. C’est ce que manifestera Jésus dans son ministère, lui, la Parole faite chair.
« Au commencement », nous dit encore St Jean, le Verbe était la lumière, c’est pour cela que Dieu a voulu l’envoyer car il sait bien, que, comme tous les enfants, nous ne pouvons pas vivre dans le noir. Alors Dieu a envoyé son Verbe qui est lumière parce qu’il ne voulait pas que nous vivions dans la peur, dans l’angoisse.
Voilà ce que la méditation du prologue de St Jean m’a permis de contempler en me projetant, à sa suite « au commencement ». Puisque la liturgie nous offre cette chance exceptionnelle d’entrer dans l’octave de Noël, c’est-à-dire que ça sera Noël pendant huit jours, n’hésitons pas, tout au long de cette octave à demander au St Esprit de nous projeter « au commencement » pour contempler ce que je n’ai fait qu’esquisser dans cette homélie. Peut-être aussi que cette méditation « du commencement », nous aidera à considérer nos vies comme « un simple commencement » qui est appelé à s’épanouir dans l’éternité. C’est sans doute ce que voulait dire St Grégoire de Nysse dans cette belle prière : Seigneur, celui qui court vers Toi, devient toujours plus grand et plus haut que lui-même, augmentant toujours par l’accroissement des grâces qui lui sont faites. Mais, comme ce qui est recherché ne comporte pas en soi de limite, le terme de ce qui est trouvé devient, pour ceux qui montent, le point de départ de la découverte de biens plus élevés. Et celui qui monte ne s’arrête jamais d’aller de commencement en commencement par des commencements qui n’ont jamais de fin. En ce jour de Noël, demandons cette grâce de pouvoir aller de commencement en commencement par des commencements qui n’ont jamais de fin.
C’est un sujet que je porte depuis très longtemps dans mon cœur:au commencement l’homme n’était pas fait pour mourir. (pour moi) l’amour de Dieu ne peut concevoir la mort physique de l’homme.
Au commencement, et par la suite, c’est l’homme qui a choisit de se couper de l’amour de Dieu.
Car Dieu laisse à l’homme la possibilité de dire non à son amour.
L’amour ça ne s’impose pas si non ce n’est plus de l’amour. Mais bon, il faut faire fort pour refuser l’amour de Dieu !
Il me semble que nous étions destinés, au commencement, à »monter au ciel » de la même façon que Marie, où Eli, peut être quand même avec moi bruit !
C’est une réflexion qui reste ouverte chez moi. Je m’en suis entretenu avec peu de personnes qui abondaient dans ma réflexion.
Mais, mais comme le disait Zundel, ce n’est pas de savoir si nous serons vivants après la mort, mais bien si nous serons vivants avant la mort.