25 février : vendredi 7° semaine ordinaire. S’il y a quelqu’un là-haut, qu’il descende !

Nous continuons la lecture de la lettre de St Jacques et le passage d’aujourd’hui nous fournit encore un certain nombre d’éléments qui peuvent alimenter notre examen de conscience qu’il s’agisse de l’invitation à ne pas gémir les uns contre les autres, de l’invitation à tenir bon ou de l’invitation à vivre dans la clarté avec de vrais oui et donc de vrais non car le vrai oui est forcément accompagné de vrais non. Je vous laisserai le soin de méditer ces différents points. Personnellement, j’aimerais m’arrêter quelques instants sur cette invitation à tenir bon et surtout sur l’exemple de Job que nous donne St Jacques pour tenir bon : « Vous avez entendu dire comment Job a tenu bon. »

Je ne sais pas ce que St Jacques avait derrière la tête quand il donnait Job en exemple pour apprendre à tenir bon dans l’adversité, puisqu’il n’en dit rien, ça laisse la porte ouverte à toutes les interprétations ! La préparation de la retraite pour les dominicains que je commence à prêcher ce soir sur le thème de la fraternité m’a amené à lire le livre de la théologienne protestante Lytta Basset « sainte colère. » Ma prédication portera sur les difficiles histoires de fraternité dans le livre de la Genèse, notamment, la toute première histoire de fraternité, celle de Caïn et Abel, une fraternité avortée puisque supprimée avant d’avoir pu exister. Dans cette histoire dramatique, il y a l’évocation de la colère de Caïn qui ne comprend pas pourquoi Dieu a refusé d’agréer son offrande alors qu’il a agréé celle de son frère Abel. Il est entré dans une profonde colère, mais une colère qu’il va garder en lui. Et Dieu voit bien que cette colère rentrée est en train de le dévorer intérieurement et qu’elle peut le conduire à poser un acte dramatique. Alors, Dieu lui tend une perche pour qu’il puisse exprimer sa colère, pour qu’il puisse s’en libérer et Dieu est prêt à tout entendre. Le texte hébreu est très beau, dieu dit à Caïn : pourquoi ne me regardes-tu pas en face ? Nos Bibles ont traduit : pourquoi ne relèves-tu pas la tête ? C’est donc à un dialogue que Dieu invite Caïn : dis-moi ce que tu as sur le cœur, n’aie pas peur de déverser sur moi ta colère. En invitant Caïn à relever la tête, à le regarder en face, Dieu disait qu’il était prêt à en prendre plein la figure dans ce face à face qu’il espérait. 

Mais Caïn ne l’a pas fait et sa colère l’a noyé, la colère censurée finit toujours par retomber sur un innocent. Vous connaissez l’enchainement : un homme se fait sévèrement remettre en place par son patron, il n’ose rien lui dire en face, mais ça chauffe en lui, ça chauffe tellement qu’en rentrant à la maison il s’en prend à sa femme. Elle est tellement abasourdie par cette violence qui se déchaine sur elle qu’à son tour, elle s’en prend à son fils qui rentre de l’école. Le fils est tellement écrasé par la violence des propos de sa mère que la première réaction qui lui vient, c’est de prendre le chat et le jeter par la fenêtre ! la colère censurée finit toujours par retomber sur un innocent. C’est ce qui va conduire Caïn à tuer son frère Abel. Mais cet innocent, ça peut aussi être nous-mêmes et nous risquons de nous faire du mal dans des conduites addictives ou simplement en refusant de nous laisser faire du bien en pensant que nous ne le méritons pas.

Vous vous demandez sans doute pourquoi je vous parle de Caïn alors que St Jacques parle de Job ! Eh bien, tout simplement parce que Lytta Basset va montrer que Job réagit exactement à l’inverse de Caïn. Lui, parce qu’il ne comprend pas ce qui lui arrive, parce qu’il estime que c’est très injuste, ce qu’estimait aussi Caïn, il va oser regarder Dieu en face et il va oser lui en mettre plein la figure. Oh, ça prend du temps, mais il va pouvoir vider son sac un peu à la manière de la représentation de ce dessinateur qui avait dessiné un homme qui était en colère contre Dieu et qui le poing levé vers le ciel dit : descends si tu es un homme ! Et nous connaissons la suite de l’histoire : Dieu s’est fait homme et il est descendu ! Voilà donc ce qui a aidé Job à tenir, s’affronter à Dieu. N’ayons pas peur de lutter avec lui, il tient bon, il ne se dérobera pas et sera prêt à tout entendre. Tant que nous crions, c’est le signe que nous restons combattants et c’est ce que le Seigneur attend de nous. Evidemment, pour employer une expression de Lytta Basset, notre éducation stoïco-chrétienne ne nous y encourage pas, le fait que la colère soit dans les péchés capitaux ne nous aide pas non plus ! Mais la colère est d’abord un sentiment que nous sommes obligés d’accueillir et, parce qu’elle est un sentiment, elle n’est, à priori, ni bonne, ni mauvaise. 

Elle devient mauvaise et peccamineuse quand elle s’exprime de manière inappropriée, disproportionnée et qu’elle fait des victimes innocentes. Comme nous y invite St Jacques, osons l’attitude de Job, osons, quand c’est nécessaire, prendre le Seigneur comme punching-ball et, comme lui, un jour, nous finirons bien par découvrir, grâce au soutien de ceux qui nous accompagnent sur nos chemins de souffrance que Dieu n’est pas notre adversaire, qu’il n’est pas responsable du mal qui nous arrive, et qu’il est, au contraire, notre meilleur allié, celui qui nous aidera à entrer dans l’attitude profonde qui nous sauvera : consentir au réel de nos vies.

Venons-en à l’Evangile et la question des pharisiens : « Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ? » Cette question est complètement tordue au moins à 3 niveaux.

1/ D’abord, ils ne se préoccupent pas du sort des femmes qui auraient elles aussi, bien souvent, de bonnes raisons de vouloir renvoyer leurs maris ! Mais évidemment dans les sociétés au fonctionnement machiste, ce n’est pas la préoccupation essentielle !

2/ Pour se justifier, ils vont ensuite, dans leur dialogue avec Jésus, évoquer ce billet de répudiation que Moïse avait prévu, signe qu’il était bien d’accord qu’un homme puisse renvoyer sa femme. Réflexion tordue ! Si Moïse a rendu obligatoire la rédaction d’un billet de répudiation, c’était justement pour protéger les femmes qui, en cas de répudiation, risquaient de devenir une proie facile pour tous les hommes. Avec ce billet, elle avait des droits reconnus.

3/ Enfin et c’est sans doute ce qui heurte le plus Jésus dans la question des pharisiens, c’est ce recours permanent au permis/défendu. Jésus n’en peut plus de ce système religieux qui a tout codifié : ça tu peux, ça tu peux pas. La religion, d’une part, est devenue un carcan et d’autre part, elle anéantit la liberté de l’homme. C’est sans doute contre cet aspect que se sont élevés tant de philosophes, devenus les pères de l’athéïsme. Et, pour une part, ils ont eu raison. Je voudrais développer un peu ce point.

Comment oser nier la liberté en imposant, au nom de Dieu, une religion du permis/défendu ? La liberté, c’est le plus grand cadeau que Dieu nous ait fait après celui de la vie. Et, on le voit bien dans le jardin d’Eden : pour que la liberté puisse s’exercer, Dieu a mis un interdit. Un minuscule interdit : vous pouvez manger de tous les arbres, TOUS, sauf un, minuscule interdit qui ne contraint pas dramatiquement mais qui permet à la liberté de s’exprimer. Et pourquoi Dieu tenait-il tant à la liberté ? Tout simplement parce qu’elle est la condition de l’amour. Je ne peux aimer sous la contrainte, je ne peux aimer que librement, si je choisis d’aimer, qui je choisis d’aimer. Comme le disait Péguy : Dieu a pris le risque de la liberté car il ne voulait pas être aimé par des prosternements d’esclaves ! L’amour et la liberté marchent ensemble. Il serait donc assez paradoxal que ce Dieu qui a voulu notre liberté se complaise dans une religion qui nous la fait perdre en codifiant tout. C’est pour cela que, dans notre foi chrétienne, le ressort ultime qui détermine nos choix, c’est la conscience, une conscience éclairée, certes, mais une conscience qui peut se déterminer librement. Si vous vouliez lire quelque chose de court et très stimulant sur le sujet, vous pourrez lire le petit livre du frère Adrien Candiard qui était là il y a quelques semaines, ce petit livre s’appelle : à Philémon, c’est une hymne à la liberté comme la lettre à Philémon est une hymne à la liberté.

Si je reviens à l’Evangile, vous pourriez peut-être m’objecter que Jésus a pris fermement position dans le débat qui l’opposait aux pharisiens et que sur ce sujet du divorce, hommes et femmes ne sont pas libres de faire ce qu’ils veulent. D’abord la liberté, ce n’est pas la capacité de faire ce qu’on veut, ça c’est ce que pense les ados, mais c’est une caricature de la liberté. La liberté nous est donnée pour suivre notre conscience éclairée. Jésus rappelle le projet de Dieu au commencement quand Dieu a tout créé dans l’amour et pour l’amour. Quand l’amour n’est plus possible, quand rester devient dangereux, il faudra prendre une décision en conscience, sachant que dans ce domaine, comme dans tant d’autres, puisque le bien n’est pas toujours accessible, il nous faut accepter de choisir le moindre mal en ayant bien conscience que ce n’est pas le bien mais que, pour le moment, on ne peut pas faire mieux. Que l’Esprit-Saint nous aide à grandir dans cette liberté en nous permettant de faire à chaque instant des choix dictés par l’amour.

Cette publication a un commentaire

  1. Adéline

    Merci P. Hébert d’être le supporter des femmes !!! À défaut d’en supporter une !!! 😀

Laisser un commentaire