Avec l’extrait de l’Apocalypse que nous avons entendu, nous entrons dans la dernière partie du livre qui va nous donner à voir ce que sera le jugement de Dieu. Ce jugement, nous avons entendu, hier, l’ange supplier qu’il arrive bientôt parce que le mal avait assez duré, avait fait assez de dégâts. Eh bien, dans cette dernière partie du livre, il va être mis en œuvre. La vision d’aujourd’hui nous présente les victorieux de la Bête qui se tiennent debout sur la mer de cristal et qui chantent le cantique de Moïse. Ce cantique de Moïse, nous le connaissons bien puisque nous le chantons, nous aussi, chaque veillée pascale après la lecture du récit fondateur de la traversée de la mer rouge.
C’est donc clair, de même que les hébreux ont été libérés de la servitude de l’Egypte par un coup d’éclat du Seigneur qui a permis à son peuple de traverser la mer à pied sec, les persécutés restés fidèles, eux aussi seront libérés des pharaons modernes. Et tous ceux qui ont cherché à engloutir les chrétiens, ce sont eux qui finiront par être engloutis. C’est pourquoi les fidèles peuvent déjà chanter la victoire du Seigneur même s’ils sont encore aux prises avec leurs persécuteurs. Et ce cantique nous est bien connu puisque nous le prions régulièrement à l’office. Personnellement, je trouve vraiment que c’est très beau de voir que ce cantique peut déjà être chanté alors que les problèmes ne sont encore pas réglés et que, ainsi chanté, il devient l’expression d’une foi extraordinaire. Un peu à l’image des 3 jeunes qui sont capables de chanter dans la fournaise, au milieu des flammes. Certes les flammes ne les brûlent pas, mais pour chanter la louange du Seigneur, ils auraient pu attendre d’être sortis de la fournaise, ça aurait été plus sûr ! Eh bien, non, c’est dans la fournaise qu’ils chantent, comme c’est au cœur de la persécution que vont chanter ceux qui sont restés fidèles. Et la plus grande victoire que Dieu puisse emporter, ce n’est pas de permettre aux chrétiens d’échapper au martyr mais de leur permettre de rester fidèles dans l’adversité et de continuer à proclamer ses louanges.
C’est vrai que les récits qui racontent la mort des martyrs ont toujours un côté étonnant. On pourrait parfois se demander s’il n’y a pas un côté légende dorée dans ces récits. La plupart du temps, je crois vraiment que ces récits sont parfaitement authentiques et ils ne sont finalement que la mise en œuvre de l’Evangile que nous avons entendu. « Mettez-vous donc dans l’esprit que vous n’avez pas à vous préoccuper de votre défense. C’est moi qui vous donnerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront ni résister ni s’opposer. » Ces paroles ne signifient pas que ceux qui vont comparaître dans les tribunaux en ressortiront libres à chaque fois après avoir réussi à clouer le bec à leurs accusateurs. Non, mais ils n’auront pas à se soucier de savoir s’ils tiendront le coup, s’ils trouveront les mots justes, s’ils trouveront la force de résister, dans ces circonstances dramatiques, tout cela leur sera donné. Ça ne signifie donc pas que les martyrs ont été des êtres exceptionnellement plus forts que les autres, capables d’endurer plus de souffrances que les autres hommes.
Non ! Par contre, c’est sûr, ils ont été des êtres qui, conscients de leur fragilité, ont fait un acte de foi extraordinaire en croyant à la vérité des paroles prononcées par Jésus dans l’Evangile. J’aime bien raconter à ce sujet le martyr de sainte Félicité qui est morte martyre avec sainte Perpétue. Félicité était enceinte au moment de son arrestation et elle va accoucher, très peu de temps avant son martyr, peut-être la veille ou l’avant-veille, je ne me rappelle plus exactement.
Son accouchement s’est très mal passé et elle hurlait donc de douleurs. L’un des gardiens lui dira : ma pauvre fille si tu hurles comme ça pour un accouchement, qu’est-ce que ça va être quand tu te retrouveras bientôt broyée par les dents des bêtes sauvages auxquelles tu vas être livrée et qui te dévoreront ! C’est alors que Féléicité lui répond : je ne m’inquiète pas du tout car à ce moment-là, un Autre souffrira pour moi !
C’est exactement ce que dit la Préface des martyrs à la messe : Nous reconnaissons un signe éclatant de ta grâce dans le martyre de …. ; en donnant sa vie comme le Christ, il a glorifié ton nom : C’est ta puissance qui se déploie dans la faiblesse quand tu donnes à des êtres fragiles de te rendre témoignage. Personne, par ses propres forces, ne peut subir ce qu’a dû subir n’importe quel martyr. Mais c’est la puissance du Seigneur qui se déploie et qui permet à ces êtres fragiles de rester fidèles alors qu’ils sont subis aux pires tortures. Et Jésus a bien raison de rajouter dans l’Evangile, que tout cela sera un puissant témoignage. « On portera la main sur vous et l’on vous persécutera ; on vous livrera aux synagogues et aux prisons, on vous fera comparaître devant des rois et des gouverneurs, à cause de mon nom. Cela vous amènera à rendre témoignage. » De fait, il n’est pas rare que des bourreaux qui ont fait mourir des martyrs se soient convertis ensuite, tellement ils ont été impressionnés par la manière dont ces femmes, ces hommes, ces jeunes sont morts.
Normalement, nous ne devrions pas mourir martyrs du martyr de sang puisque nous ne sommes pas dans des situations où il soit risqué de professer la foi chrétienne. Mais, comme je le disais hier en faisant allusion à ce qu’en avait dit Thérèse de Lisieux, il y a deux formes de martyr, le martyr de sang dans lequel la vie est donnée une fois pour toutes et le martyr d’amour où la vie est donnée geste d’amour après geste d’amour. Et c’est ainsi que l’on peut dire que Thérèse est morte de ce martyr d’amour choisissant de tout faire et de tout vivre par amour : les humiliations qu’elle subissait de la part de certaines de ses sœurs, les souffrances que lui infligeait la tuberculose, maladie qui finira par ne plus lui laisser beaucoup de repos. Voilà ce qu’elle écrivait : « Dieu est admirable, mais surtout il est aimable, aimons-le donc… aimons-le assez pour souffrir pour lui tout ce qu’il voudra, même les peines de l’âme, les aridités, les angoisses, les froideurs apparentes… ah ! c’est là un grand amour d’aimer Jésus sans sentir la douceur de cet amour… c’est là un martyre… Et bien ! mourons Martyres. […] le martyre ignoré, connu de Dieu seul, que l’œil de la créature ne peut découvrir, martyre sans honneur, sans triomphe… Voilà l’amour poussé jusqu’à l’héroïsme. »
C’est ce même martyr d’amour que vivra Marthe et qui finira, elle aussi, par l’emporter dans les bras de son Seigneur. Puissions-nous avoir suffisamment de foi pour croire que si nous nous livrons totalement à lui en reconnaissant nos faiblesses et notre grande fragilité, le Seigneur, dans la puissance de son Esprit, pourra nous conduire, nous aussi, pas après pas, sur le chemin d’un amour de plus en plus parfait jusqu’à être emporté à notre tour dans ce martyr d’amour. Et, comme le dit Jésus dans l’Evangile, nous pouvons être sûrs que c’est là le témoignage le plus parlant que nous puissions lui rendre.
Merci pour ces homélies qui nous font grandir dans notre foi et nous touchent au cœur.
Amen ! Merci P. Hébert !