J’imagine bien volontiers que vous n’avez jamais entendu parler de la querelle entre les onomatomaques et les onomatodoxes. C’était mon cas jusqu’à hier ! C’est une querelle très sérieuse qui a eu lieu entre les moines du mont Athos qui a été tellement violente qu’il a pratiquement fallu faire intervenir l’armée pour la régler ! Remarquez, cette querelle avait aussi eu lieu, bien avant, dans l’Eglise catholique et elle avait opposé les Franciscains aux Dominicains. J’ai appris tout cela en écoutant une conférence du frère Jean-Marie Gueulette qui est actuellement au couvent des Dominicains de Rennes, mais qui était, à l’époque, au couvent de Lyon. Cette conférence, je l’ai écoutée pour préparer cette homélie et elle avait comme but d’expliquer pourquoi l’église qui a été confiée aux dominicains de Lyon s’appelle l’église du Saint Nom de Jésus.
Alors, même si je ne veux pas m’attarder sur eux, qui sont les onomatomaques et onomatodoxes ? Il faut bien que je vous le dise puisque je les ai évoqués en introduction ! Onoma, en grec, c’est le nom et makesthai, c’est le combat. Les onomatomaques, ce sont donc ceux qui font une utilisation pas ajustée du Nom, sous-entendu du Nom de Jésus. A l’inverse les onomatodoxes, ce sont ceux qui utilisent ce nom de manière ajustée. Les moines du mont Athos, comme beaucoup de chrétiens orientaux, priaient la fameuse prière du cœur qui se déclinent de plusieurs manières, mais dont le cœur est précisément l’utilisation du Nom de Jésus. Vous avez peut-être lu le récit d’un pèlerin russe qui raconte la quête de cet homme qui veut répondre à l’invitation de Paul qui dit : Priez sans cesse ! Cet homme se demande comment ça peut être possible de prier sans cesse, de ne jamais perdre le fil de la prière quelles que soient les activités qui nous occupent et c’est là qu’il va découvrir cette fameuse prière du cœur qui consiste à dire sans cesse le nom de Jésus. Mais voilà, cette prière peut mener à des dérives et on peut finir par la dire comme on répète un mantra. Le mantra, c’est une formule qui comporte en elle-même une certaine puissance, peu importe si celui qui le répète ne sait pas ce qu’il dit ! Les onomatomaques finissaient par faire de la répétition du Nom de Jésus la récitation d’un mantra. Alors que, pour les onomatodoxes, prononcer le nom de Jésus, c’était être conduit à la communion avec Celui dont on prononçait le nom.
Au-delà de ces précisions qui passionnent les spécialistes mais qui ne nous passionnent pas forcément, en cette fête du Saint Nom de Jésus, nous sommes invités à reprendre conscience de la beauté et de la puissance de ce Nom de Jésus qui nous était rappelée à la fin de la 1° lecture : Dieu l’a doté du Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur terre et aux enfers. Mais il y a quantité d’autres lectures qui auraient pu être lues en ce jour. Par exemple la finale de l’Evangile de Marc : Voici les signes qui accompagneront ceux qui deviendront croyants : en mon nom, ils expulseront les démons ; ils parleront en langues nouvelles, ils prendront des serpents dans leurs mains et, s’ils boivent un poison mortel, il ne leur fera pas de mal ; ils imposeront les mains aux malades, et les malades seront guéris. Mc 16,17-18 Et dans les Actes, il y a quantité de passages comme le discours de Pierre après la Pentecôte, quand Pierre cite la prophétie de Joël qui dit que quiconque invoquera le Nom du Seigneur sera sauvé. Ac 2,21 Ou encore mieux la guérison du boiteux de la belle porte du Temple quand Pierre lui dit : De l’argent et de l’or, je n’en ai pas ; mais ce que j’ai, je te le donne : au nom de Jésus Christ le Nazaréen, lève-toi et marche. Ac 3,6 Et encore, et je m’arrêterai là : En nul autre que lui, il n’y a de salut, car, sous le ciel, aucun autre nom n’est donné aux hommes, qui puisse nous sauver. Ac 4,12 C’est donc ce que vise la prière du cœur, nous faire passer et repasser le Nom de Jésus qui signifie « Dieu sauve » pour que cette puissance d’amour salvatrice de Jésus accomplisse son œuvre en nous.
Les exemples sont souvent plus parlants que les longues considérations. St Bonaventure, le premier biographe officiel de St François écrira ces lignes délicieuses et j’utilise le mot « délicieux » à dessein : Quand François priait un psaume et qu’il trouvait dans ce psaume le Nom de Dieu, il semblait s’en lécher les lèvres devant la douceur de sa suavité. Quant au Nom de Jésus, lorsqu’il l’exprimait ou l’entendait, rempli intérieurement de joie, il semblait, extérieurement, tout entier changé, comme si une saveur de miel avait modifié son goût ou un son harmonieux modifié son ouïe.
Magnifique de constater ce que produisait l’écoute ou la prononciation du Nom de Jésus en François d’Assise. Nous savons, par ailleurs, que François a traversé une longue nuit, il n’est pas difficile d’imaginer que c’est le Nom de Jésus pris et repris dans sa prière devenue si aride qui l’a aidé à tenir et à traverser ce long désert.
Après avoir honoré les Franciscains, il faut bien honorer aussi les Dominicains ! Car je vous rappelle que ces renseignements, je les tire d’une conférence d’un dominicain ! Ce qu’a fait le bienheureux Henri Suso, dominicain, vivant un siècle et demi après François est pas mal aussi. Lui, il a carrément devancé la mode des tatouages, il s’est fait tatouer le nom de Jésus sur le buste et, à l’époque, les techniques étaient assez barbares. Là, il ne s’agissait plus de le repasser des lèvres au cœur, mais de l’inscrire dans sa chair. Sans doute avait-il eu connaissance du décret du concile de Lyon en 1274 qui officialisa la dévotion au Saint Nom de Jésus en disant : Lorsqu’on offre les mystères sacrés de la Messe, à chaque fois qu’on mentionnera le glorieux Nom de Jésus, on fléchira les genoux de son cœur ce qu’on attestera par une inclination de la tête. Quelle belle expression : fléchir les genoux de son cœur et comme c’est une attitude très mystique, le concile demande que ça se traduise par une attitude concrète : incliner la tête. Vous n’êtes pas obligés de faire comme le bien heureux Henri Suso en vous tatouant le nom de Jésus, remarquez Olivier Giroud a fait quelque chose de semblable, mais nous pourrions nous inspirer de cet appel du concile de Lyon : fléchir les genoux de notre cœur quand nous entendons le Nom de Jésus, et vous le montrerez ou pas en inclinant la tête.
Nous le savons aussi Jeanne d’Arc est mort en prononçant, du milieu du bûcher, le nom de Jésus et, hier, nous avons appris que Benoit XVI également est mort en prononçant quasiment le Nom de Jésus : Seigneur, je t’aime, a-t-il dit rendant son dernier souffle. Dans cette conférence, j’ai aussi retenu le fait que le pape Pie IV avait confié aux dominicains le soin de lancer des confréries du Saint Nom de Jésus, elles ont eu moins de succès que les confréries du Rosaire, mais, en Amérique, notamment, elles restent très vivantes. Et ces confréries avaient entre autres missions, à leur création, de prier pour ceux qui blasphémaient. En prononçant le Nom de Jésus dans leur prière, les membres de ces confréries demandaient la guérison du cœur de ceux qui utilisaient si mal le nom de Jésus. Ça m’a fait penser à ce conseil que l’on donne souvent aux personnes qui salissent leur regard en visionnant du porno, on leur propose de demander la guérison de leur regard blessé par la contemplation Eucharistique. C’était un peu le même principe pour les confréries que le Nom prononcé avec amour guérisse les méfaits du Nom prononcé irrespectueusement.
Voilà un certain nombre de considérations qui pourront nous aider à prier avec le Nom de Jésus pour qu’il déploie en nous toute sa puissance. Cette prière est précieuse, notamment pour nous aider à traverser les temps d’aridité. Et si vous voulez en savoir plus, vous pouvez lire l’excellent petit livre du frère Jean-Marie Gueulette sur le sujet qui s’intitule : Petit traité de la prière silencieuse.
Je termine en vous citant les paroles d’un chant qu’on chantait jadis dans le Renouveau, un chant dont les paroles peuvent devenir prière. Voilà ce que dit le refrain : Ton Nom, Jésus, une huile parfumée qui nous guérit, un vin qui réjouit ! Ton Nom, Jésus, a vaincu nos peurs. Ton Nom, Jésus, nous livre ton cœur avec le sang et l’eau jaillis de ton côté, avec le sang et l’eau, ta vie.
« Ton nom, Jésus, a vaincu nos peurs »: c’est exactement ce qui s’est passé ce jour pour moi. Que Jésus en soit loué. Que j’avance désormais sur un plein chemin de VIE !