3 mars : vendredi 1° semaine de carême. Le Salut est-il vraiment gratuit ? Et qu’en est-il de la réconciliation fraternelle ?

« Si le méchant se détourne de tous les péchés qu’il a commis, s’il observe tous mes décrets, s’il pratique le droit et la justice, c’est certain, il vivra, il ne mourra pas. » Si, si … ce petit mot « si » revient un certain nombre de fois dans ce texte et son utilisation pourrait générer en nous comme un malaise. Le Salut que Dieu nous accorde, est-il gratuit oui ou non ? Et s’il l’est, pourquoi toutes ces conditions ? D’autant plus qu’il y a deux séries de conditions parallèles : les conditions pour que le méchant accède à la vie et les conditions pour que le juste reste sur le chemin de la vie. Ça fait donc beaucoup de conditions ! Comment comprendre toutes ces conditions ? L’amour de Dieu ne serait-il pas inconditionnel ?

Pour apporter une réponse à cette question, il me semble important de faire une distinction essentielle. Oui, c’est assuré, le Salut de Dieu est gratuit, donc sans conditions. Si on veut rester dans ce registre de la gratuité, on peut dire qu’il y en a Un qui a payé pour nous, c’est Jésus. L’amour de Dieu est absolument gratuit, le Salut est vraiment inconditionnel, la seule condition, c’est justement que nous acceptions qu’il soit gratuit ! Ce que je suis en train de dire, c’est tout le message de l’épitre aux Romains. Pour autant, Dieu nous prend au sérieux et, s’il peut tout pardonner, il ne peut pas faire que nos actes n’aient pas de conséquences. Et c’est de cela que nous parle ce texte d’Ezékiel. Le méchant, par ses actes mauvais, il se pourrit la vie et il pourrit la vie de ceux qui l’entourent. Ça, c’est aussi vrai qu’est vraie la gratuité du Salut. Et, nous en faisons quotidiennement l’expérience, le péché pourrit notre vie ; et les autres se rendent compte que nous pourrissons leur vie avec nos péchés !

Ce texte ne parle donc pas d’une punition éventuelle de Dieu pour les contrevenants à sa Loi, punition dans ce monde ou dans l’autre. Il met simplement en évidence une règle élémentaire : tous nos actes ont des conséquences, mais attention, pas pour déterminer la place qui nous sera attribuée dans l’éternité mais pour déterminer la qualité de notre vie et de la vie que nous faisons mener aux autres ici-bas. Dans l’épitre aux Romains, Paul aura cette formule choc : le salaire du péché, c’est la mort ! (Rm 6,23) Oui, le péché nous fait mourir à petit feu et fait aussi mourir les autres à petit feu, nous leur pourrissons la vie avec nos péchés. Ce n’est pas une punition de Dieu, c’est la conséquence logique de nos actes. Ça semble bien évident, pourtant il y a des moments où nous avons du mal à l’admettre. Nous aimerions pouvoir pécher tranquillement sans que nos péchés n’aient aucune conséquence. Et, quand nous mesurons la gravité de nos péchés, nous aimerions pouvoir faire appel à une miséricorde magique qui rembobinerait le film pour le faire reprendre avant que nous n’ayons commis le péché. Eh bien, ça, ce n’est pas possible. Et n’allons pas faire porter le chapeau à Dieu ! C’est bien ce que dit le texte : Vous dites : La conduite du Seigneur n’est pas la bonne. » Écoutez donc, fils d’Israël : est-ce ma conduite qui n’est pas la bonne ? N’est-ce pas plutôt la vôtre ?

Cet enchainement de conséquences liées à nos actes, c’est bien ce que Jésus laisse entendre dans l’Evangile : « Mets-toi vite d’accord avec ton adversaire pendant que tu es en chemin avec lui, pour éviter que ton adversaire ne te livre au juge, le juge au garde, et qu’on ne te jette en prison. Amen, je te le dis : tu n’en sortiras pas avant d’avoir payé jusqu’au dernier sou. » Avant d’entrer dans le commentaire de l’Evangile, je veux juste répondre à une question que nous pourrions nous poser : alors, à quoi sert la miséricorde dans ce contexte ? La miséricorde ne pourra jamais empêcher que nos actes mauvais aient des conséquences, elle n’est pas magique et ne peut pas effacer ce que j’ai fait et qui a pu me blesser, blesser les autres et, bien sûr, blesser le Seigneur. La miséricorde, elle va interrompre cette descente aux enfers que je suis en train de vivre et que je peux faire vivre aux autres à cause de mon endurcissement dans le péché. La miséricorde, elle vient ouvrir un chemin de vie là où l’enfermement semblait devoir conduire inéluctablement à la mort. La miséricorde me saisit pour que je ne dégringole pas plus bas et elle me donne la force de me remettre en route. D’où la nécessité de recevoir, au moins de temps en temps, le sacrement de la réconciliation.

Dans l’Evangile, il sera encore question de miséricorde, mais de miséricorde à demander au frère quand il m’est arrivé de me mettre en colère contre lui. Avant de commenter la démarche que Jésus nous invite à faire, j’aimerais dire un mot sur la colère puisque c’est de colère qu’il s’agit dans ce texte.

La colère, les psys nous apprennent que c’est un sentiment, ça signifie qu’en tant que telle, elle n’est ni bonne, ni mauvaise. Ce qui va faire que la colère devient un péché, en effet, elle fait partie des 7 péchés capitaux, c’est la manière dont je vais la traiter et l’exprimer. Rappelons-nous l’histoire de Caïn, il a tellement mal géré sa colère qu’il en est venu à tuer son frère. Voilà ce que dit St Thomas d’Aquin à propos de la colère, ça pourrait bien vous étonner : « le manque de passion de colère est un vice. » Pour St Thomas, ce n’est donc pas la colère qui est un péché, mais son absence ! Alors évidemment, il faut remettre cette phrase dans son contexte parce qu’autrement, elle pourrait justifier tous nos débordements ! St Jean Chrysostome avait déjà dit quelque chose de semblable qui complète bien la citation de St Thomas : « celui qui ne se met pas en colère quand il y a une cause pour le faire commet un péché. » Oui, il y a des causes qui doivent nous mettre en colère. Par exemple, le fait que toutes les 12 secondes un enfant meurt de faim dans le monde, ça doit nous mettre en colère, ça doit nous révolter. Ce que subissent nos frères en Ukraine, ça doit nous mettre en colère et nous pousser à réagir … hélas, face à toutes ces injustices, nous restons souvent spectateurs. Et voilà bien le problème, ce qui devrait me mettre en colère et me pousser à réagir me laisse indifférent, alors que ce qui est finalement assez futile va souvent me mettre en colère. Je ne donne pas d’exemple, à chacun de nous de voir ce qui le met en colère, au moins intérieurement, et que chacun de nous puisse s’examiner en se demandant : est-ce si essentiel que ça ? C’est bien de cette colère futile et répétitive dont Jésus veut parler dans cet Evangile.

Quand je me mets en colère contre un frère pour des bricoles, je peux le blesser profondément parce que mes mots, dans ces situations, sont rarement ajustés. En plus, je peux réveiller chez lui de vieilles blessures qui vont le conduire à le dévaloriser. Je peux aussi faire naître chez l’autre de la rancune à mon égard. Vous le voyez, ce mécanisme de la colère futile est terrible parce que c’est moi qui comment le péché dans ma manière de réagir et c’est l’autre qui va trinquer, c’est l’autre que je plonge dans la misère et parfois-même le péché ! Eh bien, Jésus nous demande de rétablir la justice : tu as péché, va demander pardon pour ne pas laisser ton frère dans une situation épouvantable. « Si, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande, là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère. » La formule semble étonnante, Jésus ne dit pas : si tu as fait quelque chose de mal à ton frère, il dit : Si ton frère a quelque chose contre toi. Mais ça revient au même, car, en principe, si ton frère a quelque chose contre toi, c’est que tu l’as offensé ! Eh bien, parce que c’est ton frère et parce que c’est toi l’offenseur, tu ne peux pas le laisser dans cette situation où il va broyer du noir. Tu t’es mis en colère contre ton frère ne rajoute pas du péché au péché en le laissant baigner dans cet horrible jus du ressentiment.

Et cette injonction, Jésus la place dans le cadre de la prière liturgique, il explique que c’est au moment où tu vas présenter ton offrande qu’il faut penser à faire cette démarche. Pour nous qui lisons le texte, c’est évidemment à la messe qu’il nous faut penser. Comment participer tranquillement à la messe si nous avons chargé un frère du poids de notre colère ? Est-ce que nous nous demandons comment le frère que nous avons blessé peut vivre la messe avec tout ce que nous lui avons dit ? En son temps, Benoit XVI avait demandé d’étudier la possibilité de déplacer le geste de paix au moment de l’offertoire comme ça se fait dans certains rites. Lui, il visait surtout à ne pas trop apporter de distractions, juste avant le moment si sacré de la communion. Mais, en dehors de cette préoccupation, ça aurait permis de répondre à l’injonction de Jésus qui nous dit : laisse ton offrande, là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère ! Ça ne s’est pas fait et c’est sans doute regrettable. Alors, puisque nous ne pouvons pas le faire pendant la messe, tâchons donc de le faire avant la messe !

Cette publication a un commentaire

  1. Franchellin

    Le pardon étant la première démarche de la réconciliation.
    « l’autre » a cette liberté de recevoir ou de refuser mon pardon. Je ne suis pas maître de sa réponse. Pour qu’il y ait réconciliation il faut l’acceptation de la demande de pardon. J’ai bien compris cela lorsque j’étais aumônier de prison,et suggérais aux personnes détenues de faire cette démarche.

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