On estime que Moïse a vécu vers 1200 avant Jésus. Avec lui, on n’est pas tout à fait au début de la Révélation, puisqu’elle a commencé, quelques siècles avant, avec Abraham. Mais malgré tout, on n’est encore pas très avancé. Et pourtant, alors qu’on est dans les débuts et qu’on est donc loin d’avoir tout vu, vous avez entendu l’émerveillement de Moïse dans la 1° lecture, un émerveillement que je peux résumer ainsi : des dieux, il n’y en a pas deux comme toi ! Oui, parce que vous savez le monothéïsme, cette foi en un Dieu unique, pour s’installer dans les cœurs, il lui aura fallu du temps et il y a eu toute une phase au cours de laquelle on continuait à reconnaître l’existence de plusieurs dieux mais avec une supériorité absolue du Dieu qui s’est révélé à Abraham. Du coup, quand on parlait de Dieu unique, ce n’était pas encore pour dire qu’il n’y avait pas d’autres dieux, mais que Dieu, le Dieu qui s’est révélé à nos pères, était absolument unique, il avait une manière unique d’être Dieu. Un peu comme on dit d’un enfant qui fait une pitrerie qui amuse tout le monde : alors toi, tu es vraiment unique. Cet enfant à qui l’on dit cela peut avoir des frères et sœurs, mais ça n’empêche pas qu’on lui dise qu’il est unique dans le sens qu’il a une manière unique, si particulière, si géniale de nous faire rire ! La foi au Dieu unique a commencé comme ça et c’est un peu ce que laisse entendre la 1° partie du texte : ce que Dieu a fait pour son peuple, aucun des dieux n’a été capable de le faire pour ses adorateurs.
Et puis, la fin du texte semble initier une bascule qui conduira à l’affirmation beaucoup plus nette du monothéisme, non seulement Dieu, le Dieu révélé a une manière unique d’être Dieu, mais en plus, il est vraiment unique, c’est-à-dire qu’il n’y en a pas d’autres ! Je relis la fin de la 1° lecture : Sache donc aujourd’hui, et médite cela en ton cœur : c’est le Seigneur qui est Dieu, là-haut dans le ciel comme ici-bas sur la terre ; il n’y en a pas d’autre. Comme nous le voyons, au cours de la Révélation, il y a eu des évolutions dans la Foi, dans la formulation du contenu de la Foi. C’est que le cardinal Newman a si bien mis en valeur en écrivant son essai sur le « principe du développement de la doctrine dans l’Eglise chrétienne. » On peut dire que ce que je viens d’évoquer fut une 1° phase décisive de l’élaboration de la doctrine avec ce passage d’un dieu supérieur aux autres, unique dans sa manière d’être dieu et de se comporter vis-à-vis de son peuple, au Dieu unique avec l’affirmation claire du monothéisme. Il y aura encore une autre phase décisive, c’est l’affirmation que Dieu est bien unique mais pour autant qu’il n’est pas solitaire et c’est l’affirmation de la Trinité. Un théologien, le père Jean-Noël Bezançon, qui aimait bien présenter simplement les choses compliquées avait écrit ce beau livre sur la Trinité qui portait justement ce titre évocateur : « Dieu n’est pas solitaire ! » Dieu est dialogue d’amour, Dieu est communion d’amour.
Le problème, c’est que, pour beaucoup de chrétiens, la Trinité reste une équation insoluble : comment est-ce possible que 3=1 ? Tant que nous aborderons la Trinité comme un problème à résoudre, nous aurons bien des difficultés car, de fait, en tant que problème, l’équation est insoluble. En son temps, un célèbre philosophe avait invité à bien faire la distinction entre problème et mystère. Un problème, on s’en tient à distance pour essayer de le résoudre. C’est ce qu’on fait avec un problème de maths ou de physique. On essaie de prendre de la distance pour découvrir quelles sont les bonnes règles qui vont me permettre de parvenir, étape après étape à la solution. Si on agit comme ça avec la Trinité, j’ai envie de dire, on est foutu, on n’y comprendra jamais rien, le risque qui se profile, c’est que plus on cherchera à comprendre plus on sera perdu ! Le mystère, il faut au contraire entrer dedans. Je ne dis pas que plus j’entre dedans et mieux je le comprends, mais plus j’entre dedans et plus je goûte sa saveur. Ainsi en va-t-il pour la Trinité.
C’est d’ailleurs la mission que Jésus confie à ses apôtres, nous l’avons entendu dans l’Evangile : « Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. » Pour que les hommes deviennent des disciples, Jésus ne dit pas à ses disciples : allez et expliquez-leur en détail le sens de la périchorèse qui est l’un des chapitres de l’étude de la Trinité en théologie ! Ce mot compliqué que j’ai déjà prononcé pour favoriser la victoire des amateurs de scrabble, il parle de la manière dont sont unis les personnes au sein de la Trinité. Je m’excuse, mais j’ai envie de dire : on s’en fiche pas mal ! C’est pourquoi, Jésus dit : baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. C’est-à-dire, littéralement, si je traduis le verbe grec utilisé : plongez-les dans l’amour du Père, du Fils et du Saint-Esprit. C’est pas grave s’ils ne comprennent pas comme sont unies ces personnes au point qu’être trois ne les empêchent pas d’être un Dieu unique. C’est pas grave et même on s’en fiche un peu ! Mais ce qui serait grave, c’est qu’elles ne puissent pas goûter à l’amour, alors baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, c’est-à-dire : plongez-les dans l’amour qui unit le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Permettez-leur de faire cette expérience inouïe que Dieu veut aimer chacune de ses créatures de l’amour-même qui circule au sein de la Trinité. Le but n’est pas de comprendre, mais de plonger, de goûter à l’amour bienfaisant, même si je n’arrive pas à comprendre comment ça marche ce 3=1 ! Pour bien me faire comprendre, je donne une image.
Imaginez, nous sommes en été, en pleine canicule, vous transpirez comme pas possible et vous êtes chez des amis qui ont une piscine avec des reflets bleutés. Ils vous invitent à faire un plongeon pour vous rafraichir et vous délasser. Et vous, vous leur dites, non, je m’excuse, je ne vais pas le faire parce que voyez-vous, il y a un problème qui me hante : je n’arrive pas à percer un l’énorme problème de la composition de l’eau. Je sais que l’eau, c’est H20, c’est-à-dire qu’une molécule d’eau associe deux atomes d’hydrogène et un atome d’oxygène, mais je n’arrive pas à comprendre comment ces 3 atomes tiennent ensemble et tant que je n’aurai pas compris, non, vraiment, je ne peux pas profiter de l’eau ! Si vous étiez assez fou pour tenir de tels propos, j’espère que vous amis vous diraient : eh bien, réfléchis, nous on plonge ! Et j’espère aussi qu’à force de les entendre dire que ce bain fait tellement de bien, vous laisseriez le problème pour plonger avec eux, même sans avoir compris et qu’enfin vous seriez dans la joie d’avoir goûté à ce bain si bienfaisant.
C’est un peu ce que nous avons vécu dans cette semaine de retraite avec ce titre : il est grand le mystère de la Foi ! C’était une invitation à plonger. Peut-être que certaines petites choses de la foi se sont éclairées en cours de semaine, mais ce n’est pas le plus important. Le plus important, c’était de plonger dans ce mystère d’amour. Au début de la retraite, je vous avais cité cette parole de St Ignace de Loyola, le fondateur des jésuites. Vous savez que les jésuites sont des personnes très intelligentes et qui font de grandes études, eh bien Saint Igance disait : « Ce n’est pas d’en savoir beaucoup qui rassasie et satisfait l’âme, mais de sentir et de goûter les choses intérieurement. » Oui, j’espère vraiment que vous avez plongé dans ce bain d’amour trinitaire car la Trinité est un bain d’amour et c’est pour cela que Jésus dit que nul ne peut devenir disciple s’il n’est plongé dans ce bain d’amour. A vous maintenant de donner envie à ceux qui vous entourent de plonger. Mais attention, n’allez pas les bassiner en leur racontant par le détail ce que vous avez vécu, ça aurait l’effet inverse ! « Ne parle de Dieu que lorsque l’on t’interroge mais vis de manière à ce que l’on t’interroge souvent. » Enfin je termine en vous invitant encore à vous méfier du voleur de grâce qui va rôder, c’est sûr ! Quand vous le sentirez trop près, plongez dans l’amour trinitaire, lui il craint cette eau-là !