4 avril : Mardi de la semaine sainte. Dieu ne nous fera jamais taire !

Hier, aujourd’hui, demain et vendredi, les premières lectures seront tirées du livre d’Isaïe. Peut-être est-il bon de rappeler pour ceux qui n’ont pas de grandes connaissances bibliques qu’il y a 3 parties dans ce livre qui va relater des événements se déroulant sur plus de 200 ans. Il est donc impossible qu’un même homme ait pu écrire la totalité de ce livre. Mais, comme le livre est assez unifié, selon un usage courant à l’époque, on a regroupé sous un même nom des écrits provenant de plusieurs personnes. La 1° partie du livre parle d’événements qui ont eu lieu avant l’Exil à Babylone, c’est-à-dire un peu avant 587 ; la 2° partie évoque les événements qui ont eu lieu pendant l’Exil, c’est-à-dire entre 587 et 537 ; et la 3° partie évoquera des événements datant d’après l’Exil. Les dates que j’ai données ne sont pas à couper au couteau, il y a une marge d’incertitude ! Les lectures de ces jours saints font partie de la 2° partie, on a pris l’habitude de les appeler : les chants ou les poèmes du serviteur. Hier, nous avons lu le 1° de ces chants aujourd’hui, nous lisons le 2°, mercredi, le 3° et le 4°, qui est le plus long, sera lu vendredi. 

Il y a toujours plusieurs niveaux de lecture de ces textes. Le 1° niveau est un niveau historique, Isaïe ou du moins ce disciple qui écrit sous son nom, au temps de l’Exil, donne un écho de la vie, et aujourd’hui du découragement du Peuple de Dieu. Dans ce niveau de lecture, c’est donc le Peuple qui prend le visage de ce mystérieux serviteur de Dieu. Le texte commence par rappeler le choix de ce peuple, c’est ce qu’on appelle l’élection, le choix de Dieu faisant de ce peuple, le peuple élu par la bienveillance extrême et gratuite de Dieu le comblant de ses bienfaits. Mais voilà, en Exil, il n’y a plus rien sinon l’impression d’un grand vide, d’une grande absence si bien exprimée dans ce verset : « Et moi, je disais : Je me suis fatigué pour rien, c’est pour le néant, c’est en pure perte que j’ai usé mes forces. »

Mais, évidemment, dans cette semaine sainte, nous pouvons et même nous devons lire ces textes à un 2° niveau de lecture qui sera une lecture christologique, dans ce niveau de lecture, c’est le Christ qui prend le visage de ce serviteur. Je ne développerai pas ce niveau aujourd’hui, il y aura d’autres occasions de le faire soit dans une messe, soit dans un enseignement. On peut aussi lire avec un 3° niveau qu’on pourrait qualifier d’existentiel, c’est-à-dire que lorsque je lis ces versets, je peux reconnaître mon expérience ou l’expérience de mes proches dans ces versets. Et c’est sur ce niveau que j’aimerais insister aujourd’hui. 

Il n’est pas impossible qu’à un moment ou à un autre de notre vie, nous puissions expérimenter ce qui est évoqué dans ces versets, c’est à dire l’impression d’un grand vide, après avoir été, pourtant, comblés par l’amour de Dieu. Nous aussi nous avons pu dire avec enthousiasme : « J’étais encore dans le sein maternel quand, Seigneur, tu m’as appelé ; j’étais encore dans les entrailles de ma mère quand tu as prononcé mon nom. » Quelle joie de pouvoir se dire que du plus loin que je puisse remonter dans ma vie, je découvre l’amour prévenant du Seigneur. Ce qui ne veut pas forcément dire que j’ai tété la foi avec le sein maternel, mais que, même loin de Dieu, sa main me conduisait quand même, il me guidait pour que je n’aille pas trop loin sur le chemin de perdition. Et puis patatras, plus rien ! Parfois, cette sensation de vide vient s’installer après une période de médiocrité ou au moins de tiédeur, mais parfois, il n’y a rien d’objectif qui puisse expliquer cela, alors on a, nous aussi envie de lui crier : « Est-ce pour rien que je me suis fatigué ? Est-ce pour le néant ? Est-ce en pure perte que j’ai usé mes forces. »

Ce que je trouve admirable dans ce texte et plus largement dans les Ecritures, c’est que Dieu ne fait jamais taire ceux qui viennent vider leur sac auprès de lui. Dieu ne coupe jamais la parole à celui qui lui fait des reproches en lui disant : tais-toi, impertinent, tu parles à ton Dieu ! Les psaumes sont remplis de ces très longues plaintes que le Seigneur accepte d’écouter jusqu’au bout. Sans nous faire taire. D’ailleurs, si les oreilles de notre cœur étaient plus affinées, nous pourrions l’entendre sangloter quand nous lui disons cela. Dieu sanglote parce qu’il souffre de notre souffrance, parce qu’il est profondément atteint par ce qui nous atteint et nous blesse si douloureusement.

Et puis Dieu sanglote aussi parce qu’il se rend compte que nous n’avons encore pas compris que, non seulement, il n’est pas à l’origine de nos souffrances, mais qu’il était à nos côtés pour porter avec nous ce qui était trop lourd pour nous. Nous connaissons tous le fameux texte des traces de pas sur le sable qui montre que dans les moments les plus terribles de notre vie, Dieu nous portait ! Si vous ne connaissez pas ce merveilleux texte, il doit exister en carte postale à la librairie. Dans les jours qui viennent nous allons méditer sur la passion, cette folie d’amour de Jésus, qui acceptera de se laisser écraser par sa croix afin qu’aucune de nos croix ne vienne nous écraser.

Alors, n’hésitons pas quand nous n’en pouvons plus à crier vers lui, jamais il ne nous fera taire ! Osons croire que c’est lorsque nous traversons des épreuves, des galères que Dieu veut se faire le plus proche. Même notre péché ne l’éloignera pas puisque nos misères attirent sa miséricorde. Ecoutons-le nous dire qu’il garde toujours un grand projet « C’est trop peu que tu sois mon serviteur pour relever les tribus de Jacob, ramener les rescapés d’Israël : je fais de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre. »

Venons-en à l’évangile, j’aimerais souligner 3 points qui ont retenu mon attention.

Le 1° point, c’est le fait que la participation à ce dernier repas, si important pour Jésus, ne s’est pas faite sur invitation : Il y a tous les apôtres. Jésus n’a pas fait une petite réunion avant ce dernier repas pour dire : écoutez, ce qui va se passer est très important, si vous n’avez pas l’âme bien propre, si vous n’avez pas la conscience bien tranquille, si tous vos projets ne sont pas très clairs, il serait préférable que vous ne veniez pas ! Non, ils sont tous là même Judas qui va le livrer, même Pierre qui va le renier par 3 fois.  Jésus n’a pas écarté ceux qui, par leur comportement, allaient comme le poignarder dans le dos … et heureusement parce qu’autrement, il y a un certain nombre de jours où nous pourrions bien être écartés de la table eucharistique !

Le 2° point, c’est que non seulement Jésus ne les écarte pas, mais, en plus, il est d’une infinie délicatesse avec eux. Pierre n’a pas le courage d’interroger Jésus pour lui demander le nom du traitre, il fait intervenir Jean et c’est à Jean que Jésus répond, peut-être que Pierre n’a même pas entendu sa réponse, d’autant plus que Jésus ne donne pas de nom. Mais ce que je veux surtout souligner, c’est le fait que Jésus n’arrête pas le repas pour dire tout fort : Jean me pose une bonne question, je vais répondre pour que vous soyez tous bien au courant ! Non ! Notre péché, jamais le Seigneur ne le criera sur les toits, et il en sera de même pour nos pires trahisons, jamais il ne le fera. D’où l’importance du secret de la confession pour lequel chaque prêtre doit être prêt à donner sa vie. C’est l’exemple de Jésus que nous suivons dans cette règle. Avec Judas, il restera jusqu’au bout d’une délicatesse extrême. Il devait se demander comment quitter le repas sans éveiller quelques doutes. Alors, c’est Jésus qui, avec sa parole, lui sert cette occasion comme sur un plateau. De même, l’annonce du reniement de Pierre, je suis sûr que Jésus ne l’a pas faite à la cantonade ! Ces paroles ont dû être prononcées d’homme à homme et pas sous une forme de reproche mais avec le secret espoir que Pierre, réalisant qu’un homme averti en vaut 2, soit vigilant.

Le 3° point, c’est que j’aime que soit évoqué, dans un même texte, le péché de Judas et le péché de Pierre. Parce que, finalement, ils sont équivalents, surtout si on rapporte chacun de ces péchés à celui qui les commet. Le péché de Pierre en tant que chef des apôtres, même s’il est objectivement moins grand que celui de Judas, revêt un caractère plus grave, précisément parce qu’il est commis par le chef. Ce qui va faire la différence, c’est que Pierre aura la chance de croiser le regard de Jésus juste après son péché et qu’il n’a pas fui ce regard. Mais ce fut une vraie chance pour Pierre que Jésus sorte juste après son péché, s’il y avait eu un trop grand laps de temps, qu’aurait-il fait ? Gardons bien cette leçon gravée dans nos cœurs, ne laissons pas trop de temps entre notre reniements-trahisons qui s’expriment dans nos péchés et le moment où nous allons chercher le regard de sa miséricorde. Et ne jugeons jamais les grands pécheurs, rappelons-nous plutôt cette parole de St Augustin qui disait lucidement : « Si Dieu me retirait sa grâce, je deviendrai capable de faire tous les péchés ! »

Laisser un commentaire