Elle est terrible cette relecture que les hébreux font de cet épisode de désobéissance au cours de la traversée du désert. Des épisodes de désobéissance, il n’y en a pas eu qu’un ! Pensons à ce qu’évoque le psaume invitatoire de l’office de Laudes que nous chantons de temps en temps en utilisant cette belle formule : ne fermez pas vos cœurs comme à discorde. Oui, des épisodes de discorde, il y en a eu pas mal, mais dans cet épisode, ce qui est terrible, c’est la relecture qui en est faite : En chemin, le peuple perdit courage, il récrimina contre Dieu et contre Moïse. Alors le Seigneur envoya contre le peuple des serpents à la morsure brûlante, et beaucoup en moururent dans le peuple d’Israël. Nous avons mal agi, Dieu a puni, nous avons eu ce que nous méritions, mais quand même, la mort est une punition démesurée, alors nous faisons profil bas et demandons à Moïse d’apaiser le courroux divin.
Ça, c’était, il y a environ 3200 ans, depuis il y a beaucoup d’eau qui a coulé sous les ponts ! Oui, mais, en fait, rien n’a vraiment changé pour beaucoup de personnes qui sont persuadées, quand il leur arrive un malheur, qu’elles sont en train de payer pour une faute. C’est le fameux : qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu pour mériter cela ? Et pour peu qu’on ait dit à ces personnes, quand elles étaient enfants, que Dieu voyait tout, elles risquent de pas mal gamberger pour repenser à tout ce que Dieu aurait pu voir et qui pourrait expliquer leur situation présente. Alors, oui, c’est vrai, Dieu voit tout, le psaume 139 le dit explicitement : Où m’enfuir, loin de ta face ? Je gravis les cieux : tu es là ; je descends chez les morts : te voici. Je prends les ailes de l’aurore et me pose au-delà des mers : même là, ta main me conduit, ta main droite me saisit. Mais nous le savons bien, si Dieu voit tout, ce n’est pas pour nous surveiller mais pour veiller sur nous. Dieu voit tout, c’est le signe qu’il ne jugera jamais sur les apparences comme nous pouvons le faire. Dieu voit tout, c’est-à-dire qu’il voit notre misère, qu’il voit la souffrance dans laquelle nous entraine notre misère. Et Dieu ne voudra jamais rajouter du malheur au malheur en punissant le misérable parce qu’il sait que le méchant est souvent d’abord un malheureux qui a besoin d’être aimé, sauvé.
Des serpents, il n’est pas étonnant qu’il y en ait dans le désert, ce n’est donc pas Dieu qui les a envoyés. La preuve, c’est qu’il va montrer à Moïse que ce qu’il envoie, lui, c’est la guérison. Ce serpent dressé au sommet d’un mât apportera la guérison à ceux qui seront mordus. Jamais nous ne pourrons dire que le malheur et la mort viennent de Dieu. La semaine dernière, je citais déjà cette parole de Marthe Robin, je la redis pour les participants à cette journée pour Dieu parce qu’elle est tellement lumineuse : « La douleur et la souffrance ne vient pas du ciel, mais le secours en vient, le bonheur en est. »
Mais vous aurez bien remarqué comment Dieu va agir. Il ne va pas supprimer les serpents, mais donner un moyen de guérison pour tous ceux qui auront été mordus. Nous, nous aimerions que Dieu puisse supprimer le mal. S’il était à l’origine du mal, il pourrait le supprimer en arrêtant de le faire. Mais Dieu n’est en aucune manière lié au mal, il n’en est pas à l’origine, il ne peut donc pas le supprimer. La toute-puissance de Dieu n’a rien à voir avec des supers pouvoirs, sa toute-puissance est une toute-puissance d’amour. C’est-à-dire qu’il peut tout dans les cœurs qui s’ouvrent à lui. Est-ce que Dieu peut arrêter la guerre en Ukraine ? C’est sûr, nous pouvons prier et même nous devons prier pour qu’elle s’arrête. Mais ce n’est pas Dieu qui à un moment donné dirait : allez ça a assez duré, je fais quelque chose. Un tel Dieu serait ignoble, combien de morts innocents faudrait-il pour qu’il se décide à intervenir ? La guerre s’arrêtera quand ceux qui l’ont déclarée décideront, soit par contrainte, soit par conversion, de l’arrêter. Et nous pouvons prier pour que ce jour vienne le plus vite possible. Nous pouvons aussi prier pour que ceux qui sont victimes ne perdent pas courage, nous pouvons encore et toujours prier pour la conversion des agresseurs et pour que ceux qui les entourent et les conseillent leur fasse entendre raison.
Cet épisode des serpents au désert est donc très riche d’enseignements et nous invite à revoir pas mal de nos manières de réagir spontanément soit en attribuant à Dieu la responsabilité du mal soit en lui attribuant des supers pouvoirs qu’il n’a pas ou, en tout cas qu’il ne veut pas utiliser puisque la toute-puissance qu’il aime développer est une toute puissance d’amour et donc c’est dans les cœurs qui s’ouvrent à lui qu’il peut la déployer. Certes le miracle est toujours possible, mais il reste rare et bien mystérieux ; en revanche, nous ne pourrons jamais compter le nombre de miracles effectués grâce à la conversion de quelqu’un qui se tourne et s’ouvre enfin au Seigneur rendant ainsi possible tout ce qui semblait impossible jusque-là.
Reste qu’à un moment donné, le Seigneur a voulu marquer cette lutte contre le mal par un engagement plus personnel. Vous savez un peu comme quelqu’un qui n’arrive plus à s’en sortir par lui-même aura besoin un jour d’un coup de pouce qui lui permettra de sortir la tête de l’eau. Le Seigneur a compris que nous ne nous en sortirions pas seuls, même avec beaucoup de bonne volonté sachant que cette bonne volonté peut parfois nous faire défaut. Alors, il a envoyé Jésus mener ce combat en notre faveur et remporter la victoire pour nous, c’est ce que nous apprêtons à célébrer dans les jours saints. Désormais, plutôt que d’entretenir ce rêve illusoire de ne plus jamais être victime de la morsure du serpent, nous savons que lorsque nous sommes mordus, nous pouvons nous tourner vers celui qui a accepté d’être élevé sur le mât de la croix en disant comme nous l’avons entendu dans l’Evangile : « Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous comprendrez que moi, JE SUIS. » Inutile de demander ce qu’il est quand il dit « JE SUIS » puisque c’est le nom même de Dieu. C’est donc sur la croix que se manifestera le mieux la Seigneurie du Christ qui est venu pour sauver les hommes. Et donc, à chaque fois, que nous nous tournons vers lui quand nous sommes mordus par le serpent, il nous sauve. C’est ce que nous expérimentons quand nous venons célébrer le sacrement de la réconciliation et c’est pour cela qu’il est bon qu’il y ait dans les lieux de confessions une croix, même petite, qui permette à celui qui a été mordu de lever les yeux vers Celui qui le sauvera à chaque fois qu’il se tournera vers Lui. Et c’est de cette victoire que nous faisons mémoire à chaque Eucharistie, faire mémoire, ce n’est pas se souvenir d’un bienfait, c’est actualiser la grâce qui nous a été obtenue. Voilà donc ce qui se passe à chaque Eucharistie. Il est vraiment grand le mystère de la Foi ! Et, comme aujourd’hui, la plupart d’entre vous, vous vivrez et l’Eucharistie et le sacrement du pardon, on peut dire que vous n’avez pas fait le voyage pour rien !
« La douleur et la souffrance ne vient pas du ciel, mais le secours en vient, le bonheur en est. » Merci pour votre homélie de ce matin à Tressaint. La toute puissance d’amour de Dieu nous rejoint dans notre liberté toute humaine. J’ai été profondément touchée par la grâce donnée lorsque le coeur se convertit. Envoyé au combat par son Père, Jésus vient nous libérer des entraves qui nous maintiennent si fortement à la terre. J.P.