J’ai fait toute ma scolarité en internat, mais il m’arrivait, le week-end, quand j’étais à la maison de faire un peu de travail scolaire. Et quand je faisais une rédaction, ma mère aimait bien la relire. Et elle était intraitable, elle ne supportait pas l’utilisation des « on. » Et alors qu’elle surveillait bien son langage, elle avait une formule bien à elle pour nous dissuader d’employer des « on » mais, comme nous sommes à la chapelle, je ne répèterai pas ce qu’elle nous disait.
Si le traducteur de la version liturgique de l’évangile de Matthieu avait fait relire son texte à ma mère, elle n’aurait pas supporté sa proposition d’aujourd’hui : « Demandez, on vous donnera ; frappez, on vous ouvrira. » Et elle aurait eu bien raison de rouspéter contre le double emploi inapproprié de ce « on. » Parce que, en grec, il s’agit d’un passif, de ce fameux « passif divin. » Il faut donc entendre : « Demandez, il vous sera donné, c’est-à-dire Dieu vous donnera ; frappez, il vous sera ouvert, c’est-à-dire Dieu vous ouvrira » Et au milieu, il y a cette mention, dont la tournure ne fait pas problème : « cherchez, vous trouverez. »
Eviemment, vous le comprenez, l’enjeu est bien plus grand que l’utilisation de la meilleure tournure grammaticale. Parce que ces paroles de l’évangile, quand elles sont mal comprises peuvent provoquer de redoutables crises de foi. Avant d’entrer dans une plus grande maturité de la vie de foi, il a pu nous arriver d’en traverser de ces crises de foi déclenchées par des prières non-exaucées. « Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. » Belles paroles mais qui sont bien loin de se vérifier toujours. Nous prions pour le rétablissement d’un enfant malade ou accidenté et il meurt ; nous prions pour un couple en difficulté et ils divorcent plongeant leur famille dans un profond désarroi. Il a même pu nous arriver d’encourager les personnes traversant ces épreuves à prier en disant : ne vous découragez pas … et alors, nous avons cité ces paroles de l’Evangile. Mais voilà, devant l’échec de ces prières de demande, ils sont nombreux ceux qui ne veulent plus parler au Bon-Dieu, parce qu’ils ne le trouvent quand même pas si bon que ça avec ce qui leur est arrivé !
Quand, d’une part, ces paroles de l’évangile sont bien traduites et quand, d’autre part, elles sont bien comprises, il doit être possible pour ceux qui vivent de graves épreuves et qui crient vers le Seigneur, de ne pas tomber dans une crise de foi tellement profonde qu’elle les détournera de Dieu. En effet, il nous faut d’abord bien entendre ce que Jésus dit parce qu’il ne dit pas : demandez et ce que vous avez demandé vous sera donné ; il ne dit pas : cherchez et ce que vous cherchiez, vous le trouverez ; il ne dit pas non plus : frappez et c’est la porte à laquelle vous frappiez qui vous sera ouverte ! Pourtant, Jésus nous assure, quand même, qu’aucune de nos démarches ne restera sans résultat.
C’est là que le passif divin est important parce qu’il permet de poser plus justement la question et il est toujours plus aisé de donner une réponse pertinente quand la question est bien posée ! Alors, cherchons à comprendre maintenant que nous avons compris que c’est Dieu qui donne : qu’est-ce que Dieu peut donner à tout coup à ceux qui se tournent vers lui pour lui crier leur détresse ?
Qu’est-ce qu’ils vont pouvoir trouver ceux qui cherchent avec détermination ? Quelle porte s’ouvrira pour ceux qui frappent sans se lasser ?
Eh bien, Dieu ne peut pas faire plus, mais il ne veut pas, non plus faire moins que de se donner lui-même et totalement à ceux qui crient vers lui. Ceux qui cherchent, c’est le cœur de Dieu qu’ils trouveront, et donc, pour ceux qui frappent, c’est la porte du cœur de Dieu qui s’ouvrira. Je ne sais pas, je ne comprends pas et il faut que j’ose le dire pourquoi, alors que j’ai tant prié, tant fait prier pour la guérison d’un enfant, il est mort. Je ne sais pas, mais je sais, pour autant, que Dieu n’est pas resté sourd.
Rappelons-nous cette rencontre si émouvante du pape François avec des enfants du centre ouvert par le père Matthieu Dauchez à Manille. Le père Dauchez était venu parler aux jeunes des écoles au 1° trimestre, il avait passé la vidéo si émouvante de cette rencontre où des enfants demandent au Pape, avec des larmes dans la voix : pourquoi tant d’enfants doivent-ils supporter tant de souffrances ? Et le pape leur a répondu, lui aussi, avec beaucoup d’émotion dans la voix : vous avez posé la seule question pour laquelle il n’y a pas de réponse ! Mais il ne s’est pas contenté de dire cela, il est allé vers eux et il a pris ces enfants dans ses bras et les a étreints longuement.
Cette attitude du pape, la vie donnée du père Dauchez et de tant d’autres témoins nous permet de comprendre que c’est bien vrai : à ceux qui crient vers lui, Dieu répond en se donnant lui-même. Ceux qui cherchent, c’est le cœur de Dieu qu’ils trouveront, et donc, pour ceux qui frappent, c’est la porte du cœur de Dieu qui s’ouvrira. Si personne ne rejoignait ces enfants et, de manière plus large, ceux qui souffrent, ils pourraient légitimement penser que Dieu ne répond pas. Mais ces enfants de Manille, par exemple, voient un prêtre qui a tout quitté pour eux, pour les aimer. Il avait pourtant tout pour être tranquille, il venait de Versailles, un diocèse de France qui ne manque de rien, ni de vocations, ni de chrétiens, ni d’argent et il a tout quitté pour les rejoindre. A travers la vie donnée du père Matthieu, c’est Dieu qui se donne à ces enfants de la rue qui crient vers lui, c’est la porte du cœur de Dieu qui s’ouvre pour eux qui ont été abandonnés, rejetés.
Comme il est bon d’avoir des figures si lumineuses dans notre Eglise, elles nous encouragent, nous, ici, car, même si ce n’est pas comparable, bien des retraitants arrivent en connaissant des situations de souffrance, des membres de Foyer peuvent aussi traverser des moments plus difficiles et c’est aussi vrai pour un certain nombre de jeunes des écoles qui, en apparence, font partie d’une frange très privilégiée. Nos vies données dans les Foyers de Charité sont la réponse de Dieu à ceux qui crient vers lui. C’est par nos vies données que Dieu se donne aujourd’hui à eux, en avons-nous assez conscience ? Quel visage offrons-nous aux retraitants, aux jeunes, aux autres membres ? Est-ce vraiment un visage dans lequel, ils peuvent lire Dieu à livre ouvert ? Vous connaissez sans doute la petite maxime qui dit qu’on n’est pas responsable de la tête qu’on a mais qu’on est responsable de la tête qu’on fait ! Par notre disponibilité pour les accompagner d’une manière ou d’une autre, pour prier pour eux, notamment dans la prière des frères, par notre qualité de présence, même dans le silence, permettons-leur de croire que la porte du cœur de Dieu est déjà ouverte pour eux. Voilà un bel effort de carême !
Merci pour votre homélie de ce matin, Père.
Cela sonne tellement juste.
Magnifique !
merci pour votre merci !