6 avril : Marie-Madeleine … un nom qui, à lui seul, en dit long !

Comme vous le savez chaque jour de cette octave de Pâques, c’est encore Pâques ! Dans la prière Eucharistique, quelle que soit la prière choisie, le prêtre mentionne l’aujourd’hui de la résurrection. L’Eglise est bonne avec nous, elle a compris que ce mystère était si grand qu’il nous faudrait bien une semaine pour le goûter comme il se doit. C’est pour cela que, chaque jour de cette octave, les textes d’Evangile que nous entendons se passent le jour de la résurrection. Le texte d’aujourd’hui est donc la suite de celui de dimanche, je rappelle les faits pour que nous puissions raccrocher les wagons, dimanche avec l histoire de ce pauvre Boukharine, je n’avais pas commenté cet Evangile. 

De bon matin, alors qu’il faisait encore nuit, Marie-Madeleine qui ne supportait plus le confinement du sabbat sort pour se rendre au tombeau, en arrivant, de loin, elle voit la pierre roulée, elle n’avance pas plus et retourne voir les apôtres pour leur annoncer qu’on a enlevé le corps du Seigneur. C’est étonnant parce qu’elle fait cette annonce alors qu’elle n’est pas entrée dans le tombeau. Pierre et Jean fonce au tombeau et constatent, de fait, qu’il est vide. Le texte s’arrêtait là en nous laissant entendre que Pierre et Jean ne croiront pas aussi vite l’un que l’autre. Et aujourd’hui, nous retrouvons Marie-Madeleine en lisant la suite. Mais il y a un trou, un silence de l’Evangile. Qu’avait-elle fait Marie-Madeleine après avoir annoncé la nouvelle aux apôtres ? Etait-elle restée un moment avec le groupe apostolique pendant que Pierre et Jean s’étaient rendus au tombeau, profitant de la présence de Marie pour obtenir un peu de consolation ? Les avait-elle suivis ? Nous ne savons pas, toujours est-il qu’un peu après, on ne sait pas combien de temps après, elle se retrouve à nouveau au tombeau.

Personnellement, j’aime bien ces trous silencieux de l’Evangile qui nous permettent de nous y engouffrer pour développer notre propre méditation. C’est d’ailleurs comme ça que quelqu’un ou quelqu’une peut finir par écrire un livre, c’est en habitant ces grands espaces ouverts que sont les silences de l’Evangile. Dans les Exercices, Saint Ignace invite justement, par la technique de méditation qu’il propose, à mettre son imagination au service de la méditation. Il savait bien que, lorsqu’on prie, l’imagination qualifiée par certains comme la folle du logis, nous joue des tours en nous emmenant souvent sur le chemin côtier alors qu’il faudrait rester devant le Saint-Sacrement ! Eh bien, dit Ignace, plutôt que de chercher à faire taire l’imagination qui ne se taira jamais, mettons-la plutôt au travail, mais de manière cadrée pour nous aider à approfondir la méditation en demandant au Saint-Esprit de nous parler à travers elle. Soi-dit en passant, c’est exactement ce qui se passe dans les images que nous donnons au cours des temps de prière. Mais revenons au sujet ! Et, puisqu’il y a un trou silencieux de l’Evangile, faisons travailler notre imagination pour reconstituer les faits et gestes de Marie-Madeleine. Une dernière précision quand même, nous pouvons tous faire ce type de méditation à deux conditions : 1/ que ce que nous imaginons reste conforme à la cohérence des Evangiles et 2/ que nous n’imposions pas les vues de notre imagination comme vérité révélée ! Je ne vais donc que vous proposer ce que mon imagination, travaillée par le Saint-Esprit, je l’espère, m’a suggéré !

D’abord, j’aime imaginer que Marie-Madeleine, quand elle est partie au tombeau, la première fois et qu’il faisait encore nuit, elle est partie alors que tout le monde dormait. Oh, le sommeil avait souvent été long à venir ! Comment dormir après tous ces événements ? Comment dormir avec le poids de culpabilité d’avoir abandonné le Seigneur au moment où il aurait eu le plus besoin de la présence de ses apôtres ? Mais vous le savez bien, quand on tourne et retourne toute la nuit dans son lit sans trouver le sommeil, c’est au petit matin qu’il arrive, juste quand le réveil va sonner ! On peut donc penser qu’elle est partie quand tout le monde dormait et qu’elle les trouve encore endormis quand elle revient leur annoncer qu’on a enlevé le corps du Seigneur.

Alors, je trouve très beau cette attitude de Marie-Madeleine qui, en réveillant les apôtres, réveille l’Eglise et bouscule un peu Pierre et Jean en leur disant : mais vous n’allez quand même pas nous laisser comme ça, Jésus nous manque, en tout cas, il me manque, faites quelque chose ! L’homme-prêtre que je suis doit reconnaître qu’il a souvent été réveillé par des femmes et qu’un certain nombre d’initiatives pastorales que j’ai mises en place ou d’attitudes pastorales que j’ai essayé de développer l’ont été grâce à ces réveils salutaires de l’une ou l’autre femme. Peut-être voit-on là l’une des expressions du charisme féminin ?

Ensuite j’imagine volontiers Marie-Madeleine restant un peu là où ils se trouvaient tous. Avait-elle voulu rester ou avait-elle été retenue par Marie, devenue, depuis vendredi, sa mère ? Peut-être bien que Marie n’a pas voulu la laisser repartir tout de suite, parce qu’il fallait que Pierre et Jean assument leur mission et que, elle, Marie-Madeleine, elle retrouve un peu de paix dans les bras silencieux de Marie. Mais, au bout d’un moment, elle y est retournée parce qu’il lui fallait retourner, elle sentait bien qu’il y avait comme un appel pour elle à retourner là-bas. Arrivé au tombeau, elle reste encore un peu loin, elle pleure trop pour oser s’approcher. Et puis elle finit par comprendre que, si elle attend de ne plus pleurer pour oser entrer, elle n’entrera jamais, elle ose donc non pas entrer, mais juste se pencher. Et là, c’est vraiment très beau ce qui se passe.

L’Évangile nous dit qu’elle voit deux anges, pas un ange, mais deux … Eh bien, elle, on a l’impression que ça ne lui fait ni chaud ni froid de voir ces deux anges, alors que c’était sûrement la première fois de sa vie qu’elle en en voyait ! Mais, là, dans le moment, ce ne sont pas des anges qu’elle veut voir, mais Jésus ! Même mort, elle veut voir le corps de Jésus, alors, voir des anges, j’ai presque envie de dire que ça lui fait une belle jambe ! Et là, il y a toute la délicatesse de Jésus qui a compris que Marie-Madeleine avait besoin de le voir, il va donc répondre à l’immense désir du cœur de cette femme. Comme dans la plupart des récits d’apparition, Jésus n’est pas reconnu immédiatement, il faut qu’il parle pour qu’elle le reconnaisse. Oh, il ne fait pas de discours pour essayer d’expliquer que c’est bien lui, que la mort n’a pas pu le garder, non, il ne prononce qu’un seul mot : Marie ! Alors, on imagine bien que dans le ton de sa voix, Marie l’a tout de suite reconnu parce qu’il avait une manière unique de prononcer son nom comme il a une manière unique de prononcer le nom de chacun d’entre nous. C’est pour cela que j’aime tant cette intention de prière que l’on trouve dans un des offices du bréviaire : « prononce le nom qui nous retournera vers toi ! »

Alors, dans sa joie, Marie laisse jaillir ce cri d’affection « Rabbouni » et elle le prend dans ses bras, l’Evangile ne le dit pas, mais la réponse de Jésus le laisse entendre. Ce geste, Jésus ne le condamne pas, mais il suggère à Marie qu’il vient juste trop tôt : « je ne suis pas encore monté vers le Père. » En méditant ce texte, j’ai peut-être compris pour la 1° fois le sens de cette parole ! C’est comme si Jésus disait à Marie : « je comprends ton désir de me serrer dans tes bras, de garder ton cœur près du mien, patience, ça sera bientôt possible … quand je retournerai vers mon Père. » Jésus annonce ainsi que son ascension ne sera pas un éloignement mais au contraire la possibilité offerte à chacun d’avoir désormais une relation unique avec lui, ce que ne permettait pas les contraintes de l’Incarnation. Après son ascension, comme le dira Paul, il sera TOUT en TOUS et donc TOUT dans le cœur de Marie-Madeleine, mais aussi dans chacun de nos cœurs. C’est d’ailleurs pour cela qu’il s’élèvera dans une nuée, nous le savons, dans le Premier Testament, la nuée, c’est le signe de la présence de Dieu qui marche au plus près de son peuple dans son exode. Ainsi donc quand Jésus lui dit : « Ne me retiens pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père » il ne demande pas à Marie-Madeleine de mettre un frein à son désir, il lui annonce que cet immense désir sera très bientôt comblé au-delà de ses espérances. Et ce qu’il dit, là, à Marie-Madeleine, c’est évidemment une promesse qu’il adresse aussi à chacun de nous et c’est ainsi qu’il nous permettra de devenir ces véritables adorateurs en esprit et en vérité qu’il appelait de ses vœux dans son dialogue avec la Samaritaine.

Le cœur rempli par cette promesse, Marie-Madeleine peut entendre la mission que Jésus lui confie de devenir, comme le dira dans cette si belle formule St Hyppolite de Rome, « l’apôtre des apôtres ». En lui confiant cette mission, Jésus révèle déjà que, seuls ceux dont le cœur est habité par un immense désir de rester toujours près de lui pourront devenir des évangélisateurs. Le pape François le redira sur tous les tons dans Evangelii Gaudium reprenant l’intuition qu’avait déjà eue Paul VI quand il écrivait dans Evangelii Nuntiandi : « Les hommes attendent de recevoir la Bonne Nouvelle, non d’évangélisateurs tristes et découragés, impatients ou anxieux, mais d’évangélisateurs dont la vie rayonne de ferveur, qui ont les premiers reçus en eux la joie du Christ, et qui acceptent de jouer leur vie pour que le Royaume soit annoncé. » Eh bien, que Marie-Madeleine intercède pour nous afin que nous devenions ces disciples-missionnaires capables d’évangéliser même en portant un masque.  En effet, quand on a un cœur comme celui de Marie-Madeleine les yeux parlent d’eux-mêmes, ils sont suffisamment pétillants pour toucher le cœur de ceux que le Seigneur met sur notre route.

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