6 juillet : jeudi 13° semaine temps ordinaire. Le sacrifice d’Abraham et nos d’Isaac !

Hier, en commentant la 1° lecture, j’avais insisté sur le fait qu’il est difficile de recevoir sans mettre la main sur le don de Dieu et nous avions été témoins du combat intérieur qu’avait dû mener Sarah, un combat qu’elle a été loin de gagner puisqu’elle a obligé Abraham à renvoyer Ismaël et sa mère, début de longs et douloureux problèmes toujours pas réglés. Aujourd’hui, nous sommes témoins du combat intérieur d’Abraham dans cet épisode qu’on appelle, à tort, le sacrifice d’Isaac. Je dis à tort parce que, d’une part, Isaac n’a pas été sacrifié et que, d’autre part, comme nous allons le découvrir, Dieu ne lui a jamais demandé de le faire, et heureusement ! Soyons clairs, quand on lit ce texte au premier degré, il est impossible à comprendre et Dieu apparait, ce qui est un peu fort, comme n’ayant pas de cœur, donnant raison à ceux qui refusent de lire le Premier Testament en disant que ce Dieu ne les intéresse pas ! Essayons donc de comprendre.

Dieu a vu les dégâts causés par l’attitude de Sarah, je l’ai dit, nous payons encore les conséquences de l’inimitié, et le mot n’est pas suffisamment fort, entre les descendants d’Isaac, le béni et d’Ismaël le banni. Je l’ai expliqué hier, tout cela trouve sa racine dans l’attitude de Sarah qui avait mis la main sur le don de Dieu. Sur ce sujet, Abraham n’était pas en reste. Il est assez facile d’imaginer qu’Abraham devait surprotéger son fils Isaac, en raison de la responsabilité qui pesait sur les épaules de ce fils, devenu celui par qui la promesse de Dieu, promesse d’un peuple nombreux devait s’accomplir. Si Abraham avait eu 4 ou 5 fils, ça aurait été moins compliqué. Mais il n’avait qu’un fils et avec ce seul fils, il devait devenir le père d’une multitude. Alors, on peut imaginer que, dès qu’Isaac jouait, son père était derrière lui pour lui dire : lâche ce bâton, lâche cette pierre, tu pourrais te blesser ! Ne pars pas trop loin pour jouer, tu pourrais faire une mauvais une rencontre … Bref, à longueur de journées, il devait le couver pour être sûr qu’il ne lui arrive rien et que la promesse puisse vraiment s’accomplir. 

D’un point de vue humain, cette attitude d’Abraham peut se comprendre. Mais elle fait problème à Dieu car, finalement, elle révèle un manque de confiance de la part d’Abraham. Il avait déjà eu du mal à croire que Dieu allait lui donner ce fils promis, et, comme le fils ne venait pas, il s’était chargé, sur les conseils de sa femme, d’accélérer l’accomplissement de la promesse en allant coucher avec sa servante. Dieu lui avait fait comprendre que la naissance d’Ismaël n’épuiserait pas la promesse. Alors, quand Dieu a fini par donner Isaac, Abraham a eu peur que Dieu n’assure pas le service après-vente ! Il a eu peur que Dieu ne veille pas sur ce fils, du coup, il l’a fait lui-même pour être plus tranquille ! Et il l’a fait en surprotégeant Isaac.

Vous comprenez maintenant que, lorsque Dieu demande à Abraham de lui offrir son fils, il ne lui demande pas de le tuer, il lui demande, comme on le dit de manière un peu triviale, de lui lâcher la grappe, c’est à dire d’oser la confiance. Ce qui chagrine Dieu, évidemment, ce n’est pas l’attachement de ce vieux père vis à vis de ce fils qui est un cadeau du ciel, Dieu est sûrement ému de voir à quel point le vieil Abraham aime son fils. Mais ce qui chagrine Dieu c’est de voir que cet amour se transforme en un attachement qui va finir par devenir étouffant pour Isaac. D’ailleurs vous aurez remarqué que dans tout ce texte, on ne parle pas de la mère, c’est le père qui est omniprésent, c’est lui qui est devenu étouffant. Après la fête du sevrage, la mère a passé la main au père et le père s’est mis à sur-protéger Isaac. Pour permettre à Isaac d’avancer librement sur le chemin de la vie, pour lui permettre de grandir, de s’épanouir, et pour faire avancer Abraham sur le chemin de la foi, de la confiance, Dieu va donc demander à Abraham de lui offrir son fils. Dieu veut libérer Abraham de ses angoisses permanentes liées à l’avenir d’Isaac et Dieu veut aussi libérer Isaac de ce lien paternel qui devenait étouffant.

Qu’est-ce que Dieu a vraiment demandé à Abraham ? Nous ne le savons pas bien, nous savons juste ce qu’Abraham a compris. Il a compris qu’il fallait qu’il accepte d’offrir son fils en sacrifice. Alors, dans un acte de pure foi, admirable pour une part, il grimpe avec Isaac sur le mont Moriah. Mais Dieu va arrêter son bras pour qu’Abraham ne commette pas l’irréparable car ce n’était pas un meurtre que Dieu demandait, c’était juste un détachement. Vous pourriez me dire, très bien, mais Dieu avait quand même demandé à Abraham de se munir d’un couteau !

Oui, et il fallait bien un couteau, mais pas pour trancher la gorge d’Isaac, pour trancher ce lien étouffant qu’Abraham avait installé entre lui et son fils. Ce lien, je le redis, il empêchait son fils de vivre dans la liberté, de s’épanouir et il ne permettait pas au père, de vivre dans la foi en faisant confiance à Dieu pour le suivi de l’accomplissement de sa promesse. On commence à comprendre que ce n’est pas le sacrifice du fils qui est exigé mais le sacrifice du père ! Il n’y a rien à trancher chez le fils, mais c’est chez le père qu’il y a ce lien à trancher, ce cordon à couper. Les commentaires rabbiniques, pour montrer que cette lecture est bien la bonne, diront : vous voyez quand il s’est agi de trouver un animal pour offrir quand même le sacrifice, ce n’est pas un agneau que Dieu a donné, mais un bélier. L’agneau aurait représenté le fils, le bélier représente le père ! C’est bien le père qui est invité à se sacrifier ou plutôt à sacrifier sa conception déviante de la paternité. Voilà pourquoi il ne faudrait plus appeler ce texte le sacrifice d’Isaac, mais le sacrifice d’Abraham. Si vous voulez continuer à creuser tout cela, vous pourrez lire les excellents livres de la psychanalyste Marie Balmary, des livres très stimulants.

Pour actualiser cette méditation, à la suite d’hier, je nous laisse nous interroger les uns et les autres sur tous les cadeaux que nous avons reçus de Dieu. Quand nous aurons fait une petite ou une grande liste, interrogeons-nous : n’avons-nous pas mis la main sur l’un ou l’autre de ces cadeaux ? Ne couvons-nous pas trop certains de ces dons en les gardant trop pour nous alors qu’ils nous ont été donnés pour le service des frères ? N’avons-nous pas, nous aussi, des liens à couper, des détachements à opérer, des prises de distance à accepter pour laisser Dieu être Dieu en nous ?

Quant à l’Evangile, vous aurez remarqué d’abord que c’est le texte que nous avons reçu hier à la prière ! Hier c’était dans l’Evangile de Marc, aujourd’hui c’est dans l’Evangile de Matthieu, une version plus sobre, il n’est plus question de passage par le toit ! Ce qui est étonnant, dans ce texte, c’est que la personne paralysée sur sa civière qui est au centre du récit ne dit pas un mot ! Alors je nous propose d’imaginer, chacun selon notre tempérament, ce que cet homme et ses porteurs auraient pu dire, particulièrement lorsqu’ils entendent : « Confiance, mon enfant, tes péchés sont pardonnés. » La plupart d’entre nous, nous risquons bien de mettre des paroles de rébellion dans la bouche de l’homme ou de ses compagnons. Même si l’Evangile de Matthieu est plus sobre, on imagine les efforts des porteurs pour amener leur compagnon paralysé. Alors, quand ils entendent : « Confiance, mon enfant, tes péchés sont pardonnés » moi, je les entends dire : tout ça pour ça ! On n’a quand même pas pris tous ces risques pour entendre cette parole, on n’a quand même pas déployé tous ces efforts pour entendre cette parole, nous on veut un miracle et un vrai !

Mais ces paroles ne sont pas dans l’Evangile, elles n’y sont pas parce qu’elles n’ont pas été prononcées ! Il y en a qui vont se rebeller, mais il ne s’agit ni de l’homme paralysé, ni de ses porteurs, ce sont certains scribes. Si Jésus avait tout de suite guéri cet homme paralysé, personne ne se serait élevé contre cette guérison, parce que, là, on n’est pas un jour de sabbat, donc il n’y aurait rien eu à redire. Mais parce qu’il a dit : tes péchés sont pardonnés, alors, les scribes réagissent fort : Celui-là blasphème ! Pardonner les péchés, c’était, en effet, un acte réservé à Dieu. Du coup, on voit mieux que l’homme paralysé et ses porteurs, eux, ils mesurent l’ampleur du cadeau que Jésus vient de faire et c’est pour cela qu’ils restent bouche-bée. Et l’homme paralysé, encore plus que ses porteurs, connaissant son péché, comprend que cette guérison fondamentale était la guérison primordiale, celle dont il avait le plus besoin. En effet, à quoi lui auraient servi des jambes à nouveau fonctionnelles si c’était pour courir plus vite sur le chemin du péché et se détruire et détruire les autres plus rapidement ?

Maintenant qu’il a été libéré du péché, c’est sûr, que cet homme devait aussi rêver de pouvoir retrouver l’usage de ses jambes ! Mais il a apprécié l’ordre dans lequel Jésus a effectué tout cela. Nous demandons tous beaucoup de grâces au Seigneur et il nous arrive parfois d’être déçus parce que nous ne voyons rien venir. Peut-être que le Seigneur a bien agi, mais il a commencé par le plus fondamental ! Or, comme ce n’est pas ce que nous avions demandé, nous avons l’impression qu’il n’a rien fait, rien donné. Esprit-Saint, ouvre les yeux de notre cœur pour apprendre à demander l’essentiel et pour voir le travail de la grâce en nous !

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