Avant de commencer le commentaire de la 1° lecture de ce jour, je fais juste une remarque : le livre s’appelle le livre de Tobie et pour le moment, il n’aura été question que de Tobith, le papa ! Mais rassurez-vous, demain, Tobie entrera en scène ! En tout cas, si la Bible avait voulu nous montrer que nous sommes très marqués par nos parents, elle ne s’y serait pas prise autrement ! Bien avant Freud, les Ecritures nous obligent à revisiter nos relations familiales pour mettre un peu plus de lumière sur nos histoires personnelles. C’est vrai que nous avons tous été marqués par nos relations familiales qui, selon les cas, vont être source d’inspiration pour notre propre manière de nous comporter, nous allons chercher à imiter ce que nous avons admiré chez nos parents. Ou alors, nous allons chercher à nous en démarquer, parfois avec violence, souffrance pour aboutir à un rejet. Mais dans le verbe démarquer, il y a bien le verbe marquer signifiant bien que nous sommes profondément marqués, en positif ou en négatif, par nos histoires familiales. Et ce qui est extraordinaire, c’est que les Ecritures n’ont pas hésité à nous présenter des familles, des parents dysfonctionnels, le livre de la Genèse, de ce point de vue, est éloquent. Toutes les premières familles qui nous sont présentées sont loin et même très loin d’être idylliques, permettant à chacun de pouvoir s’y retrouver même ceux qui ont des histoires très perturbées. La seule famille parfaite, la sainte famille, on ne nous en dit rien, mais absolument rien comme pour nous prévenir qu’il n’y en a eu qu’une et que la nôtre n’appartient pas à cette catégorie, même si elle a pu être bonne car toutes les familles, tous les parents ne sont pas pathologiquement dysfonctionnels !
Après cette remarque, entrons dans la méditation du texte d’aujourd’hui. Nous avions quitté Tobith affrontant les sarcasmes de sa femme qui lui faisait remarquer que sa fidélité scrupuleuse à la Loi était bien mal récompensée et qu’il devrait donc en tirer les conséquences qui s’imposent. Comment réagit Tobith ? Que répond-il à sa femme ? Nous avons la réponse dans le texte d’aujourd’hui qui suit immédiatement, sans versets sautés, le texte d’hier.
Nous avons une première mention qui nous parle de ce que ressent Tobith : la mort dans l’âme, moi, Tobith, je gémissais et je pleurais. Qu’est-ce qui fait pleurer et gémir Tobith ? Qu’est-ce qui fait rentrer la mort dans son âme ? Et il faut entendre cette expression au 1° degré, la suite du texte le montre bien et j’y reviendrai. Est-ce la série d’épreuves qui s’abat sur lui ? Je ne le pense pas, mais vous avez le droit de penser autrement ! Est-ce l’attitude de sa femme et ses paroles si insidieuses ? Je ne le pense pas non plus, même si elles ont un réel impact sur lui. Il me semble que Tobith comprend que sa femme ne puisse pas comprendre. Mais, du coup, il réalise que si sa femme, celle qui est la plus proche de lui, ne le comprend pas, personne ne peut le comprendre et qu’il est plongé dans une solitude terrible. De fait, c’est l’expérience de tous ceux qui souffrent quand ils réalisent, à un moment ou à un autre que personne ne peut vraiment les comprendre. Dans le film, je reverrai toujours vos visages, c’est très bien mis en scène. Dans l’exercice qui est au tout début, l’un des écoutants dit à la personne qui tente d’expliquer ce qu’elle ressent : je vous comprends. Tout de suite le superviseur le coupe et lui dit un peu sévèrement : non, tu ne peux pas comprendre, tu n’es pas à sa place, donc tu ne peux pas comprendre sa souffrance. C’est pour cela que, dans l’accompagnement, il est préférable de dire « j’entends » pour bien marquer qu’on a entendu que quelque chose d’essentiel était en train de se dire, mais on ne peut pas vraiment comprendre. L’histoire de chaque personne est unique et, un jour, la personne qui souffre doit le réaliser et ça va forcément la déstabiliser profondément. Et cela c’est vrai même si la personne souffrante vit dans un entourage bienveillant, ça sera encore bien plus dramatique si l’entourage n’est pas bienveillant. C’est l’expérience de Tobith qui est évoquée avec des mots hyper-réalistes : la mort dans l’âme, moi, Tobith, je gémissais et je pleurais.
Comprenant que personne ne pourra le comprendre et que, dans son cas, de manière bien plus dramatique, personne ne cherche à l’entendre, Tobith se tourne donc vers le Seigneur, dernier recours. Et sa prière va vraiment être un modèle du genre. Je vois comme 3 parties dans cette prière que je voudrais parcourir avec vous.
- 1° partie : Tobith pose un acte de foi. Il ne va pas bien du tout, on va le voir, il ne sait pas s’il va pouvoir tenir longtemps dans ces conditions, alors il se tourne vers celui qui, dans son entourage, semble être le seul qui tient la route, le Seigneur. Il commence donc sa prière par cet acte de foi qui affirme que si tout s’écroule autour de lui, le Seigneur, lui, il tient : Tu es juste, Seigneur, toutes tes œuvres sont justes, tous tes chemins, miséricorde et vérité ; c’est toi qui juges le monde. J’aime bien citer aux retraitants cette parole qu’on trouve dans le livre d’Isaïe : Si vous ne tenez pas à moi, dit le Seigneur, vous ne tiendrez pas ! Is 7,9 Hélas ce n’est pas toujours traduit de manière aussi percutante ! Oui, quand tout semble s’écrouler autour de nous, il est bon de se redire qu’il y en a un qui tient et qui peut nous faire tenir si nous nous accrochons à Lui comme on s’accroche à un rocher pour ne pas se laisser engloutir par la tempête.
- 2° partie de la prière, c’est peut-être celle qui nous pose le plus de questions puisque Tobith va reconnaître qu’il est pécheur et qu’il ne serait donc pas totalement anormal que tout ce qu’il subit soit une punition de Dieu pour ses péchés. Et maintenant, Seigneur, souviens-toi de moi et regarde : ne me punis pas pour mes péchés, mes égarements, ni pour ceux de mes pères, qui ont péché devant toi et refusé d’entendre tes commandements. Tu nous as livrés au pillage, à la déportation et à la mort, pour être la fable, la risée, le sarcasme de toutes les nations où tu nous as disséminés. Et maintenant encore, ils sont vrais les nombreux jugements que tu portes contre moi, pour mes péchés et ceux de mes pères, car nous n’avons pas pratiqué tes commandements ni marché dans la vérité devant toi. Acceptons que la Révélation ne soit encore pas parvenue à son aboutissement ! Nous sommes dans le Premier Testament, il y a encore beaucoup à découvrir sur Dieu, il faudra que Jésus vienne pour révéler ce que les hommes n’auraient jamais pu imaginer ! Là, nous sommes en plein dans ce qu’on appelle la doctrine de la rétribution : Dieu récompense les justes et punit les pécheurs. Eh bien, ce qui est quand même extraordinaire, c’est qu’avec tout le bien qu’il a fait, Tobith ne se classe pas parmi les justes, il reconnait qu’il est pécheur. Quelle humilité !
- 3° partie, c’est un appel au secours très urgent : Et maintenant, agis avec moi comme il te plaira ! La suite de la prière montre le caractère urgent de cette intervention car Tobith n’en peut plus, il a, au sens littéral, comme je le disais, « la mort dans l’âme ». Je le cite, mais il faudrait relire tous ces versets : ordonne que mon souffle me soit repris, pour que je disparaisse de la face de la terre et devienne, moi-même, terre. Pour moi, mieux vaut mourir que vivre. Je trouve extraordinaire qu’on ait, dans la Bible, des paroles qui manifeste une telle force de désespoir. Et ce qui est encore plus extraordinaire, c’est que Dieu ne fait pas taire Tobith en lui disant : quand on est croyant, on ne dit pas de telles choses et on ne les pense même pas ! Eh bien, si ! Et pour que ceux qui ont de telles idées qui leur traversent l’esprit n’en aient pas honte, elles sont dans la Bible. Parce qu’on imagine bien que, ceux qui sont hantés par l’idée de la mort et, soyons clairs, du suicide, ceux-là puissent se demander s’ils peuvent encore se tenir devant Dieu quand de telles idées les habitent en permanence. Dieu n’a pas fait taire Tobith, il ne fera jamais taire ceux qui osent se tourner vers Lui et crier leur désespoir, Dieu peut tout entendre.
Et pour que ce soit bien clair que Tobith n’est pas un cas unique en son genre, juste après sa prière, nous entendons la prière d’une autre désespérée tentée, elle aussi de mettre fin à ses jours, Sarra, la fille de Ragouel qui vit un enfer puisque tous les hommes qui s’approchent d’elle finissent par mourir. Et vous aurez remarqué ce verset d’une puissance inouïe : À cet instant précis, la prière de l’un et de l’autre fut portée en présence de la gloire de Dieu où elle fut entendue. Quel Dieu merveilleux nous avons ! En attendant d’être comme des anges, donc débarrassés de tous nos problèmes, selon la promesse de Jésus dans l’Evangile, demandons à l’Esprit-Saint qu’il nous inspire comment conduire au Seigneur tous ceux qui n’en peuvent plus.
Amen!