Je suis dans un monastère en Côte d’Or pour prêcher une réco, je ne vais pas prêcher à la messe, je mets donc en ligne cette homélie … réchauffée, mais je vous l’offre quand même !
On va faire un petit test si vous le voulez bien ! Fermez les yeux et ré-écoutez cette parole de Jésus : « Je suis le Bon Pasteur. Mes brebis écoutent ma voix ; moi je les connais, et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle : jamais elles ne périront, personne ne les arrachera de ma main. » Quand vous entendez cette parole, vous voyez immédiatement Jésus qui est au milieu d’un pré d’herbe verte avec ses brebis qui sautillent autour de lui et lui les caresse de sa main, il en prend même une dans ses bras, la serre contre son cœur et pourquoi pas même lui fait un bisou et la charge sur ses épaules et la veinarde, elle se met à bêler pour rendre jalouses toutes les autres ! Ce dernier détail, vous ne l’aviez peut-être pas vu, c’est mon esprit mal tourné qui l’a mis dans ma tête. Nous n’avons pas de mal à imaginer cette scène du bon berger, nous avons vu tant d’œuvres d’art qui la représentent qu’elles ont forcément laissé une empreinte en nous et notre sensibilité nous aide aussi à nous fabriquer des images.
Eh bien, au risque de vous décevoir et de me faire mal voir, je suis à peu près sûr que ça ne correspond en rien à ce que Jésus a voulu dire. En effet, Jésus se laissait toujours inspirer par ce qu’il voyait et les troupeaux de moutons, dans son pays, ça ne manquait pas. Peut-être bien que l’inspiration lui est venue justement en voyant un berger au milieu de son troupeau. Vous aussi, vous en avez déjà vu des troupeaux de moutons et de brebis, dites-moi, vous avez souvent eu envie d’en prendre une dans vos bras pour la cajoler, l’embrasser ? Quand vous l’approchez, si l’envie vous était venue de l’embrasser, elle vous passe vite à cause de l’odeur ! La plupart du temps, c’est assez sale une brebis, du coup, quand vous en approchez une, l’envie de l’embrasser et de la cajoler disparaît assez vite ! Je m’excuse mais ça pue une brebis ! D’ailleurs si vous avez déjà passé des vacances en montagne et que vous avez eu la joie de pouvoir discuter avec un berger qui garde un troupeau en alpage, vous vous êtes rendus compte que le berger, lui non plus, il ne sentait pas très bon. A force de passer sa vie au milieu de ses brebis, il finit par prendre un peu de leur odeur sur lui, par conséquent, quand on parle avec lui, on garde une certaine distance !
Le pape François a fait une magnifique homélie sur ce sujet et c’est lui qui m’a invité à réviser complètement la représentation que je me faisais du bon berger. Pour la messe chrismale, cette messe au cours de laquelle les prêtres sont invités à renouveler leurs promesses sacerdotales, le pape a eu une parole très forte, il a demandé aux prêtres d’être « des pasteurs qui gardent l’odeur de leurs brebis. » En lisant cela, je me suis tout de suite rendu compte que ma représentation bucolique du bon berger était bien loin de la réalité. Les brebis ont une odeur et quelle odeur ! Et c’est justement pour cela que le pape nous dit : si vous voulez être des bons bergers, il ne faudra pas avoir peur de cette odeur et il ne faudra pas chercher à vous en débarrasser trop vite.
Oui, en ce sens-là, ça ne fait pas de doute, Jésus a été un bon berger. Quand on imagine la foule qui le suivait, on peut penser à un troupeau autour de son berger. Mais les brebis qui le suivaient n’étaient pas des agneaux innocents à la laine d’un blanc immaculé, des agneaux parfumés copieusement. Rappelons-nous, cette foule était composée de publicains, de prostituées, de lépreux, de boiteux, d’aveugles, de mendiants, de possédés. Un tel tableau ne correspond pas bien à la représentation bucolique du bon berger bien peigné au milieu de son troupeau où les brebis semblent concourir pour obtenir le prix de la plus blanche et la plus frisée ! La plupart de ceux qui le suivaient avaient une vie qui ne sentait pas toujours très bon. Mais c’est précisément de ces brebis-là que Jésus a voulu se faire proche, c’est pour ces brebis-là que Jésus a voulu devenir bon berger, ce sont ces brebis-là, souillées et malodorantes, que Jésus a accepté de porter quand elles n’en pouvaient plus. C’est peut-être pour cela qu’il est né dans une étable pour qu’il soit préparé à ne jamais fuir les odeurs de ses brebis malades.
Mes amis, je tire deux conclusions de cette manière de lire cet évangile du bon berger :
– Si nous voulons avoir le bonheur de nous retrouver entre les bras de Jésus, inutile de chercher à cacher nos pauvretés. Jadis, dans la publicité pour les machines à laver Vedette, la mère Denis était attirée par le linge sale, plus on lui en amenait plus elle était contente ! Eh bien, il en va de même avec Jésus, ce n’est pas en faisant croire que nous sommes des brebis à la blancheur immaculée que nous nous retrouverons dans les bras de Jésus ! N’ayons donc pas peur de reconnaître notre pauvreté, ne cherchons plus à faire semblant ! Ça c’était pour nous qui sommes tous des brebis à la recherche des soins que Jésus, le bon berger, peut et veut nous prodiguer.
– Mais nous sommes aussi des bergers. Bien sûr, d’abord nous qui avons reçu le ministère ordonné, nous avons une mission pastorale, nous sommes des pasteurs, des bergers. Mais parmi vous, il y en a aussi qui sont associés à la mission des bergers envoyés par l’Eglise. Et puis, de toutes façons, nous sommes tous les bergers de nos frères. Caïn disait : suis-je le gardien de mon frère ? Le gardien, je ne sais pas, mais le berger sûrement ! Je dois veiller sur mon frère, pas surveiller, mais veiller sur. Alors, puisque d’une manière ou d’une autre, nous sommes tous des bergers, il nous faut demander au Seigneur la grâce de ne pas être repoussés par l’odeur ou la saleté de certaines brebis. Ce sont elles qui ont, en priorité, besoin de nous. C’est donc une invitation à réentendre l’appel à évangéliser, à sortir de la bergerie. Plusieurs ont souligné qu’avant, il fallait que le berger parte à la recherche de la brebis perdue pendant que les 99 bien portantes étaient dans la bergerie, mais aujourd’hui, c’est l’inverse, il y en a une dans la bergerie et 99 malades dehors ! Alors, bien sûr, sortir, ça va nous obliger à prendre des risques. Le pape François, encore lui, je l’aime bien parce qu’il a le sens des formules disait dans une de ses homélies : « Il peut arriver à une Eglise qui sort ce qui peut arriver à une personne lorsqu’elle se trouve dans la rue : avoir un accident, mais je préfère mille fois une Eglise accidentée à une Eglise malade. Et l’Église devient malade quand elle ne sort pas d’elle-même, tôt ou tard, elle tombe malade respirant l’atmosphère viciée des pièces dans lesquelles elle s’est enfermée. » Mes amis, sortons ! Comme les bergers, vivons au grand air, c’est là qu’on a le plus de chance de ne pas être incommodé par l’odeur si particulière de certaines brebis. Oui, au grand air, nous n’aurons plus peur d’aller vers elles. Alors, sortons ! Devenons, nous aussi, des bons bergers qui vont à la recherche des 99 brebis malades ou perdues et qui ne passent pas tout leur temps, de manière plus confortable à peigner la brebis bien-portante déjà à l’abri dans l’enclos. Le pape dit encore que l’Eglise a besoin de pasteurs pas de coiffeurs !
J’aime bien, en ce jour de prière pour les vocations, la fin de votre homélie cher père Roger : l’église a besoin de pasteurs, non de coiffeurs !
… Une idée… Les prêtres, ne devraient ils pas prendre de temps en temps une année sabbatique pour aller travailler à l’usine ou dans les champs ?
Pourquoi pas ? Mais aujourd’hui, les jeunes qui rentrent au séminaire sont de moins en moins jeunes et ont pour la plupart une expérience professionnelle !
Entre la mère Denis et le père Roger, il y a un point commun : ils sont des vedettes qui demandent à tous d’être en bonne odeur de sainteté. Mais peut-être que j’exagère un peu car il ne faut pas toujours caresser dans le sens du poil.