Tous les lundis matin, les prêtres se retrouvent pour établir le planning des messes. Evidemment, quand nous décidons de nous inscrire pour telle ou telle messe, nous ne connaissons pas les lectures que nous aurons à commenter. Je vous avoue bien humblement qu’il m’arrive parfois, quand je lis les textes pour commencer à préparer mon homélie, de regretter de m’être inscrit pour cette messe ! Et aujourd’hui, c’est le cas ! Parce que, vraiment, les textes n’étaient pas faciles !
Je ne sais pas si vous avez retenu une grande idée de la 1° lecture ou même seulement quelques mots pour nourrir votre foi tant le texte de Paul était dense. Mais le bouquet, c’est l’évangile ! En effet, c’est la parabole la plus compliquée de toutes les paraboles que Jésus raconte : comment Jésus peut-il donner un tel escroc en exemple ? S’il n’y a plus de morale, même dans l’évangile, sur quoi va-t-on pouvoir s’appuyer pour construire sa vie ?
Une fois qu’est passé ce moment de mauvaise humeur qui m’a fait regretter d’avoir choisi de présider cette messe avec ces lectures, je me ressaisis toujours en pensant à deux choses.
- D’abord, je me dis : si toi qui as fait des années de séminaire, tu trouves ces textes compliqués, pense à celles et ceux qui n’ont pas eu la chance de faire autant d’études sur la Bible, alors arrache-toi pour leur permettre de comprendre un peu quand même !
- Et puis, la 2° chose qui me vient, c’est évidemment la nécessité d’implorer l’Esprit-Saint pour qu’il m’éclaire. Et je constate immanquablement que, lorsque je le fais, après avoir travaillé courageusement le texte, il y a toujours une belle lumière qui m’est donnée.
Cet évangile que nous avons entendu est tiré du début du chapitre 16 de St Luc, ce qui signifie qu’il fait suite aux textes du chapitre 15. Quand vous entendez cela, vous n’avez pas l’impression que l’Esprit-Saint m’ait puissamment éclairé ! Mais si ! La 2° partie du chapitre 15 de St Luc, c’est sûrement l’un des passages de l’évangile que vous connaissez par cœur. Il s’agit de la parabole du père et des deux fils. Or, de quoi, est-il question dans cette parabole ? D’un père qui pardonne à l’un de ses fils qui lui a pourri une partie de sa vie en quittant la maison sur un coup de tête. Il est aussi question d’un frère qui ne veut pas pardonner. Si je le formule autrement, il y a un père qui accepte de remettre sa dette à son fils et d’un frère ainé qui refuse de remettre sa dette à son frère.
C’est exactement cette problématique de la dette qui est développée dans la parabole un peu compliquée que nous avons entendue. Jésus parle d’un homme, qui est gérant et qui a escroqué son patron, il va donc très normalement se faire licencier. Avec cette perspective, le gérant comprend que sa vie facile est terminée. Cet homme, puisqu’il occupait un poste important, il n’avait jamais eu l’habitude de travailler dur d’un point de vue physique, il n’imagine pas un seul instant qu’il puisse s’y mettre. Et puis, avec ses hautes fonctions, il fréquentait surtout le beau monde, donc, si du jour au lendemain, ses relations le voyaient mendier, il aurait trop honte ! Pas envie de travailler dur, pas possible de mendier, comment s’en sortir ? C’est là qu’il a cette idée géniale et finalement très évangélique de remettre une partie de leur dette aux clients de son patron.
Je dis que cette idée est évangélique pour deux raisons.
- D’abord, il aurait pu avoir une autre idée qui n’aurait pas été du tout évangélique, c’est de voler directement son patron. Avant de quitter l’entreprise, il aurait pu prendre tout l’argent disponible et fuir à l’étranger pour couler des jours heureux. Ce n’est pas ce qu’il fait, il ne se sert pas, il sert les autres, c’est quand même beaucoup plus conforme à l’évangile.
- Et puis, la 2° raison pour laquelle sa manière de procéder est plutôt évangélique, c’est que j’ai appris, en lisant des commentaires, que les intendants avaient une marge bénéficiaire qui leur était attribuée directement dans les transactions qu’ils réalisaient. C’est-à-dire que lorsqu’il dit à un client de son patron : « Tu devais 100 barils d’huile, voici ton reçu, vite, écris 50 » en disant cela, c’est d’abord à sa marge bénéficiaire qu’il renonce. Bon, peut-être qu’il en donne un peu plus que ce qui lui revenait, mais il renonce d’abord à sa marge. Oui, c’est vrai, il le fait avec une arrière-pensée : ceux que j’ai aidés vont m’aider. N’empêche que ceux qui ont vu leur dette autant diminuer ont dû être sacrément heureux !
Rappelez-vous bien que cette parabole fait suite à la parabole du père et des deux fils. Eh bien, voilà ce qui touche Jésus et, voilà pourquoi il donne cet homme en exemple : en remettant une partie de leur dette aux clients de son patron, il a cherché à agir comme Dieu qui nous remet nos dettes. Même s’il y avait une arrière-pensée dans sa générosité, il a choisi la meilleure solution ou du moins la moins mauvaise pour se sortir de cette situation si compliquée. En agissant ainsi, il a permis aux créanciers de son patron d’expérimenter la joie de voir leur dette fondre comme neige au soleil, il leur a donné la même joie qu’a expérimenté le fils de la parabole quand il a réalisé que son père lui remettait sa dette en l’accueillant à nouveau comme son fils. Oui, cet homme sur lequel nous posons un regard un peu tordu dans une 1° lecture, finalement, nous devons nous émerveiller de constater qu’il a choisi d’agir à la manière de Dieu, avec les moyens qui étaient les siens et dans une situation pas très simple.
Alors, maintenant que c’est plus clair, cherchons à comprendre la conclusion que donne Jésus : « Le maître fit l’éloge de ce gérant malhonnête car il avait agi avec habileté ; en effet, les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière. » D’abord la traduction est mauvaise ! Jésus ne fait pas l’éloge de quelqu’un qui a été malhonnête, je vous ai montré que, finalement, il n’a pas été malhonnête. Le texte grec dit que Jésus fait l’éloge de quelqu’un qui était « gérant de l’injustice » ce n’est pas lui qui était malhonnête, mais c’est l’argent qu’il gérait qui est malhonnête. Il faudrait lire la suite du texte pour mieux comprendre, mais c’est vrai que l’argent est à l’origine de tant et tant d’injustice. Ceci étant précisé, retenons la leçon, Jésus voudrait que nous, les fils de la lumière, nous devenions habiles, au moins aussi habiles que les fils des ténèbres qui, eux le sont vraiment. Les escrocs sont imaginatifs à l’infini pour gagner de l’argent. Si les fils de la lumière pouvaient avoir la même imagination pour semer l’amour, qu’il serait beau le monde ! D’ailleurs, St Vincent de Paul osait dire que c’est l’amour qui est imaginatif à l’infini. Alors, filles et fils de la lumière, mettons notre intelligence, notre débrouillardise au service de l’expansion du règne de l’amour. Filles et fils de la lumière, travaillez et réussissez vos études pour occuper des fonctions importantes afin qu’il n’y ait pas que des requins aux postes de décision. Et rappelez-vous que la meilleure manière de commencer dès maintenant à travailler à l’expansion de règne de l’amour, c’est de vivre comme le Père en remettant les dettes.