Le drame est en train de se nouer, nous l’avons bien entendu : « Les grands prêtres et les pharisiens avaient donné des ordres : quiconque saurait où il était, devait le dénoncer pour qu’on puisse l’arrêter. » Manifestement, ça s’aggrave pour Jésus. Mais, comme Dieu seul sait le faire, il va tirer de cette histoire dramatiquement injuste le plus grand bien qui puisse être offert à l’humanité, le Salut. Reprenons le fil des événements.
Jésus vient de ressusciter Lazare, forcément ça a marqué les esprits, ce n’est quand même pas tous les jours qu’on voit un mort sortir de son tombeau ! C’est ce que souligne le texte : « beaucoup de Juifs, qui étaient venus auprès de Marie et avaient donc vu ce que Jésus avait fait, crurent en lui. » Et certains sont tellement impressionnés qu’ils vont en parler aux pharisiens. Personnellement, je ne pense pas qu’ils l’aient fait dans un mauvais état d’esprit, comme pour dénoncer Jésus. Pour moi, ils ont tellement été marqués par cet acte de puissance qu’ils vont plaider la cause de Jésus auprès des responsables. Mais eux, les responsables, ils ne veulent rien entendre, ils ont déjà pris leur décision, Jésus doit être supprimé et rien ne les fera changer d’avis pas même la résurrection d’un mort. C’est pourquoi dans la parabole du riche et de Lazare, Jésus avait bien raison de dire que même si un mort ressuscitait, certains ne croiraient pas !
Mais pourquoi sont-ils obstinés, pourquoi ne veulent-ils rien entendre ? Nous allons l’apprendre de la bouche des responsables du grand conseil : « Si nous le laissons faire, tout le monde va croire en lui, et les Romains viendront détruire notre Lieu saint et notre nation. » Vous entendez que dans cette affirmation, il y a une part de vérité et une part de fantasme infondé. La vérité, c’est que, si Jésus continue à accomplir ces actes de puissance et à distiller ces paroles bienfaisantes, tout le monde va croire en lui. Mais pourquoi cela devrait-il nécessairement conduire les romains à détruire le peuple et le Temple ? Il n’y a aucune raison ! Les romains, ils s’en fichent pas mal de la religion des juifs ! Qu’ils continuent la religion traditionnelle ou qu’ils se mettent à suivre ce Messie, ça leur importe bien peu, eux, les romains, ce qu’ils veulent, c’est que ce petit pays qu’ils occupent ne leur pose pas de problème de maintien de l’ordre. Et, avec ce nouveau Messie, il n’y a aucune menace puisque tous ses discours sont des discours de paix, il n’a jamais incité à la révolte contre aucune autorité en place quelle qu’elle soit. Ce qu’il prône, c’est la révolution dans les cœurs, pas dans la société, donc avec lui, rien à craindre ! Les romains se fichent pas mal de cette histoire qui ne les concerne pas.
Mais alors, la question rebondit : pourquoi, les responsables juifs annoncent-ils la catastrophe imminente si Jésus n’est pas arrêté ? Tout simplement parce que, eux, ils vont être remis en cause ! La catastrophe, elle n’est pas pour le peuple, elle est pour eux. Ils ne pourront plus dominer, régner, édicter leurs lois, se servir de la religion pour mieux asseoir leur pouvoir. Alors, ils inventent ce scénario catastrophe pour justifier l’injustice qu’ils vont commettre. Ils se posent en sauveurs de la nation alors que, précisément, ils vont faire périr le Sauveur.
Ils disent tout cela pour essayer de se rassurer parce que, entre eux, il y avait des débats, on en a eu un écho il y a quelques jours avec l’intervention, pleine de bon sens, qu’a faite Nicodème. Mais voilà, ils sont devant un dilemme terrible : accueillir la vérité ou rester dans leur confort. S’ils ne condamnent pas Jésus, ils devront remettre en cause tant de choses dans leur vie, dans leur foi, qu’ils ne sont pas prêts à le faire, alors, ils se construisent un système de pensée qui va rassurer leur conscience, même si ça les oblige à condamner un innocent. Mais après tout, dans leur logique, comme le dit Caïphe : « Il vaut mieux qu’un seul homme meure pour le peuple, et que l’ensemble de la nation ne périsse pas. » Evidemment, en ayant dit les choses comme cela, les responsables juifs nous paraissent absolument détestables. Cependant, avant de les condamner, nous devrions tous nous examiner.
Il peut nous arriver de percevoir assez nettement qu’il y aurait des choses à changer dans notre vie, dans notre attitude, dans l’organisation de nos journées, dans notre manière de penser, dans nos choix pour vivre vraiment la vérité de notre vocation quelle qu’elle soit. Nous le sentons bien, mais voilà, nous allons, nous aussi, chercher des justifications pour nous rassurer, pour nous donner bonne conscience, pour ne pas avoir à changer fondamentalement. Plutôt que de choisir la vérité, nous préférons rester dans le confort des compromis en cherchant des arguments pour justifier l’injustifiable. Que notre méditation au long de ces jours saints nous aide à mettre en lumière tout ce que nous préférons garder dans le flou et qui nous empêche d’avancer et qui a forcément des répercussions autour de moi.
Mais, je l’ai dit en introduction, Dieu a cette capacité inouïe de tirer du bien à partir d’un mal. Caïphe a dit une énormité en osant dévoiler ce que serait la meilleure des stratégies du point de vue des responsables pour qu’ils puissent préserver leur position dominante : « il vaut mieux qu’un seul homme meure pour le peuple, et que l’ensemble de la nation ne périsse pas. » Mais Jésus refusera de subir, il va retourner la situation en décidant d’offrir sa vie avant qu’on ne la lui prenne et ainsi l’amour pourra triompher, le Salut pourra être répandu sur tous les hommes de tous les temps et en tous lieux. Ainsi donc, de cette déclaration si ignoble, si indigne d’un chef religieux, normalement gardien de la vérité, Dieu va faire une authentique prophétie : « Ce qu’il disait-là ne venait pas de lui-même ; mais, étant grand prêtre cette année-là, il prophétisa que Jésus allait mourir pour la nation ; et ce n’était pas seulement pour la nation, c’était afin de rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés. »
Ce que Dieu a fait hier, il peut le faire encore aujourd’hui, c’est trop évident ! De notre mal, il peut toujours tirer un bien, mais vous l’aurez bien compris, ce n’est jamais automatique. C’est comme en chimie, je n’ai pas d’exemple précis car mes cours sont trop loin ! Mais vous pouvez mettre deux produits dans une éprouvette et il ne se passe rien, la réaction ne pourra se produire que lorsque vous aurez ajouté un 3° élément. Eh bien pour que Dieu puisse faire jaillir du bien à partir du mal, il faut toujours l’offrande d’une vie. Hier, il a fallu l’offrande de la vie de Jésus, aujourd’hui, il faut la nôtre. Là encore, demandons au Seigneur de nous donner la lumière pour voir plus clairement ce qui reste à offrir dans nos vies, ce qui a été repris et qu’il attend que nous lui redonnions pour qu’il puisse accomplir toutes les merveilles dont il rêve pour nous et que nous avons entendues dans la 1° lecture : Je conclurai avec eux une alliance de paix, une alliance éternelle. Je les rétablirai, je les multiplierai, je mettrai mon sanctuaire au milieu d’eux pour toujours. Ma demeure sera chez eux, je serai leur Dieu et ils seront mon peuple.
Oui, la promesse est pour nous aujourd’hui, pour nos vies, pour nos foyers et elle n’attend que l’offrande de nos vies pour s’accomplir. Avec la grâce de Dieu, vivons un peu plus, un peu mieux, ce que nous disons, chaque jour, dans l’acte de consécration en nous rappelant ces paroles de Marthe que nous connaissons si bien et qui donnent une vision si dynamique à l’offrande de nos vies : avec Jésus, se renoncer, prendre sa croix et le suivre en la portant, ce n’est pas mettre des boulets à ses pieds mais des ailes à son cœur, de la joie, du bonheur, du ciel dans sa vie… c’est monter, c’est se rapprocher de Dieu pas à pas. Que ce soit vraiment dans cette dynamique que nous abordions cette semaine sainte.
Amen, alléluia !
Homélie bien inspirante, P. Hébert.
Merci…