Avant, quand je devais expliquer le mot miséricorde, je disais que ce mot était composé deux mots : misère et corde et que, donc, la miséricorde, c’est la corde que le Seigneur nous lance pour nous sortir du fond du gouffre de notre misère. Evidemment, d’un point de vue étymologique, c’était absolument faux, mais je trouvais que c’était très imagé. Et puis, j’ai réalisé que cette définition, apparemment très belle, était fausse non seulement d’un point de vue étymologique, mais aussi théologique. En effet, quand vous êtes au fond du gouffre la misère, même si on vous tend une corde, vous n’aurez pas l’énergie suffisante pour la saisir et vous y accrocher pour vous laisser remonter. Non, il fallait laisser tomber cette définition, Dieu n’a pas voulu nous sauver d’en haut en nous lançant une corde, en Jésus, il est descendu et, à la manière des sauveteurs en spéléologie, il est venu nous prendre en charge. Tel le bon berger, il nous a pris sur ses épaules et nous a remontés pour que nous puissions retrouver la vie.
Par la suite, je suis tombé sur une autre définition, moins imagée, mais plus juste, c’est celle qu’a donné le cardinal Kasper dans un très beau livre qu’il avait écrit au moment du jubilé de la miséricorde. Il disait : la miséricorde, c’est la décision irrévocable de Dieu de tenir son cœur proche de ceux qui sont dans la misère. En effet, dans le mot miséricorde, il y a le mot corde qui vient du latin et qui signifie « cœur » : la miséricorde, c’est la décision irrévocable de Dieu de tenir son cœur proche de ceux qui sont dans la misère.
La page d’Evangile si connue, que nous avons entendue, est sans doute la plus belle illustration de la miséricorde de Dieu, de sa décision irrévocable de tenir son cœur proche de ceux qui sont dans la misère. Nous connaissons tous le tableau de Rembrandt, exposé au musée de St Pétersbourg, qui représente ce père voûté par l’angoisse d’avoir perdu son fils et qui lui donne l’accolade de la miséricorde. Pour parler de ce tableau, le père Baudiquey a eu cette parole extraordinaire : c’est le seul portait grandeur nature pour lequel Dieu lui-même ait accepté de prendre la pause !
Arrêtons-nous d’abord quelques instants sur le fils ainé. La scène qu’il fait à son père, à son retour des champs, il a dû la lui faire des centaines de fois. En effet, on peut légitimement penser qu’à chaque fois qu’il voyait son père s’abimer les yeux en guettant, au bout du chemin, l’improbable retour de son fils, il devait lui dire : laisse tomber, tu as bien vu qu’il n’en valait pas la peine ! Et quand, au cours des repas, plombés par un silence de mort, il voyait une larme au coin des yeux du père, il devait à nouveau se mettre en colère et chercher à raisonner son père : mais tu vois bien qu’en te demandant sa part d’héritage, il t’a montré qu’il aurait préféré que tu sois mort, et toi, tu pleures encore sur lui ? Et j’imagine que le matin, au petit déjeuner c’était le même refrain quand le fils ainé voyait les yeux de son père si lourds d’avoir encore passé une nuit d’insomnie et de cauchemars en pensant à son fils parti, perdu.
Ces paroles que le fils ainé devait échanger avec son père devaient être des tentatives pour ramener ce père déraisonnable à la raison. Mais comment voulez-vous que ce père qui a pris la décision irrévocable de tenir son cœur proche de son fils qui était dans la misère puisse devenir raisonnable ? J’ai envie de parler d’un véritable instinct maternel de ce père, car, nous le voyons bien, ce père aime comme une mère, son instinct maternel de père ne le trompe pas ! Il sait, il ressent que son fils est en difficulté, comme une femme peut ressentir dans ses entrailles qu’un de ses enfants est en difficulté. Comment, dans ces conditions, se raisonner ?
Et voilà que l’impensable se produit, le fils parti est en train de revenir. Le cœur de ce fils misérable est comme aimanté par le cœur aimant de son père et c’est ainsi qu’il retrouve le chemin de la maison. Depuis son poste de garde, où il passait ses journées à guetter le retour improbable de son fils, le père l’aperçoit, loin au bout du chemin. Alors, il devient encore plus déraisonnable, il court pour aller à sa rencontre. Vous vous rendez compte, il court ! C’est-à-dire qu’il oublie toutes les convenances particulières de cette région du monde, dans laquelle il n’y a que les gamins qui courent ! Les adultes et à plus forte raison les vieux, ils se dominent, ils gèrent leurs émotions, c’est d’ailleurs le signe de leur sagesse, donc ils ne courent pas. Mais lui, le père de la parabole, il court, il oublie les convenances, son âge, ses rhumatismes et ses nuits sans sommeil, il court parce que son fils dans la misère est en train de revenir. Il a tellement peur que, ravagé par la culpabilité, son fils se décourage que le Père court à sa rencontre, il fait une partie du chemin. C’est déraisonnable mais il ne peut se contrôler.
Ce moment où il pourrait à nouveau étreindre son fils dans ses bras, il en avait rêvé sans trop oser y croire que ça serait possible un jour. Alors, quand le fils parti, quand le fils perdu revient, il oublie tout, il ne sent pas la crasse, il ne voit pas la vermine qui recouvre ses vêtements, il le serre dans ses bras et le couvre de baisers !
Quand le père a envoyé les serviteurs chercher le fils ainé, et qu’ils lui ont raconté l’émotion et la joie de son père serrant son frère dans ses bras, lui, l’aimé, il n’en pourra plus. Pourquoi a-t-il cherché à tout bien faire si les « moins que rien » trouvent, eux aussi, une place encore meilleure, sur le cœur de Dieu, dans les bras de Dieu ? Ce fils aîné, il nous représente quand nous nous indignons de l’amour déraisonnable de Dieu à l’égard des crapules et que, par contre, nous trouvons normal de recevoir sa miséricorde à chaque fois que nous la lui demandons !
Par l’intercession de Notre Dame de Laghet, demandons la grâce de pouvoir goûter à cet amour déraisonnable de notre Père du ciel car Dieu est tout aussi déraisonnable à l’égard des crapules qu’à notre égard !
Nous avons vécu la même situation, en attendant 6 ans 1/2 le retour notre fils adoptif. Beaucoup de chagrins et surtout beaucoup de prières. Ce n’est plus le même homme. Merci seigneur. Tu es là au cœur de nos vie.