Elle est émouvante cette page d’Evangile que nous venons d’entendre parce que, finalement, elle nous raconte les tout débuts de l’aventure apostolique et, par là-même, les tout débuts de l’Eglise. Certes, il est très difficile de donner une date précise de la naissance de l’Eglise, on pourrait parler de l’Annonciation comme le tout début, ou encore la naissance de Jésus, ou ce texte-là, ou l’institution de l’Eucharistie ou même encore la Pentecôte. Peut-être n’avez-vous encore jamais été très curieux quant au commencement de l’Eglise, mais peut-être aussi êtes-vous comme ces enfants qui vont vers leurs parents pour leur demander comment ils ont commencé à exister. Evidemment, dans ces cas-là, l’enfant n’attend pas qu’on lui fasse une description, j’allais dire technique, de l’acte qui a marqué son commencement, il espère entendre parler de l’amour qui unissait ses parents et qui lui ont fait désirer sa venue. Eh bien, comme je le disais, cet Evangile pourrait assouvir notre curiosité quand nous nous demandons comment tout a commencé pour nous dans la Foi.
Tout a commencé par une parole et une parole somme toute assez mystérieuse pour nous, mais qui ne l’a pas été pour ces deux 1° disciples, André et vraisemblablement Jean, puisqu’il est capable de raconter, c’est sans doute qu’il y était ! Ils entendent Jean-Baptiste désigner Jésus comme l’Agneau de Dieu et immédiatement ils suivent Jésus qui ne les a pas encore appelés. Le prêtre, à chaque messe, reprend cette parole juste avant la communion, précisément quand il vous invite à venir communier, il dit : Voici l’Agneau de Dieu, heureux les invités au repas ! Pour que cette parole ait sur nous le même impact que sur André et Jean, c’est-à-dire pour qu’elle nous mette en route, pour qu’elle éveille le désir de suivre Jésus, il nous est bon de chercher à mieux la comprendre. Dans le judaïsme, cette image de l’Agneau de Dieu est extrêmement riche, alors, pour simplifier je donnerai les deux sens les plus courants.
1° sens quand on évoquait l’Agneau de Dieu, les juifs pensaient très vite à l’Agneau de la Pâque. Cet agneau dont on avait pris le sang pour marquer les linteaux des portes des maisons des hébreux en Egypte afin que la vie soit préservée dans ces maisons. Quand André et Jean entendent Jean-Baptiste désigner Jésus comme l’Agneau de Dieu, eux qui connaissent si bien les Ecritures, ils comprennent intuitivement qu’il est la vie, qu’en le suivant, ils marcheront sur un chemin de vie, ils seront à l’abri.
2° sens, quand évoquait l’Agneau de Dieu, les juifs pensaient aussi au Messie présenté dans le livre du prophète Isaïe comme un serviteur souffrant décrit sous les traits d’un agneau fragile mais capable de prendre sur Lui le mal pour sauver son peuple. Quand André et Jean entendent Jean-Baptiste désigner Jésus comme l’Agneau de Dieu, puisqu’ils connaissaient très bien les Ecritures, ils n’ont pas de doute, c’est lui qu’on attendait, c’est lui le Messie, c’est lui qui va nous sauver. Ils ne comprennent sûrement pas tout ce que veulent dire ces mots et surtout comment Jésus parviendra à accomplir cette mission, mais ils sont absolument sûrs que c’est lui qu’il faut suivre.
Donc tout a commencé par une Parole. Enfin, ce n’est pas tout à fait exact car, en fait, tout a commencé par un regard, le regard de Jean-Baptiste qui lui a fait prononcer cette parole. Et, ce qui est étonnant, c’est que la veille, Jean-Baptiste avait déjà prononcé cette même parole (1,29), mais cette Parole n’avait rien produit, personne n’avait suivi Jésus. La Parole est toujours la même, mais, là, elle est prononcée devant deux hommes qui étaient habités par un immense désir, alors ils se mettent en route pour suivre Jésus. Dans un cœur qui n’est pas habité par un immense désir même les plus belles paroles n’auront aucun effet !
Tout à l’heure, quand nous entendrons, la parole du prêtre présentant Jésus-hostie comme l’Agneau de Dieu, repensons à tout cela et surtout, si nous sommes des êtres de désir, si notre désir est grand de ne pas nous contenter du petit train-train de la vie, mettons-nous en route pour le recevoir dans nos cœurs, soit en communiant, soit en venant recevoir sa bénédiction, et décidons-nous à le suivre tout au long de la semaine en lui redisant que nous croyons qu’il est bien celui qui donne la Vie, qu’il est bien celui qui nous sauve en nous libérant d’une vie sans but.
Mais revenons à ces débuts de l’aventure apostolique, Jésus se rend tout de suite compte que ces deux hommes sont habités par un immense désir, c’est ce que laisse entendre sa question : Que cherchez-vous ? Oui, Jésus a perçu qu’ils étaient en recherche, qu’ils étaient donc des êtres de désir et que c’était la raison pour laquelle ils s’étaient mis à le suivre. Mais, par cette question, Jésus veut aussi comme les tester : en écoutant leur réponse, il aura le cœur net, il saura si c’est bien avec eux qu’il pourra commencer l’aventure. Et Jésus ne sera pas déçu par leur réponse : Rabbi, où demeures-tu ? Ils ne lui débitent pas une longue liste de toutes leurs attentes, de leurs aspirations ; peut-être est-ce ce qu’ils avaient fait quand ils avaient demandé à Jean-Baptiste de pouvoir rester auprès de lui. Mais là, après la Parole du Baptiste, il y a quelque chose qui bascule, ils n’attendent plus quelque chose mais quelqu’un ! Leur réponse manifeste que c’est lui qu’ils cherchent, que c’est à lui qu’ils veulent s’attacher, que c’est lui qu’ils veulent suivre parce que sa personne synthétise absolument toute leur espérance. Et on peut facilement imaginer que la nuit qu’ils ont passé avec lui les a confortés dans cette certitude de foi qui était née en eux. Il aura fallu à peine 24h pour que la grande aventure apostolique soit lancée et avec elle, c’est l’Eglise qui est comme mise sur orbite. Jésus a attendu 30 ans à Nazareth pour qu’arrive le moment favorable et quand il est arrivé, Il aura fallu à peine 24h pour que deux hommes deviennent les premiers disciples. C’est bien le signe qu’elle est vraie cette promesse que Dieu fait par la bouche du prophète Isaïe : au temps favorable, j’agirai vite ! Is 60,22
Mais, devenir disciple, n’est pas le dernier mot de l’aventure apostolique, la preuve, c’est qu’au petit matin, André court voir son frère Simon pour lui partager sa joie. A peine devenu disciple, André devient missionnaire. Vous savez que le pape François associe toujours ces deux mots qu’il lie par un tirait pour manifester qu’ils sont précisément indissociables, qu’ils sont les deux faces d’une même vocation : disciple et missionnaire, missionnaire parce que disciple, disciple pour devenir missionnaire. En son temps le pape Jean-Paul II avait magnifiquement exprimé cela en disant : Celui qui a vraiment rencontré le Christ ne peut le garder pour lui-même, il doit l’annoncer. (NMI 40) C’est le test qui permet de vérifier si la rencontre que quelqu’un prétend avoir faite avec le Christ est vrai ; le critère de vérification, c’est l’ardeur à l’annoncer. Tout en retenant cette parole de St François de Sales que nous allons honorer cette semaine et qui disait : Ne parle de Dieu que lorsque l’on t’interroge, mais vis de manière à ce qu’on t’interroge souvent. Il ne s’agit pas de fatiguer tout le monde en faisant un forcing permanent, non ! Mais il s’agit d’abord et essentiellement de vivre l’amour avec tous de telle manière que ça finisse par interroger les autres qui finiront par nous demander : mais comment fais-tu pour aimer de manière si ajustée, à quelle source puises-tu pour être capable de donner tant d’amour ? Ne parle de Dieu que lorsque l’on t’interroge, mais vis de manière à ce qu’on t’interroge souvent.
Si j’ai voulu commenter cet Evangile en repérant comment tout a commencé, c’est parce que rien n’a changé. Nous ne deviendrons de véritables disciples que si nous sommes des êtres de désir, en recherche et disponibles en attente de la Parole qui nous mettra en route pour suivre Jésus, pas des idées, mais quelqu’un, Jésus qui séduira nos cœurs. Et si nous l’avons vraiment rencontré, alors nous l’annoncerons d’abord par le rayonnement de notre amour non-sélectif.
Puisque, aujourd’hui encore, c’est une Parole qui nous mettra en route, retenons bien les mots que le vieux prêtre Eli a appris au jeune Samuel pour répondre à Dieu quand il parle : Parle, Seigneur, ton serviteur écoute ! Vous avez bien entendu ? Nous, dans la prière, nous avons souvent les bons mots, mais pas dans le bon ordre puisque, trop souvent, nous disons : Ecoute, Seigneur, ton serviteur te parle !
Merci P. Hébert pour ce long développement. Bon dimanche !