Dimanche 11 juillet : 15° ordinaire B. Voulez-vous rester menotté à votre agresseur ?

Vous avez sans doute tous lu l’histoire savoureuse de la mule du pape. Ça fait partie de ces morceaux d’anthologie écrits par Daudet. C’était l’époque où les papes vivaient en Avignon et le bon pape Boniface avait une mule qu’il chérissait par-dessus tout. Un vaurien, Tistet Védène, s’était débrouillé pour se faire embaucher par le pape, entre autres choses, pour s’occuper de cette mule à qui il fera subir les pires malheurs. Notamment, un jour, il la fait monter au somment du clocher en l’obligeant à grimper l’interminable escalier en colimaçon. Prise au piège, la bête ne pouvait plus descendre et hurlait sa peur là-bas en haut. Tous ceux qui trouvaient que le pape en faisait un peu trop pour sa mule riaient bien, surtout ce Tistet Védène. Non sans mal, car à l’époque, il n’y avait ni grue, ni camion nacelle, elle fut enfin délivrée. Mais cette mule avait juré de se venger en attendant l’occasion favorable. 

Il lui faudra attendre 7 ans pour trouver cette occasion car son bourreau était parti entre temps à la cour de Naples. Mais, à son retour, il n’a rien perdu pour attendre. Intriguant encore auprès du pape pour obtenir une bonne place, il va recevoir juste avant la cérémonie d’investiture un coup de sabot mémorable préparé depuis 7 ans ! Oui, mais cette mule, même si elle était la mule du pape, elle n’avait pas lu l’évangile d’aujourd’hui ! Et tous ceux qui sont partisans de l’adage qui dit : la vengeance est un plat qui se mange froid, ils ne l’ont pas lu non plus cet évangile !

En effet, dans l’évangile d’aujourd’hui, Jésus nous donne un conseil précieux pour les moments où nous allons être la cible d’attaques, de provocations, de critiques. « Si, dans une localité, on refuse de vous accueillir et de vous écouter, partez en secouant la poussière de vos pieds. » C’est ainsi que Jésus nous invite à réagir. Pas de coup de sabots, mijotés pendant 7 ans pour avoir plus de force à l’encontre de ceux qui nous ont fait des vacheries. Non ! C’est un autre geste que Jésus propose : secouer la poussière de nos pieds. 

J’avoue que très longtemps j’ai eu du mal à comprendre la signification de cette expression, d’autant plus que Jésus ajoute : ça sera pour eux un témoignage. En proposant ce geste, Jésus ne nous propose pas de faire un geste de mépris. Dans ce cas-là, il n’y aurait aucun témoignage porté. Jésus n’invite pas ses disciples qui sont mal reçus à partir en claquant la porte et en faisant comprendre aux gens qu’ils ne sont pas dignes d’intérêt. Nous, il peut nous arriver d’être tentés d’agir de la sorte quand ça se passe mal, mais ce n’est pas ainsi que Jésus souhaite que nous réagissions. 

En fait, je crois que Jésus est très réaliste. Il sait que lorsque nous sommes mal accueillis, lorsque nous sommes méprisés, nous sommes profondément blessés. Du coup, nous risquons de garder de la rancune à l’égard de ceux qui nous ont mal reçus. Et cette rancune va finir par nous pourrir la vie. Nous ne pouvons plus penser à ces gens sans que ne monte en nous une bouffée de colère. Et ce qui est terrible, c’est que ceux qui nous ont mal accueillis finissent par être victorieux sur tous les tableaux : ils nous ont humilié une 1° fois et ils continuent de nous bouffer la vie en installant durablement la colère et la rancune dans notre cœur.

En demandant à ses disciples de secouer la poussière de leurs pieds, Jésus propose une autre attitude, une attitude qui ne donne pas la victoire à ceux qui font le mal. C’est comme si Jésus nous disait : laissez votre rancune, surtout ne l’emportez pas avec vous, car elle va vous gâcher la vie en paralysant toutes vos actions. Oui, mais comment laisser sa rancune ? Oh je crois qu’il n’y a qu’un seul moyen et Jésus nous l’a montré, car Jésus ne nous demande rien sans l’avoir lui-même accompli au préalable et sans nous donner la force de l’accomplir à notre tour. 

En effet, s’il y en a un qui n’a pas été accueilli, s’il yen a un qui a été rejeté, humilié, c’est bien lui, Jésus. Dans le prologue de son évangile St Jean résumera ce drame par cette formule : il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas accueilli. Avant de quitter ce monde, Jésus nous a montré ce que signifiait secouer la poussière de ses pieds, refuser d’emporter avec soi la rancune. Sur la croix, il a eu cette parole extraordinaire : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. » Voilà la recette de Jésus, pas de coup de sabots, mais le pardon. 

Et alors, on comprend pourquoi il ajoute : ça sera pour eux un témoignage. En effet, si les chrétiens agissent comme tout le monde, ils n’apportent rien. C’est ce que le pape ne cesse de dénoncer en nous mettant en garde contre la mondanité. Chez lui, la mondanité, ça ne désigne pas l’habitude qu’ont certains de fréquenter les beaux salons, c’est le fait de tout juger et d’agir selon l’esprit du monde. Si aux provocations, nous réagissons selon l’esprit du monde, c’est à dire en nous vengeant, en utilisant la violence, notre témoignage sera nul. Mais, si à la violence des propos ou des gestes, nous réagissons par le pardon, refusant ainsi que la rancune ne vienne pourrir notre vie, gâter notre mission, alors nous pourrons apporter un grand et beau témoignage. St Paul résumera cela dans une phrase choc : sois vainqueur du mal par le bien. 

Vous allez peut-être me dire que ce n’est pas possible, que ce n’est pas à notre portée et vous aurez raison, ce n’est pas à notre portée ! Ni pour vous, ni pour moi. Vous pourrez encore me dire : réagir par la violence aux provocations, c’est plus fort que nous. Oui, vous avez raison, mais j’aime répéter cette phrase que j’avais lue : Dieu est plus fort que ce qui est plus fort que nous. Et c’est bien pour cela que nous nous venons si fidèlement à la messe, c’est parce que nous reconnaissons notre pauvreté, notre incapacité fondamentale à réagir comme Jésus nous le demande. Nous venons nous nourrir de sa Parole, de sa présence pour que peu à peu son amour nous transforme et qu’il soit en nous plus fort que ce qui est plus fort que nous. En passant, je redis que c’est pour cela que je ne comprends pas ceux qui se disent croyants mais pas pratiquants : seraient-ils si forts que cela pour parvenir à devenir vainqueurs du mal par le bien ? Moi, je m’en vois beaucoup déjà en allant à la messe tous les jours, alors eux, je me demande vraiment comment ils font !

Oh Seigneur donne-nous la force de ton amour au cours de cette messe. Viens en nous, sois plus fort en nous que ce qui est plus fort que nous ! Que tous les chrétiens deviennent des témoins du pardon, seul capable de désarmer tout esprit de vengeance et toute forme de violence qui gangrènent dangereusement notre monde.

Cette publication a un commentaire

  1. Wilhelm Richard

    Finalement, sans rancune….. Je continuerai à lire et méditer vos homélies.
    J’espère de votre côté que vous ne m’en voudrez pas !!!!!!!

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