Ce texte d’Evangile est sans doute celui qui a reçu les interprétations les plus farfelues qui proviennent d’une lecture pas assez sérieuse. Il nous faut apprendre à écouter la Parole en projeter le moins possible sur elle ce que nous pensons. Il y a deux femmes qui sont nommées dans ce texte et ces deux femmes pourraient être invoquées pour justifier des attitudes assez injustifiables.
- Certains vont invoquer Marthe pour qu’elle vienne les défendre contre leur manque d’enthousiasme face à la prière et ils diront : « moi, vous savez, je suis plus Marthe que Marie ! Ce qui nourrit ma foi, c’est de me mettre au service des autres. » Et au passage, pour justifier encore plus l’injustifiable et égratigner ceux qui ne sont pas comme eux, ils rajouteront : ceux qui passent leur temps à prier sont finalement très égo-centrés et sont incapables d’entendre les appels à se donner de manière un peu plus concrète !
- D’autres vont invoquer Marie pour qu’elle vienne les défendre contre leur manque d’enthousiasme face au service et ils diront : « moi, vous savez, je suis plus Marie que Marthe ! Ce qui nourrit ma foi, c’est de passer le plus de temps possible à prier, à contempler mon Seigneur » Et au passage, pour justifier encore plus l’injustifiable et égratigner ceux qui ne sont pas comme eux, ils rajouteront : ceux qui passent leur temps à se dépenser sans donner priorité à la prière sont finalement plus des militants, des assistants sociaux que des chrétiens.
Vous l’aurez bien compris ces deux positions sont aussi intenables l’une que l’autre, la preuve, c’est que St Benoit que nous avons fêté cette semaine, le père des moines, quand il a écrit sa règle, qui inspire toutes les règles monastiques, l’a résumée dans ces deux mots : « ora et labora », même si vous ne faites pas de latin, vous avez compris : prière et travail. La vie du moine n’est pas un choix entre les deux, mais un équilibre parfait entre les deux qui s’incarne dans ce qu’on pourrait appeler l’invention des 3 « 8 » : 8 heures de travail manuel ou/et intellectuel, 8 heures de prière et de « nourritures spirituelles » et 8 heures de repos, détente, nourriture. Un équilibre parfait de vie. Il est donc clair que la vie chrétienne qu’elle soit de base pour vous et moi ou qu’elle soit d’élite pour les moines ne consistera jamais en un choix qui permettrait de faire jouer Marthe contre Marie ou vice-versa ! Le texte ne parle pas de cela, il ne peut donc être invoqué pour justifier quelque paresse que ce soit, paresse à prier, paresse à servir.
Alors que nous dit le texte ? Il nous parle d’un homme, Jésus qui était en chemin avec ses disciples et voilà qu’il entre dans un village. Il se trouve que, dans ce village, il y a une famille d’amis sur lesquels on en sait un peu plus en lisant l’Evangile de St Jean. Impossible pour Jésus de traverser ce village sans s’arrêter chez les amis ! Or voilà que Marthe, l’ayant quand même accueilli, fonce immédiatement en cuisine pour préparer un repas. Marie, elle, avait tout de suite perçu la vraie faim de Jésus qui était une faim d’Amitié, de relation, elle reste donc avec lui. Si elle était partie en cuisine, Jésus se serait retrouvé seul et, comme à l’époque, il n’y avait pas de smartphone, comment aurait-il occupé son temps ? Je plaisante bien sûr ! Si Jésus avait eu envie de faire un bon repas, il aurait envoyé quelques apôtres en avant prévenir de sa venue et les deux sœurs auraient eu le temps de préparer un petit frichti ! Mais, dans le moment, Jésus n’avait faim que d’Amitié et cette faim-là ne peut être apaisée que dans une relation. C’est ce qu’a compris Marie et c’est ce que Jésus apprécie en essayant d’expliquer à Marthe que, dans le moment, c’est Marie qui aura le mieux répondu à sa véritable faim.
Vous comprenez donc qu’on est bien loin d’une leçon que Jésus donnerait sur la priorité ou l’excellence de la vie contemplative par rapport à la vie active. A travers cette petite histoire, l’Evangile nous pose une question essentielle : est-ce que tu sais percevoir les véritables faims de ceux que ton chemin te fait croiser ? Est-ce qu’il ne t’arriverait pas de temps en temps, d’une manière ou d’une autre, de t’échapper dans tes gamelles pour donner aux autres ce que toi, tu as décidé qui sera bon pour eux sans écouter vraiment ce qu’ils te demandaient de manière explicite ou pas ? C’est une vraie question, c’est une bonne question qu’il nous faut nous poser régulièrement : est-ce que je sais écouter, est-ce que je sais percevoir les signaux que les autres m’envoient ou est-ce que je suis dans mon truc, persuadé que je sais mieux que les autres ce qui sera bon pour eux ?
Sans compter qu’il y a encore deux ambiguïtés dans l’attitude de Marthe.
- 1° ambiguïté : En préparant un repas, n’est-ce pas elle, son savoir-faire, son dévouement que Marthe est en train d’installer au centre de la rencontre ? Pour que la rencontre soit vraie, féconde, il faut que j’accepte de mettre l’autre au centre. En préparant ce repas, Marthe espérait sans doute recueillir les félicitations de Jésus e quand elle voit qu’il n’en est rien, elle rouspète en criant à l’injustice ! Ne nous arrive-t-il pas, nous aussi, de nous mettre trop souvent au centre de nos rencontres ? L’autre nous parle et sans arrêt, nous disons : oui, c’est comme moi … et c’est ainsi que nous recentrons la conversation sur nous ! On raconte cette histoire de deux amis qui se rencontrent par hasard sur le quai d’une gare et qui n’ont que 5 minutes avant que leurs trains ne repartent, l’un des deux dit à l’autre : puisque nous n’avons pas le temps de parler de nous deux, si ça ne te dérange pas, nous ne parlerons que de moi ! C’est peut-être ce que Marthe, consciemment ou pas, était en train de faire avec ses gamelles, espérer pouvoir recentrer la rencontre sur elle.
- 2° ambiguïté : Si Marthe avait quelque chose à dire sur l’attitude de sa sœur pourquoi ne l’appelle-t-elle pas en cuisine pour parler directement avec elle ? Pourquoi passer par Jésus ? Par cette intervention n’espère-t-elle pas une victoire par K.O. ? Non seulement elle espère les félicitations de Jésus pour son sens du service, mais bien plus encore elle aimerait pouvoir se réjouir de la réprimande que Jésus adresserait à sa sœur … quelle belle victoire ça serait pour elle ! Son recours à Jésus n’est donc pas très innocent en cherchant à lui imposer un rôle qui n’est pas le sien.
Puisque nous lisons ce texte en ce jour du Baptême d’Auguste, Martin et Raphaël, nous pouvons demander que leur soit donnée cette immense grâce d’être des hommes de relation. Qu’ils sachent trouver l’équilibre indispensable entre « ora et labora » pour rester toujours ouverts aux autres et à Dieu. Que dans leurs relations, tant aux autres qu’à Dieu, ils soient préservés de tout égocentrisme et qu’à l’école de la vie, à l’école de la foi, ils apprennent à devenir des êtres de dialogue. Je me rappelle, quand j’étais jeune, il y avait une chanson qui disait : parlez-moi de moi, il n’y a que ça qui m’intéresse ! La grâce que nous demanderons pour Auguste, Martin et Raphaël, c’est dans leur relation aux autres et à Dieu, ils puissent chanter : parle-moi de toi, c’est ce qui fait ma joie !
Merci Père !…je comprends de + en + que j’ai fait fausse route bien souvent…! Vous m’avez , de nouveau, bien éclairée…j’espère vous retrouver une prochaine fois à Tressaint. Prenez soin de vous !
Bien amicalement. Marie-Solange…de retour en Berry 4 jours avant départ vers stage à St Antoine l’abbaye 38…chez amis ARCHE de Lanza del Vasto.
Bon été !