Dimanche 19 décembre 4° dimanche Avent Quand la Visitation reprend des airs connus !

Homélie 4° dimanche de l’Avent C : Évangile selon Saint Luc 1, 39-45 Visitation

Ceux qui ont une oreille musicale particulièrement affinée peuvent parfois reconnaître dans les improvisations d’un organiste un air célèbre. Pour ceux qui ne reconnaissent pas l’air connu, ce n’est pas grave car la musique est belle à écouter. Mais pour ceux qui reconnaissent, il y a un clin d’œil, il y a un plus qui rend la mélodie encore plus savoureuse. 

Eh bien, il en va de même dans les Évangiles ! Ceux qui ont une culture biblique développée, quand ils entendent certains textes, ne peuvent pas ne pas reconnaître des citations du Premier Testament. Et je dirai volontiers que c’est comme pour la musique. Quand on ne reconnaît pas ces citations, ce n’est pas grave, le texte qu’on entend est suffisamment parlant en lui-même ; mais quand on reconnaît les citations, ça donne une saveur toute particulière au texte entendu. Le texte bien connu de la Visitation que nous venons d’entendre fait partie de ces petits chefs d’œuvre littéraire dont chaque phrase, ou presque, renvoie à un épisode du Premier Testament. Je vous propose de découvrir l’une ou l’autre de ces citations pour voir comment elles enrichissent et renouvellent notre compréhension de ce texte.

Arrêtons-nous d’abord sur la salutation qu’Elisabeth adresse à Marie qui est tellement importante qu’elle sera reprise pour devenir le cœur de notre prière mariale, le « Je vous salue Marie ». En effet Elisabeth dit à Marie : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. » Le lecteur pétri des Écritures entend assez vite derrière cette musique une autre musique déjà entendue dans le livre de Judith. Judith est une femme assez extraordinaire qui va sauver son peuple d’une invasion assyrienne en osant défier le général Holopherne envoyé par Nabuchodonosor, elle ira même jusqu’à le décapiter. C’est un peu l’ancêtre de Jeanne d’Arc, si vous voulez. A son retour, évidemment, elle est accueillie triomphalement et c’est à ce moment qu’on prononce pour elle cette parole : « Tu es bénie entre toutes les femmes et béni est le Seigneur Dieu ». Quand Elisabeth dit à Marie : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni », je pense que vous reconnaissez sans peine que la musique de l’évangile de Luc s’est inspirée du livre de Judith. Mais ce qui est le plus important, c’est de voir ce que le rapprochement de ces deux citations nous apprend. 

En adressant à Marie les paroles qui, jadis, étaient adressées à Judith, la victorieuse, Elisabeth veut très clairement signifier que Marie apporte elle aussi la victoire ou plutôt qu’elle porte en elle celui qui apportera la victoire sur le mal. Car vous aurez remarqué que la 2° partie de la citation comporte une différence. A Judith, on disait : « Tu es bénie entre toutes les femmes et béni est le Seigneur Dieu » à Marie, Elisabeth dira : « Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. » Pour faire simple, on disait à Judith que si elle avait été capable d’une telle audace et si elle avait pu remporter cette victoire, c’est parce que Dieu l’avait accompagnée. En ce qui concerne Marie, Elisabeth va aller plus loin précisant que c’est celui qu’elle porte qui apportera la victoire et qui deviendra source de bénédiction. 

Ainsi donc, contrairement à ce que peuvent nous reprocher nos frères issus de la Réforme, le « Je vous salue Marie » que nous prions ne nous détourne pas de Jésus, bien au contraire ! En reprenant les paroles de salutation d’Elisabeth, il nous invite à croire que c’est par Jésus que nous serons victorieux du mal et que c’est par lui que nous recevrons bénédictions sur bénédictions. Dans ces conditions, comment ne pas dire merci à Marie d’avoir accepté de porter celui qui nous apporte tout ? C’est ce que fait Elisabeth dans ses paroles de salutation, c’est ce que nous faisons, nous aussi, à chaque fois que, de nos cœurs, monte la prière du « Je vous salue Marie ». 

Il y a encore un autre clin d’œil avec le Premier Testament dans ce texte de la Visitation. On peut le trouver dans la suite des paroles d’Elisabeth : « D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? » L’ancienne traduction disait de manière plus explicite : « Comment ai-je ce bonheur que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? » 

Et le texte se conclut par cette mention, mais le lectionnaire liturgique n’a pas gardé cette conclusion et c’est bien dommage : Marie resta environ trois mois chez sa cousine Elisabeth. Pour les connaisseurs des Ecritures, là encore ce passage évoque une autre musique bien connue qui raconte l’épisode de l’Arche d’Alliance que le Roi David veut faire remonter à Jérusalem. 

L’Arche d’Alliance, vous savez, c’était un souvenir sacré de l’épopée de la traversée du désert. Cette arche contenait les tables de la loi, le bâton miraculeux de Moïse et un peu de manne. Pour les juifs, c’était un peu comme le signe de la présence de Dieu, on pourrait presque comparer cette arche avec les tabernacles de nos églises qui contiennent la présence réelle du Seigneur. C’est pour cela que Marie sera appelée la nouvelle Arche d’Alliance, parce qu’elle porte en son sein la présence du Seigneur. Alors revenons à David, le roi est désormais bien installé dans un palais et il souhaite faire venir auprès de lui cette fameuse arche d’Alliance. On prépare le voyage en dotant cette arche d’un chariot tout neuf et tout le monde fait la fête autour de cette arche prête à rejoindre Jérusalem. Oui, mais voilà que quelqu’un va toucher cette arche, il meurt comme foudroyé. En effet, il était bien stipulé qu’il ne fallait pas la toucher car on ne peut pas mettre la main sur Dieu. Du coup, David, n’est plus trop chaud pour faire venir cette arche à Jérusalem, il la laisse là où elle est, elle sera remisée dans une maison et y restera 3 mois. L’Écriture nous dit que ce furent 3 mois de bonheur pour ceux qui ont accueilli l’Arche. Du coup David reprend son projet de faire venir l’Arche à Jérusalem pour que lui et son peuple puissent connaître le bonheur. 

Tiens, tiens, Marie qui porte la présence du Seigneur reste 3 mois chez Elisabeth et Elisabeth dit que c’est un bonheur de l’accueillir. Vous ne trouvez pas que les deux musiques ont une grande ressemblance ? Là encore, l’essentiel n’est pas de se contenter d’avoir repéré des harmoniques qui permettent de rapprocher deux textes. L’essentiel est de comprendre comment ce rapprochement peut nous faire grandir dans la foi. Oh je crois que la leçon est simple. C’est la présence du Seigneur qui apporte le bonheur, le vrai. Mais ce bonheur ne sera possible que pour ceux qui se décident à accueillir le Seigneur avec beaucoup de disponibilité sans vouloir mettre la main sur lui, sans l’enfermer dans leurs projets étroits. 

Le problème, c’est que, telle l’Arche d’Alliance porté sur un chariot, le Seigneur a besoin de personnes qui le portent pour qu’il puisse apporter le bonheur qu’il est venu répandre. Eh bien, de même que Marie était la nouvelle arche d’Alliance, nous allons, nous aussi, par notre communion, devenir des arches d’Alliance, nous allons être, nous aussi, porteurs de la présence du Seigneur. Si nous ne laissons pas sa présence s’enfouir sous la médiocrité de notre péché, partout où nous passerons, c’est le Seigneur qui passera avec nous. C’est pour cela qu’il est si important de venir à la messe, c’est pour que nous devenions, comme Marie, ces nouvelles arches d’Alliance qui sèment le bonheur sur leur passage.

Enfin, je conclus avec un détail amusant. Le texte se terminait en mentionnant que Jean-Baptiste a tressailli dans le sein d’Elisabeth en entendant Marie parler. C’est parce qu’elle est cette nouvelle arche d’Alliance que même dans le ventre d’Elisabeth, Jean-Baptiste a reconnu qu’elle portait le Sauveur. Du coup, il tressaille d’allégresse. Et le verbe grec utilisé ici est un verbe que vous connaissez même si vous n’avez jamais fait de grec, c’est le verbe sirtakô qui a donné le sirtaki, cette danse grecque bien connue et si gracieuse. Quand on est vraiment porteur de la présence du Seigneur, on apporte le bonheur avec soi et un bonheur tellement grand que tout le monde se met à danser. 

Mes amis, il y a tellement de gens tristes et malheureux qui rêvent de Bonheur que nous ne pouvons pas ne pas les rejoindre. Grâce à l’Eucharistie qui nous emplit de la présence du Seigneur, devenons ces nouvelles arches d’Alliance qui sèmeront le bonheur sur leur passage.

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