Pour votre session « couple et job », on peut dire que les textes que nous venons d’entendre tombent à pic ! Ces textes, en effet, nous montrent comment Dieu a bien fait son job pour que le couple puisse s’épanouir et en même temps, comme tout bon pédagogue, il n’a pas fait tout le job, laissant à la femme et à l’homme, le soin de construire leur couple, ce qui va nous permettre de découvrir que vivre en couple, c’est un job à temps plein !
Je voudrais tout de suite faire une précision qui me soulage. Il ne me semble pas que Jésus, dans l’Evangile, parle du divorce et ça m’arrange bien. Parce que dans l’assemblée que nous formons, je ne connais pas les situations de chacun et il se peut que, parmi nous, aujourd’hui, il y en ait qui ont vécu ou peut-être subi, ce tsunami du divorce qui anéantit non seulement les relations conjugales, mais aussi les relations familiales et encore amicales et parfois même professionnelles. Parler juste pour rejoindre ces personnes sans rajouter une blessure supplémentaire à leurs innombrables blessures n’est jamais évident. Je sais que, parmi les personnes qui ont vécu ce tsunami, certains appréhendent d’aller à l’église parce qu’elles n’en peuvent plus d’entendre des discours moralisateurs qui les jugent. Et le pire dans tout ça, c’est que, parfois, ces discours moralisateurs de condamnation ont été prononcés par des hommes d’Eglise qui avaient en secret un comportement gravement déviant. Pour nous qui avons à prêcher, la publication du rapport sur les abus qui aura lieu cette semaine est une invitation supplémentaire à bien mesurer nos paroles quand nous parlons de morale, quel que soit le domaine, pour, justement ne jamais faire la morale, en jugeant et condamnant. Jésus n’est pas venu faire la morale, il est venu délivrer une bonne nouvelle et j’emploie à dessein ce verbe délivrer, il est venu délivrer une Bonne Nouvelle qui délivre. Cette Bonne Nouvelle, elle doit donc pouvoir rejoindre toutes les personnes, même et particulièrement celles qui vivent des situations compliquées, voire carrément tordues. Certes, Jésus ne bénit pas toutes les situations, mais il bénit toujours les personnes, toutes les personnes et particulièrement celles qui vivent des situations compliquées et tordues.
J’ai dit que ce texte ne parlait pas du divorce, mais on pourrait quand même objecter qu’avec cette terrible sentence, Jésus en parle quand même et en termes très durs : « Celui qui renvoie sa femme et en épouse une autre devient adultère envers elle. Si une femme qui a renvoyé son mari en épouse un autre, elle devient adultère. » Permettez-moi d’expliquer à ma manière le sens de cette phrase. Puisque, selon ses propres paroles, Jésus n’est pas venu juger mais sauver, voilà comment je comprends cette parole. Il ne vous aura pas échappé que cet évangile se terminait par une référence aux enfants qui semble tomber comme un cheveu sur la soupe. Eh bien, moi cette allusion aux enfants me permet de traduire ainsi la parole de Jésus : Celui qui renvoie son époux, épouse et en épouse une ou un autre commet un péché d’adulte. C’est un enfant qui avait dit cela au caté quand la catéchiste avait demandé : savez-vous ce qu’est l’adultère ? Il avait répondu : c’est un péché d’adulte ! Comme c’est bien vu ! Eh bien Jésus nous demande d’être comme des enfants pour ne plus commettre ces péchés d’adultes. Ce n’est pas une condamnation, mais une exhortation.
On le voit donc, Jésus a su admirablement bien se sortir du piège qui lui était tendu par les pharisiens. Parce que, eux, de fait, ils auraient aimé que Jésus parle du divorce, disons plutôt de la répudiation qui était le mot utilisé à l’époque. Et surtout ils auraient aimé que Jésus cautionne leur attitude lamentable. En effet, vous aurez noté que, dans la question des pharisiens, la femme n’est absolument pas prise en compte : « Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ? » Pour les pharisiens, c’est clair, seul l’homme peut décider de l’avenir de son couple. Et ils ne se privaient pas de le faire en renvoyant leur femme pour des motifs aussi futiles que servir trop régulièrement à table une nourriture pas suffisamment chaude ! Cette question, ainsi formulée, elle fait donc sursauter Jésus. Comment les pharisiens qui étaient de fins connaisseurs de la Loi pouvaient-ils poser une telle question ? Du coup, il leur demandant : « Que vous a prescrit Moïse ? » Et, là, les pharisiens vont réussir un tour de force : ils vont détourner la loi pour servir leurs propres intérêts machistes. Ils répondent : « Moïse a permis de renvoyer sa femme à condition d’établir un acte de répudiation. » Ils sont vraiment gonflés car Moïse n’a jamais rien permis de semblable !
A aucun moment, dans la loi, il n’est écrit que l’homme, le mâle peut renvoyer sa femme ! La loi, elle s’est juste prononcée pour dire ce qu’il fallait faire lorsque cette situation arrivait quand même et elle va chercher à protéger la femme affaiblie par la décision de son mari. C’est bien là l’une des fonctions essentielles de la loi : protéger les faibles et c’est ce qu’allait permettre ce billet de répudiation. Je ne peux pas entrer dans les détails pour expliquer la sécurité que ce billet de répudiation pouvait apporter aux femmes victimes d’une décision arbitraire de leurs maris.
Vous le voyez, Jésus va clore ce débat sur permis/défendu, un débat qui ne l’intéresse pas, en rappelant que ce qu’il y a dans la loi, sur ce sujet, ne s’y trouve que pour une raison bien particulière qui n’est pas à l’avantage des pharisiens : « C’est en raison de la dureté de vos cœurs qu’il a formulé pour vous cette règle. » Et, comme à son habitude, Jésus va sortir de ce débat empoisonné par le haut. Pour cela, il va délivrer une extraordinaire catéchèse sur le couple, une catéchèse qui s’appuiera sur le texte du livre de la Genèse. Ce texte de la Genèse, certains, par la suite, l’ont lu en s’en moquant plus ou moins gentiment, mais, heureusement, d’autres l’ont pris au sérieux et y ont trouvé des explications d’une profondeur insoupçonnée, je pense particulièrement à la lecture que fait la psychanalyste Marie BALMARY qui se déclare pourtant agnostique. (cf. livre : la divine origine) Alors que nous dit le texte de la Genèse sur lequel Jésus fonde sa catéchèse ?
Il faudrait beaucoup de temps pour dégager toutes les subtilités de ce texte, je ne vais développer qu’un point. Jésus rappelle cette parole du livre de la Genèse « Au commencement de la création, Dieu les fit homme et femme. » Mais là, Jésus va un peu vite ! Il peut sans doute se permettre ce raccourci parce qu’il s’adresse à des juifs qui connaissent par cœur les Ecritures. Mais nous qui ne sommes peut-être pas aussi familiers, il nous faut lire les versets qui précèdent et la liturgie est bonne puisque, ces versets, elle nous les a fait entendre dans la 1° lecture, mais pour ne pas trop allonger le texte, elle n’en a pris qu’une partie. Vous avez entendu le début de la 1° lecture : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul. » Mais attention, quand il est question d’homme, ce n’est pas du mâle que parle le texte, mais de l’être humain en général. Cet être humain, Dieu dit qu’il n’est pas bon qu’il soit seul et la Bible va montrer avec humour que même le plus affectueux des toutous ou le plus câlin de tous les minous ne pourra pas combler la soif d’amour, de relation inscrite au cœur de l’être humain. Le fait que cette soif d’amour, cette soif de relation soit inscrite si profondément dans le cœur de l’être humain ne doit pas nous étonner. Dieu avait dit : faisons l’homme à notre image. Bizarre ce pluriel, non ? Eh bien, non, pas bizarre du tout ! Car Dieu est relation d’amour, c’est ce que nous appelons la Trinité. En créant l’être humain à son image, Dieu l’a donc créé, comme Lui, c’est-à-dire un être relationnel, ne pouvant s’épanouir que dans l’amour. Voilà donc l’être humain qui arrive sur terre avec cette soif relationnelle inscrite au plus profond de son être et c’est ce qui explique qu’il n’est pas bon que l’homme soit seul.
Puisqu’il n’est pas bon, conforme à son projet, que l’être humain soit seul, Dieu va remédier à cette anomalie en permettant à l’homme et la femme d’émerger de l’humain. Oui, mais avant cela, il va prononcer une parole très importante et c’est là que le travail de lecture de lecture de Marie BALMARY m’a vraiment éclairé. A l’être humain qu’il a créé, Dieu va donner une parole d’interdit : tu peux manger les fruits de de tous les arbres sauf ceux de l’arbre de la connaissance et Dieu prend bien soin de préciser : si tu en mangeais, tu mourrais. Cet interdit est donc salutaire, sans le respect de cet interdit, il ne peut y avoir de vie. Mais vous allez me dire : ça aurait été peut-être plus simple que Dieu ne mette pas cet arbre dans le jardin, ça nous aurait évité de gros soucis ! Car vous connaissez comment certains résument cette histoire de la création : une pomme, deux poires et pas mal de pépins ! Non l’interdit était nécessaire, Marie BALMARY explique que par cet interdit, Dieu pose une limite à l’appétit de l’être humain. C’est comme s’il lui disait : tout ne se mange pas, si tu veux tout manger, tu vas mourir et faire mourir les autres avec toi. Or comme cet interdit se trouve après la création de l’être humain et juste avant la création de l’homme et de la femme, la psychanalyste explique que cet interdit vise expressément la relation à l’intérieur du couple.
Mais je crois qu’on peut aussi extrapoler en disant que cet interdit régule toute relation. C’est comme si Dieu disait de manière forte et absolue : tu ne mangeras pas l’autre, tu ne mangeras jamais l’autre sinon tu feras mourir l’autre, tu feras mourir votre relation et toi-même tu finiras par mourir à petit feu. Comme c’est juste : tous les problèmes dans un couple, mais aussi dans une communauté ou même au travail commencent quand il y a un ou plusieurs prédateurs qui mangent les autres et, tels les vampires se nourrissent de la vie de ceux qu’ils mangent. Se faire bouffer, comme on le dit de manière triviale, c’est insupportable, c’est source de souffrances inommables et certains ne trouvent que la fuite comme parade pour survivre.
C’est justement la souffrance de ceux qui ont été bouffés et qui en sont si profondément affectés qu’il nous faudra accepter d’entendre dans la publication du rapport de mardi. L’actualité de la vie de l’Eglise et les textes d’aujourd’hui nous invitent donc fortement à réentendre l’interdit posé par Dieu : tu ne mangeras pas l’autre. Tous les échecs dans la vie de couple, dans la vie communautaire, dans la vie relationnelle trouvent ici leur explication. Toutes les dérives trouvent dans le non-respect de cet interdit fondamental leur explication. Oui, on peut le dire : en créant l’être humain et en posant cet interdit salutaire, Dieu a bien fait son travail. Mais il n’a pas fait tout le travail parce qu’ensuite, c’est à l’homme et la femme, dans le cadre d’un couple, c’est aux membres d’une communauté, d’une équipe de travail, de finir le travail en instituant des relations vraies, un dialogue respectueux qui permettront à chacun de s’épanouir tout en permettant l’épanouissement de l’autre. Voilà ce qu’était le projet de Dieu quand, au commencement, il fait le job. Voilà aussi le job qu’il nous a laissé. Ce job est passionnant et, en même temps, il dépasse nos pauvres forces, et c’est bien pour cela que nous venons à la messe. Nous avons besoin de recevoir Jésus dont la vie n’a été qu’un oui à l’amour et qui n’a donc jamais bouffé personne. C’est lui, Jésus qui, comme le disait la lettre aux Hébreux, est capable de nous aider à mener jusqu’à sa perfection le job que Dieu nous a laissé.
Merci beaucoup !
Merci à vous qui nous aidez à voir clair et qui nous permettez de sortir de tous les jugement de la morale.
Oui nous sommes quelques uns, quelques unes à avoir vécu des choses difficiles dans nos vies de couple et à avoir du divorcer,….. notamment pour ne pas mourir !
Bonjour et merci beaucoup père Roger de votre attention et votre douceur.
L’Esprit Saint nous console de nos souffrances et vous l’expliquez très bien.
Que Dieu bénisse toute l’Eglise et tous les pauvres de cœur dans la Paix de Son Amour.
Amen !
Nous avons eu le bonheur d’entendre votre homélie à Dinard hier, accompagnés par plusieurs personnes qui vivent douloureusement leur situation en église. Votre parole est pour eux une libération. Du fond du cœur merci pour eux.
Merci pour votre retour … que le Seigneur bénisse abondamment celles et ceux qui ont été blessés par des paroles et des attitudes si peu ajustées venant de frères prêtres !