J’ai grandi à Thil, dans un petit village aux bords du Rhône, à une vingtaine de kilomètres de Lyon. Alors, je peux dire que j’ai grandi avec la pêche comme passe-temps favori. Et comme chez nous, financièrement, ce n’était pas la gloire, on tirait vraiment le diable par la queue, comme on dit, ma mère était toute contente de nous voir arriver avec du poisson, ça mettrait un peu de beurre dans les épinards pour le repas. Du coup, je connais un peu la mentalité des pêcheurs et je peux vous dire qu’un pêcheur qui rentre bredouille, il ne faut pas trop le chatouiller parce qu’habituellement, il n’est pas de très bonne humeur. D’ailleurs, s’il rentre bredouille, il va vous expliquer qu’il a cassé plusieurs fois sa ligne sur des poissons qui devaient être gros comme le bras. Rentrer bredouille, non, c’est vraiment trop la honte quand on est un pêcheur aguerri.
Eh bien mes amis, ce qui nous est raconté dans cet Évangile est absolument extraordinaire. Vous savez, l’Évangile pour le goûter, il ne faut pas le lire trop vite, il faut essayer de bien repérer les détails qui nous sont donnés, car ce sont ces détails qui rendent l’Évangile savoureux et parlants pour nous aujourd’hui. C’est le matin, Jésus est au bord du lac, il a quitté sa patrie de Nazareth dans laquelle il n’a pas été reçu comme nous l’avons entendu dimanche dernier. Au bord du lac, il a déjà fait pas mal de miracle, particulièrement à Capharnaüm, il commence donc à être connu. Ce n’est pas étonnant que la foule se presse pour l’écouter, espérant secrètement qu’il continue à faire une série de miracles tous plus extraordinaires les uns que les autres. Pressé par la foule, pour mieux se faire entendre, il choisit de monter sur une barque et demande à son propriétaire de s’éloigner un peu pour être plus à l’aise pour leur parler. La barque qu’il choisit elle appartient à Simon ; ils se connaissent déjà puisque Jésus a guéri sa belle-mère. Oui mais voilà, Simon, ce pêcheur au caractère bien trempé, il rentre d’une nuit de pêche en étant bredouille. Ce détail n’a sûrement pas échappé à Jésus, parce que Pierre il devait avoir la tête des mauvais jours. En voyant sa tête, Jésus ne se dit pas : Je vais aller voir plus loin, peut-être y aura-t-il une barque plus accueillante. Non, il ose demander à Simon de le prendre sur sa barque et de l’aider, comme Simon peut l’aider, pour le moment, à faire entendre la Parole, en manœuvrant sa barque. Ceux qui étaient là ont dû être étonnés de l’audace de Jésus.
En le voyant mettre un pied dans la barque de Simon, connaissant le caractère de Simon, ils ont dû penser que ça allait tourner au vinaigre ! Un pêcheur bredouille, je vous l’ai dit, il ne faut pas trop le chatouiller ! D’autant plus que Simon, depuis son retour de la pêche, il avait dû affronter le regard de ceux qui passent au bord de la plage et qui, voyant la barque vide, chuchotent entre eux, et étouffent de petits rires moqueurs. Jésus prend donc un vrai risque, il en est sans doute conscient, mais il ne veut pas que Simon s’enferme dans son échec. Alors, en montant dans sa barque, il le sort de cette solitude dans laquelle il devait vouloir s’enfermer en bougonnant, en ressassant son échec. Comme toujours, en pareil cas, il devait déjà commencer à en vouloir au monde entier, rendant tout le monde responsable de son échec. C’est aussi pour le sortir de cette situation que Jésus lui demande un service. Certes, il a besoin de la barque pour parler avec plus d’aisance à cette foule qui le presse, mais il a aussi compris la situation compliquée dans laquelle se trouvait Simon. C’est souvent en sollicitant ceux qui vont mal qu’on les aide à aller mieux !
Avouez que cette attitude de Jésus est extraordinaire. Mais il va aller encore plus loin puisqu’il va oser inviter Simon à repartir à la pêche. En lui demandant de repartir, Jésus veut l’aider à sortir de cet échec, il veut lui redonner toute sa valeur de pêcheur. C’est un coup d’audace de la part de Jésus. Simon était meurtri de n’avoir rien pris toute une nuit, il avait déjà lavé et rangé ses filets, mais, parce que c’est Jésus, ce Jésus dont il a pressenti la puissance lors de la guérison de sa belle-mère, il accepte de recommencer. Et c’est une pêche miraculeuse qui se produit, totalement donnée par la puissance de Jésus. Oui, mais pour que cette puissance se déploie, il aura fallu que Simon, cet homme marqué par l’échec, accepte de repartir. Ne l’oublions jamais : la puissance de Jésus, pour se déployer, a besoin de la participation des hommes.
Et, c’est au terme de cet épisode, que Simon va être officiellement choisi comme disciple avec cette parle d’investiture : « sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras ! » Pour constituer son équipe de pêcheurs d’hommes, on aurait pu imaginer que Jésus fasse le tour du lac et qu’il choisisse les pêcheurs les plus habiles, ceux qui réussissaient. Non, il n’a pas peur de choisir celui qui vient d’essuyer un échec. Evidemment, Jésus ne veut pas développer une culture de l’échec, il souhaite au contraire la réussite de sa mission. Mais pour collaborer à cette réussite il choisit des hommes fragilisés par l’échec. Pourquoi ? Tout simplement parce que ces hommes ne s’attribueront jamais à eux les mérites de la réussite quand elle sera au rendez-vous. Ils sauront qu’elle ne peut pas venir seulement d’eux. Ils connaissent trop leur fragilité, leurs échecs pour s’enorgueillir. Comme Paul le dira un jour, ils savent bien qu’ils ne sont que des poteries sans valeur, mais qu’ils portent un trésor à la puissance incomparable.
Tout ce que je viens de dire à propos de Pierre et des apôtres, vous comprenez bien que cela s’adresse à nous aujourd’hui. Et que c’est pour cela que l’Évangile est bonne nouvelle. Aujourd’hui encore, pour déployer son œuvre de salut dans le monde, Dieu n’a pas besoin de Superman, il choisit toujours des êtres fragiles, fragilisé par leurs échecs, fragilisés par la vie. Il choisit des pauvres, c’est pour cela qu’il m’a choisi et qu’il vous a aussi choisis. Seuls de vrais pauvres seront capables de ne pas s’attribuer à eux-mêmes les réussites de la mission qui leur sera confiée. Dieu nous fait confiance alors que nous ne sommes pas des héros, mais plutôt en bien des circonstances des zéros ! Oui, mais, le curé d’Ars avait une belle parole sur les zéros. Il disait : « Moi, je suis comme les zéros, je n’ai de valeur que mis à côté des autres ! » Quelle belle parole. Parce que, si vous décidez de me faire un chèque et que, sur ce chèque, vous rajoutez un zéro à ce que vous aviez prévu de donner, ça ve devenir franchement intéressant ! Les zéros ne sont donc jamais à rejeter, à mépriser. Simplement, il faut savoir que pour leur donner toute leur valeur, il est juste nécessaire les mettre à côté d’autres … et si c’est à côté du Seigneur, alors ça peut donner des résultats étonnants ! C’est ce qu’avait compris Jésus : en mettant Pierre à ses côtés, il lui donnerait toute sa valeur. C’est ce que Jésus ne cesse de faire, aujourd’hui encore, en nous prenant à ses côtés et nous mettant les uns à côtés des autres, comme des frères, il donne aux zéros que nous sommes, une valeur inestimable. Quelle joie de t’accueillir, Seigneur, dans cette messe, au cours de laquelle tu vas redonner à chacun de nous sa valeur. Puissions-nous porter cette bonne nouvelle à tous les zéros qui désespèrent d’être des zéros et qui pourront, à tes cotés et à nos côtés, retrouver toute leur valeur.